Ce matin-là, Françoise David cachait mal son bonheur.

C’était à l’hiver 2017. Elle confiait à des journalistes que Québec solidaire (QS) avait trouvé un jeune candidat pour lui succéder dans Gouin. Elle pouvait partir en se disant que l’avenir de son parti était entre bonnes mains.

Mais Gabriel Nadeau-Dubois n’était pas une figure consensuelle. On l’aimait ou on le détestait. Depuis cinq ans, le parti de gauche a changé en même temps que son co-porte-parole.

QS veut se défaire de son image de pelleteux de nuages. De mère Teresa, comme on le dit avec condescendance.

Le parti veut contester, mais aussi proposer. Son défi : maturer sans trahir ses valeurs.

C’est ce qu’essaie de faire Gabriel Nadeau-Dubois lui-même sur le plan personnel. Certes, il n’a jamais été rebelle – même à 20 ans, il était studieux et sérieux, la chemise dans le pantalon. Mais il a adouci son image. Il parle moins vite et moins fort. Il rappelle aussi souvent que possible qu’il est devenu jeune papa. Son veston est propre et sa barbe est finement taillée. Avec quelques cheveux gris dont les stratèges doivent célébrer chacune des apparitions.

À ses débuts, M. Nadeau-Dubois avait un rare atout : la notoriété. Et il commence enfin à en profiter. Les Québécois ont désormais une opinion plus favorable (48 %) que défavorable (35 %) de lui. En 2020, c’était le contraire.

Si j’en parle, c’est parce que ce n’est pas seulement une image.

L’éducation est un bon exemple. QS n’abandonne pas la gratuité scolaire à l’université. Mais il ne la promet plus dans un premier mandat. L’objectif est visé à plus long terme. L’engagement consiste à s’en approcher progressivement en réduisant les droits de scolarité. En contrepartie, QS s’intéresse davantage à l’éducation primaire et secondaire et aux obstacles concrets vécus par les jeunes familles, et propose une « prestation poupon » spéciale pour les garderies.

Il n’y a pas si longtemps, les solidaires voulaient nationaliser les mines. Les militants semblaient plus à l’aise à citer Gramsci qu’à invoquer des notions économiques de base comme le caractère cyclique et spéculatif de cette industrie, qui est très différente de la prévisible hydroélectricité. En entrevue avec La Presse, M. Nadeau-Dubois a recentré ce discours. Il invoque des prises de participation dans les minéraux critiques.

Et le parti ne s’oppose plus systématiquement à toute nouvelle construction d’autoroute. Il l’accepte si la sécurité (A50) ou l’occupation du territoire (A20) le requièrent. Mais il dénonce encore les projets qui accélèrent l’étalement urbain (A25).

Reste que la crise de croissance n’est pas simple, comme le prouvent l’identité et l’environnement.

QS a tenu tête à une faction bruyante qui imaginait du racisme partout – son « comité antiraciste décolonial » a été officiellement blâmé par le parti. Mais certains militants ont grincé des dents quand les élus solidaires ont voté en faveur de la réforme caquiste de la loi 101, après avoir essayé en vain de l’assouplir. L’aile parlementaire de QS se bat contre l’étiquette de woke que la Coalition avenir Québec (CAQ) veut lui accoler.

Pas facile non plus en environnement. En début de mandat, QS promettait de bloquer les travaux de l’Assemblée nationale si le gouvernement Legault ne combattait pas la crise climatique. L’ultimatum a été abandonné. Les caquistes avaient beau jeu de souligner que QS promettait de réduire les gaz à effet de serre de 55 % sans pouvoir dire comment l’objectif serait atteint ni à quel coût.

Pour rester crédible, QS n’a pas le choix : ce plan devra être dévoilé tôt en début de campagne.

À l’Assemblée nationale, QS peut se vanter d’avoir mis le logement au cœur des débats. Sur la défensive, François Legault a promis 1,8 milliard pour le logement social la semaine dernière. C’est insuffisant, mais ç’aurait été pire sans la pression de l’opposition.

Malgré ce travail, les solidaires stagnent toutefois au même niveau d’appui, en troisième place avec environ 15 % des intentions de vote.

Dans leur courte histoire, ils ont augmenté leurs sièges à chaque élection (1 en 2008, 2 en 2011, 3 en 2014 et 10 en 2018).

Poursuivre cette croissance serait une petite victoire. Mais pour la première fois, les solidaires devront se battre pour ne pas perdre de sièges. Notamment en Abitibi, à Québec et en Estrie. Cette présence hors de Montréal est essentielle pour leur crédibilité.

L’atout de QS cette année, c’est son recrutement. Sa base s’élargit.

Il a notamment attiré des médecins (Isabelle Leblanc et Mélissa Généreux), un avocat spécialisé en immigration (Guillaume Cliche-Rivard), un maire (Philippe Pagé) et, chose rare pour le parti, des gens avec une expérience de gestion (Julie Francœur, directrice générale de FairTrade) et de comptabilité (Christine Gilbert, professeure à l’Université Laval).

Les solidaires doivent espérer que ces recrues créeront un cercle vertueux. Plus leurs candidats seront crédibles et représentatifs de l’électorat, plus le parti pourra poursuivre sa croissance.