Vous avez donc le droit de trouver la campagne électorale plate.

Mais au moins, elle existe. Les partis s’entendent plus que jamais sur ceci : ils ne sont pas d’accord.

Depuis une décennie, on annonce la fin du clivage entre fédéralistes et souverainistes. Il devait être remplacé par un choc entre la gauche et la droite. Un autre affrontement s’est ensuite développé en parallèle entre les nationalistes identitaires et les inclusifs.

Finalement, il semble que nos élus sont capables de mâcher de la gomme en s’ostinant en même temps. Car les trois débats se sont entremêlés cette semaine. Et on pourrait même en ajouter un quatrième, entre les climatopassifs et ceux qui veulent combattre la crise environnementale.

Québec solidaire (QS) a provoqué une réflexion sur la fiscalité des nantis. Le parti de gauche taxerait ceux qui détiennent un actif net d’un million de dollars ou plus. Cela représente seulement 5 % de la population. Ce n’est donc pas la bonne vieille classe moyenne. Le parti de gauche a le mérite de parler de la principale source d’inégalités, celle qui touche le patrimoine, et non le revenu. Mais son expression « ultra-riche » est tendancieuse. Des retraités ayant accumulé une rente annuelle de 60 000 $ ont dû recracher leur café. Ils sont privilégiés, certes, mais ils ne vont pas en jet privé à Davos…

En plaçant le seuil à un million avec un taux de 0,1 %, la bureaucratie risque de perdre du temps à vérifier des impôts d’une centaine de dollars.

Le parti de gauche a brisé un tabou de plus en s’attaquant à l’incorporation des médecins, un avantage fiscal consenti sans trop de débats en 2007.

Le rôle de l’État a aussi été remis en question cette semaine. D’un côté, QS propose de créer plusieurs structures, comme Québec Rail, Québec Bus ou Québec Mer. De l’autre, le Parti conservateur du Québec (PCQ) s’inspire de Pierre Poilievre en promettant une loi pour plafonner les dépenses. Le gouvernement Couillard avait adopté le « cran d’arrêt », mais ce n’était pas une loi. Les libéraux avaient découvert qu’en essayant de couper dans le gras, on entamait parfois l’os.

Devant la Chambre de commerce de Montréal, M. Duhaime est revenu à un discours conventionnel de droite fiscale. Les patients pourraient souscrire à une assurance privée payante et les médecins pourraient pratiquer à la fois au privé et au public. D’ex-adéquistes orphelins retrouvent une voix.

Coïncidence ou pas, son adversaire François Legault promet maintenant d’entrouvrir cette porte. Sous la proposition caquiste, les patients utiliseraient encore leur carte RAMQ au lieu de payer. Les libéraux concluraient aussi plus d’ententes avec des cliniques privées. Les péquistes et les solidaires s’y opposent.

Là encore, la différence est indéniable.

Le clivage identitaire-inclusif demeure également à l’avant-scène.

Depuis quelques années, la question de l’immigration s’est transformée en débat moral. Hausser les seuils est un réflexe pour ceux qui promeuvent la tolérance. Avec sa malheureuse déclaration qui amalgamait immigration et violence, François Legault a aggravé cette tendance.

Reste que tous les pays au monde fixent une limite. Cela peut se faire en étant ouvert et bienveillant. Les libéraux et les solidaires voudraient hausser les seuils à 70 000 et 80 000. Les premiers relayent le lobby patronal, et les seconds se plient au diktat moral. Les économistes ont pourtant déjà établi que l’effet sur la pénurie de main-d’œuvre et le vieillissement de la population serait limité. Par contre, cela poserait des défis concrets — par exemple, les logements manquent.

La question n’est pas uniquement technique. Elle est aussi politique : quel serait l’impact sur le français ?

Le statut du Québec est revenu par le fait même dans la discussion. Si le Québec n’accueille pas un nombre d’immigrants parmi les plus élevés au monde, son poids démographique baissera dans le Canada. Le choix : y perdre encore plus d’influence ou risquer de fragiliser le français.

Paul St-Pierre Plamondon veut sortir de ce dilemme en faisant l’indépendance. L’immigration l’a aidé à en parler. Tout comme la mort de la reine, un triste évènement qui a toutefois permis de rappeler que le Québec est une province qui n’a pas signé la Constitution d’un pays dirigé symboliquement par une monarchie étrangère.

Comme le chef péquiste, Dominique Anglade a besoin de renverser la vapeur. La libérale organise des assemblées militantes où on peut lui poser des questions. Elle prend aussi des bains de foule, une opération toujours risquée. Chose inusitée pour une cheffe, elle fait même du porte-à-porte. Elle se fait confiance et elle n’a plus rien à perdre.

La déclaration de M. Legault sur l’immigration lui a donné une poignée inespérée. Elle ne se privera pas non plus de rappeler que dans son cadre financier, QS prévoit une démarche vers l’indépendance – près de la moitié des électeurs du parti de gauche sont fédéralistes et pourraient aller voir ailleurs.

Mais les conservateurs courtisent eux aussi les anglophones. À la manière de Justin Trudeau, M. Duhaime a fait une allocution en « bilingue » dans laquelle il a promis d’abroger la réforme de la loi 101.

Je ne suis pas expert en maths, mais avec quatre axes de débat et cinq partis, un nombre appréciable de possibilités s’offre aux électeurs.

Est-ce une élection plate ? Cela dépend de votre définition du fun… Mais à tout le moins, cela commence à ressembler à une vraie campagne.