Si vous osez une pause-pipi ce soir, vous prenez un risque.

Le débat à TVA va passer vite. Trop, probablement.

Il y aura cinq chefs. Du jamais vu au Québec. La mathématique est impitoyable. Avec neuf thèmes, cela laisse peu de temps pour s’expliquer.

« Même les face-à-face seront courts : juste 2 minutes 30 ! Si on réussit à placer une attaque ou une idée par sujet, ce sera déjà beau », m’a avoué un stratège.

J’ai parlé aux quatre partis reconnus à l’Assemblée nationale – l’équipe d’Éric Duhaime n’a pas répondu à mon invitation.

Ils ont commencé leur préparation il y a longtemps, et ce n’est pas une surprise. Ils analysent les faiblesses de leurs adversaires, anticipent leurs critiques et prévoient des réponses.

En quelques secondes, ils doivent résumer de façon claire et imagée n’importe quel enjeu, avec un sourire détendu. La mission est périlleuse, assez pour accélérer le pouls et vider votre bouche de sa salive.

Contrairement à ses rivaux, François Legault ne fait pas de simulation. Mercredi, il a travaillé dans son bureau, seul dans sa bulle. Il préfère communiquer par courriel avec son entourage. Après près de 20 ans de vie parlementaire et trois élections comme chef, il a l’habitude de la joute oratoire.

Les autres en seront tous à leur première. Dominique Anglade a passé la journée avec sa garde rapprochée dans un hôtel de Montréal. Son collègue André Fortin personnifiait M. Legault. Christine St-Pierre incarnait le chef péquiste et le jeune responsable des communications du parti se mettait dans la peau de Gabriel Nadeau-Dubois.

PHOTO JACQUES BOISSINOT, LA PRESSE CANADIENE

Paul St-Pierre Plamondon

Paul St-Pierre Plamondon était lui aussi dans un hôtel du Grand Montréal avec son équipe. Sans surprise, pour la simulation, M. Legault était joué par Pascal Bérubé – le député de Matane le connaît depuis plus de 20 ans, et il en fait une bonne imitation.

Le chef péquiste a beaucoup à gagner. Il a la plus faible notoriété du lot et il ne siège pas à l’Assemblée nationale. C’est sa grande chance de parler enfin à un vaste auditoire. Il devra se souvenir que le format ne se prête pas à un débat intellectuel. Que cela plaise ou non, l’émotion et le sens de la formule occultent le reste.

Dominique Anglade a aussi besoin de se faire connaître. En privé, elle est énergique et charismatique. Mais au Salon bleu, on n’entendait que ses critiques. Elle devra vendre ses idées et surtout ses valeurs. Et montrer que c’est elle, la cheffe de l’opposition officielle.

M. Legault préfère critiquer Gabriel Nadeau-Dubois, un contraste qu’il juge plus marqué et plus avantageux pour lui. Comme Mme Anglade, le co-porte-parole solidaire a passé les derniers jours sur la défensive à cause de ses propositions fiscales. Son plan vert a toutefois été bien reçu. Son défi sera d’en parler autant que possible. Car selon les thèmes de TVA, l’environnement est seulement un des neuf thèmes et sera coincé entre l’économie et le coût de la vie.

Comme les autres chefs, il essaiera jeudi de passer du temps en famille, faire un peu de sport et se vider la tête. S’il est capable de penser à autre chose, bien sûr.

À titre de meneur et de premier ministre sortant, M. Legault sera évidemment la cible principale. Mais aucun candidat n’aura plus de deux face-à-face avec lui. Il risque donc d’être souvent apostrophé durant le débat ouvert. Reste que s’il y a cacophonie, le chef caquiste ne sera pas triste. Depuis le début de la pandémie, il parle « des oppositions », comme si elles formaient un bloc monolithique. Le désordre les empêcherait de se définir.

À cela s’ajoute Éric Duhaime. Avec des années d’expérience à la radio, il est rompu au débat. Il n’a toutefois jamais siégé à l’Assemblée nationale. Il arrive dans les ligues majeures, face à un public qui n’est pas conquis à ses idées, contrairement à ses ex-auditeurs à la radio.

Le format devrait l’avantager pour deux raisons : son talent pour la formule-choc et la liberté qu’il prend avec les faits.

Par exemple, M. Duhaime répète que le Québec a le pire bilan des morts durant la pandémie. Or, cet indicateur est trompeur. Pour une comparaison juste, il faut mesurer la surmortalité, et à cet égard, le Québec ne dépasse pas la moyenne. C’est toutefois difficile à expliquer en sept secondes en direct à la télé…

Si les chefs seront nerveux, c’est aussi parce qu’ils savent que la population est moins décidée qu’on ne le prétend. Selon un sondage Léger publié au début de la campagne, 37 % des électeurs pourraient changer d’idée. C’est chez les sympathisants solidaires (58 %) et libéraux (47 %) que ce taux est le plus élevé. Chez les caquistes, péquistes et conservateurs, la proportion est sous la barre des 30 %.

Le PQ mise sur un autre chiffre : son chef est celui qui est le plus souvent mentionné comme deuxième choix. Près de 18 % des sondés le placent en deuxième position. La CAQ et QS arrivent juste derrière, avec 14 %. Mais pour en profiter, ils devront se faire entendre. Un défi qui n’a jamais été aussi grand que dans cette lutte à cinq.