Si vous avez l’impression d’un déjà-vu, c’est que votre mémoire est bonne.

En 2016, François Legault promettait de lancer une « Baie-James du XXIe siècle ». Il a abandonné l’idée en début de mandat. En raison des surplus énergétiques, le projet devenait inutile.

Six ans plus tard, le chef caquiste revient à la charge. Il promet d’ajouter 3000 MW de sources éoliennes et rêve d’un nouveau barrage hydroélectrique qui alimenterait le Québec et ses voisins.

« C’est n’importe quoi », a raillé Gabriel Nadeau-Dubois.

Vrai, on ne sait pas sur quelle rivière se construirait le barrage, ni quand ou à quel coût. Reste qu’on ne peut pas accuser M. Legault de manquer de vision. Il se prépare pour la décarbonation de l’économie du nord-est de l’Amérique du Nord et il veut que le Québec en profite.

Le réseau actuel de distribution d’énergie est inefficace et déconnecté. Comme l’ont déjà soutenu des experts, le Québec et ses voisins devraient collaborer pour éviter le gaspillage⁠1. M. Legault en parle depuis au moins 2018.

Québec solidaire (QS) pense aux cibles d’émissions de gaz à effet de serre pour 2030. Pour les atteindre, les projets d’énergies renouvelables déjà annoncés suffiront. La clé sera de réduire la consommation et le gaspillage. Mais 2030 n’est qu’une étape. Le travail devra se continuer afin de devenir carboneutre en 2050. Et pour cela, de nouvelles sources d’énergie propre seront requises.

D’où le dialogue de sourds. QS s’intéresse au premier échéancier tandis que la Coalition avenir Québec pense au deuxième.

Il faudrait pourtant faire les deux en même temps.

L’histoire a souvent humilié les prévisionnistes.

Au début des années 2000, on anticipait que le pétrole deviendrait plus rare. Le contraire est arrivé.

Au Québec aussi, les boules de cristal étaient embuées.

Il y a 10 ans, les coûteux surplus d’Hydro-Québec faisaient scandale. Ce problème est ensuite devenu une occasion pour attirer des industries lourdes. Et le « problème » se règle maintenant de lui-même. Car les surplus ont fondu.

En avril, Québec a dû lancer deux appels d’offres pour de l’énergie éolienne (1000 MW) et renouvelable (1300 MW). Malgré tout, il manquera bientôt d’énergie. D’ici 2050, la société d’État prévoit que le Québec aura un déficit de 100 TWh. Soit l’équivalent de 12 fois le complexe La Romaine.

C’est énorme.

On l’oublie, mais un peu plus de 50 % de l’énergie consommée au Québec vient du pétrole et du gaz. Il faudra bien la remplacer. Même si l’efficacité énergétique devrait être la priorité, elle ne suffira pas.

Que faire ? L’éolien et le solaire se construisent vite. Par contre, leur énergie est intermittente et se stocke mal.

L’hydroélectricité les complémente grâce à sa prévisibilité et à sa grande capacité de stockage. Cela en fait une « batterie verte ». Son coût est toutefois considérable. Et puisque le chantier doit être lancé à l’avance en fonction d’une hypothèse sur l’évolution du marché, le pari est risqué.

Hydro-Québec a souvent changé son discours.

À la présentation de son plan stratégique 2020-2024, le patron Éric Martel n’excluait pas de construire une nouvelle centrale hydroélectrique. Puis, peu après son entrée en fonction, sa successeure Sophie Brochu a dû déposer un nouveau plan – les prévisions toutes fraîches étaient déjà périmées.

Le nouveau plan prévoit un déficit plus grand. Cela explique pourquoi M. Legault revient à la charge.

Stratégiquement, cela lui permet de répliquer aux plans climat des péquistes et des solidaires tout en parlant d’économie. Reste qu’il pourrait être plus cohérent. Si le Québec manque d’énergie, pourquoi la gaspiller en encourageant l’auto solo ?

Ce n’est pas la première fois que M. Legault reprend une idée déjà promue par Hydro-Québec.

Au début de son mandat, le chef caquiste se vantait de négocier des contrats d’exportation avec la Nouvelle-Angleterre, un beau projet qui avait toutefois été lancé par la société d’État et l’ancien gouvernement libéral.

Avec les grands barrages, il s’aventure en terrain abandonné.

Le gouvernement Charest avait identifié des rivières à exploiter, comme la rivière du Petit Mécatina, sur la Côte-Nord. Mais cela aurait inondé l’équivalent de la moitié de l’île de Montréal et l’accord des Innus n’était pas acquis. Un peu à l’ouest, une alliance s’est aussi récemment formée pour protéger la rivière Magpie.

Où aller alors ? La renégociation avec Terre-Neuve du contrat de Churchill Falls, qui arrivera à échéance en 2041, pourrait déboucher sur de nouveaux projets.

Chose certaine, aucun projet ne sera simple. La construction aura un impact considérable sur la faune et la flore, et les communautés concernées ont appris du passé.

Mais en contrepartie, on ne peut pas combattre la crise climatique en vase clos. Le nord-est du continent aura besoin d’énergie propre, et elle devra bien venir de quelque part…

Trouvera-t-on une source moins dommageable pour l’environnement ? Voilà le débat à faire. M. Legault est heureux de le devancer pour forcer ses adversaires à se poser des questions difficiles auxquelles il n’a pas peur lui-même de répondre.

1. Lisez l’analyse publiée par Options politiques