Tout d’abord, mes sympathies.

J’imagine que ç’a été aussi pénible pour vous que pour moi. Rarement ai-je vu un débat si difficile à suivre. Un peu plus, et on demandait aux candidats de résumer leur plateforme en trois secondes…

La formule du face-à-face fonctionne très mal avec cinq chefs. Par exemple, le deuxième duel opposait les chefs péquiste et solidaire sur l’environnement même s’ils sont d’accord sur l’essentiel. Du gaspillage.

À défaut d’avoir été bien informé, le public a été influencé.

Du débat, je retiens quelques images.

François Legault en doyen excédé par les critiques.

Éric Duhaime qui se normalise en se posant comme une nouvelle version de l’ADQ, un parti de « centre droit ».

Gabriel Nadeau-Dubois qui lance les meilleures attaques de la soirée contre Dominique Anglade, comme si son but était de la remplacer à la tête de l’opposition officielle.

Et Paul St-Pierre Plamondon en gentilhomme rigoureux qui reste en marge des grands affrontements.

On aurait pu croire que M. Legault déstabiliserait M. Duhaime. Les prétextes ne manquaient pas : propos passés qui banalisent le viol et les crimes haineux, ou encore des candidats qui dégradent les femmes, rêvent d’armes dans les écoles ou ne croient pas à la théorie de l’évolution. Mais on n’a rien entendu de tout cela.

Le chef conservateur a posé en ex-adéquiste, voire en ex-caquiste qui reprend les engagements trahis de M. Legault de diminuer la taille de l’État.

M. Duhaime a prétendu que le Québec aurait pu à la fois mieux protéger les gens vulnérables et assouplir les mesures sanitaires durant la pandémie. Comment ? Quel aurait été l’impact dans les hôpitaux ? Combien de morts aurait-il fallu accepter ? On ne l’a pas su. L’échange a été réduit à un débat de chiffres sur le taux de mortalité. La science et la démagogie étaient ainsi mises sur un pied d’égalité.

Le chef caquiste jouait le pragmatique. L’homme d’expérience qui sait comment convertir les bonnes intentions en politiques efficaces. Il revenait sans cesse avec l’exemple du manque de travailleurs de la construction pour attaquer la faisabilité des engagements de ses rivaux en matière d’écoles, de garderies et de transport collectif.

Il utilisait M. Duhaime et Gabriel Nadeau-Dubois comme repoussoirs. Sa stratégie : se placer entre eux pour jouer les anti-idéologues.

M. Legault a toutefois paru déconnecté en disant que « le problème qui s’est passé à l’hôpital de Joliette, avec Mme Joyce, est réglé ». Son nom de famille est Echaquan, elle est morte et la discrimination n’a pas disparu du Québec.

On ne le sentait pas déborder d’enthousiasme à l’idée d’entamer un nouveau mandat. Le feu a déjà brûlé un peu plus dans sa poitrine.

La principale rivale de M. Legault est Dominique Anglade. Et c’est pourquoi il doit remercier le co-porte-parole solidaire. Car le député de 32 ans a été impitoyable à l’endroit de la cheffe libérale. Il l’a comparée à la fois à Jean Charest et à une pâle copie caquiste, parti dont elle était la présidente il y a 10 ans.

M. Nadeau-Dubois était le plus calme et le plus incisif. Mais sur le plan de l’image, il ressort du débat égratigné. Si ses rivaux ont répété si souvent l’expression « taxe orange », c’est parce qu’elle fait mouche.

Paul St-Pierre Plamondon n’a pas été gâté par le hasard. Il a dû répondre à d’étranges questions. L’animateur lui a demandé quoi faire avec la congestion lors des travaux à venir au tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine, comme si c’était un congrès de génie civil…

Studieux et poli, il a essayé d’élever le débat. Mais à certains moments, il semblait avoir envie qu’on l’insulte pour obtenir plus d’attention.

Rare moment de spontanéité, M. Nadeau-Dubois a dû réagir à chaud au défi du chef péquiste et prononcer le titre du livre de Pierre Vallières contenant le « mot qui commence par un N ». À la CBC, la direction a dû respirer dans un sac en papier brun. Pas certain toutefois du gain concret pour le Québec.

Autre bravade, M. Duhaime a parlé aux anglophones dans la langue de Mordecai Richler. Comme si les anglophones qui écoutaient le débat depuis une heure et demie ne comprenaient rien à part le langage non verbal. Mais pour Mme Anglade, c’est le signe qu’elle est attaquée tant à sa gauche par QS qu’à sa droite.

La cheffe libérale était plus à l’aise à défendre les valeurs d’inclusion. Comme le co-porte-parole solidaire, elle prétend pouvoir accueillir plus d’immigrants tout en les francisant grâce à une idée miraculeuse : les inviter à s’installer en région. Comme si c’était si facile. M. Legault a rappelé avec raison qu’on ne peut forcer une personne à habiter dans une ville en particulier. Mais il n’a presque pas eu le temps de le préciser.

Car une fois de plus, il fallait changer de sujet. Et je me demande si certains avaient tout simplement déjà changé de poste.