Je n’ai rien contre le fait que l’on discute d’immigration en campagne électorale. Mais tout est dans la manière…

Est-ce possible d’en parler de façon responsable et respectueuse ? Sans faire de l’immigrant un punching bag électoral ? Sans qu’il soit constamment présenté comme un fossoyeur de la nation aux valeurs barbares ? Sans que l’on ait l’impression que l’on parle ici d’une cargaison de chaussettes plutôt que de la vie de milliers de gens ?

Après les excuses de François Legault qui ont suivi son amalgame navrant sur l’immigration, l’extrémisme et la violence la semaine dernière, on aurait pu espérer que le premier ministre revienne sur ce sujet épineux avec plus de hauteur. À la suite de sa déclaration blessante pour les Québécois issus de l’immigration, le chef caquiste aurait pu être sauvé par la reine et son éclipse médiatique. Il aurait pu s’assurer de tourner sa langue sept fois ou peut-être même huit avant de reparler d’immigration.

La suite des choses nous montre hélas ! qu’il n’en est rien. À peine s’était-il dit désolé « si [ses] propos ont porté à confusion », à peine avait-il prétendu vouloir « rassembler », que M. Legault a choisi d’assimiler une immigration non francophone trop nombreuse à une menace à la « cohésion nationale ».

Sortir ses gants de boxe pour frapper le même immigrant d’un autre angle semble a priori une façon quelque peu étrange de rassembler. À moins que l’objectif soit de rassembler avant tout les électeurs qui craignent l’immigration.

Au cours du plus récent épisode de la série « Immigrant punching bag », le chef caquiste a avancé que la cohésion nationale dont les Québécois ont fait preuve en se serrant les coudes durant la pandémie venait du fait qu’ils constituent une nation « tissée serré » qui défend le français. Pour protéger ce Québec tissé serré, il faudrait donc limiter l’immigration non francophone, a-t-il dit, oubliant au passage la contribution de tous les Québécois immigrants allophones qui, au pire de la crise sanitaire, ont tenu à bout de bras un système de santé qui s’effondrait.

Il y avait déjà dans l’épisode précédent d’excuses de M. Legault un aveu encore plus troublant que sa déclaration initiale. S’empêtrant dans ses explications, le chef caquiste avait dit, au lendemain de sa déclaration malheureuse, que son erreur aura été de nommer les valeurs québécoises, en répondant aux questions des journalistes.

« Il ne faut pas nommer quelles valeurs parce que ça pourrait créer un amalgame », a-t-il dit, en précisant que « c’est un sujet délicat » qu’il devrait « éviter ».

Bref, l’erreur, selon M. Legault, ce n’est pas tant d’avoir fait une déclaration fondée sur des faussetés, qui attise les préjugés et la méfiance à l’égard de l’immigration, mais d’avoir dit tout haut ce qui ne se dit pas. Pas parce que c’est faux… Mais parce que ce serait « délicat ».

Il n’y a pourtant absolument rien de délicat à nommer les valeurs qui fondent la société québécoise. Elles sont d’ailleurs inscrites noir sur blanc dans une déclaration officielle que tout nouvel arrivant doit signer et qui énonce ceci :

– au Québec, les femmes et les hommes sont égaux ;

– le Québec est une société libre et démocratique ;

– le Québec est une société laïque ;

– le Québec est une société francophone ;

– le Québec est une société basée sur la primauté du droit ;

– le Québec est une société où l’exercice des droits et libertés de la personne doit se faire dans le respect de ceux d’autrui et du bien-être général ;

– le Québec est une société pluraliste.

Il n’y a là absolument rien de délicat, disais-je. Sauf si vous présumez d’emblée que l’immigrant est, par défaut, cet « Autre » menaçant, susceptible d’être opposé à de tels principes.

C’est ce que nous dit le Parti conservateur du Québec lorsqu’il promet de sélectionner les immigrants en fonction de leur « compatibilité civilisationnelle », laissant entendre que trop nombreux sont les candidats qui ne seraient pas assez civilisés pour le Québec.

En associant immigration, extrémisme et violence, la déclaration populiste pour laquelle M. Legault s’est excusé allait malheureusement dans le même sens. Loin de dissiper la confusion quant à ses véritables intentions, ses excuses n’ont fait que l’alimenter.

Loin de « rassembler » tous les Québécois, comme il dit vouloir le faire, le chef caquiste contribue – tant par ce qu’il dit que par ce qu’il ne dit pas, mais laisse sous-entendre – à faire de l’immigrant un épouvantail particulièrement commode en période électorale.

En l’agitant encore et toujours, la CAQ tient un double discours. D’un côté, on prétend vouloir limiter l’immigration permanente non francophone pour lutter contre le déclin du français, bien franciser et intégrer les nouveaux arrivants et maintenir la cohésion sociale d’un Québec « tissé serré ». De l’autre côté, sans s’en vanter, le gouvernement de la CAQ n’a pas hésité à accroître lui-même ce déclin en faisant venir durant son mandat un nombre record de travailleurs temporaires, facilement exploitables. Tout ça en s’accommodant plutôt bien du fait que ces travailleurs, même s’il s’agit de non-francophones en majorité qui pourront devenir résidents permanents, n’ont pas accès à la francisation.

Mais bon, c’est plus simple de taper sur l’immigrant punching bag que d’être cohérent.