Les citoyens devant moi représentaient une grande partie des quelque 600 foyers qui avaient vu leur sous-sol inondé lors de deux épisodes de pluies diluviennes.

Ils avaient été victimes, dans une même année, de deux des cinq pires pluies des 100 dernières années à Gatineau (cela se passait entre les inondations de 2017 et la tornade de 2018 !). La soirée était pénible. Comme maire, je ne pouvais pas m’en sortir. Les citoyens me disaient que leurs maisons étaient conformes aux normes, que nous devions les indemniser pour leurs pertes. Je leur répondais que les infrastructures municipales, elles aussi, étaient conformes, que nous ne payerions pas. Personne n’avait tort.

Malheureusement oui, personne n’était coupable, le problème était et est toujours les normes elles-mêmes : à cause des changements climatiques, elles ne veulent plus rien dire. Alors les citoyens souffrent et paient.

Pour adapter leurs infrastructures aux changements climatiques, donc pour sortir des normes actuelles, les villes du Québec auraient besoin, au strict minimum, dans les cinq prochaines années, de quatre milliards de dollars1. Cela n’inclut pas les investissements pour réduire nos émissions de GES. Et ce n’est qu’un premier exemple des besoins assez fondamentaux que les municipalités n’arrivent pas à combler faute de ressources, alors que Québec peut, paraît-il, se permettre de baisser les impôts.

Dans le monde des budgets municipaux, il y a deux chiffres qui tuent : les chiffres 58 et 8. Les villes gèrent 58 % des infrastructures publiques (routes, bibliothèques, parcs, arénas, centres communautaires, pistes cyclables, plateaux sportifs, etc.), mais elles ne reçoivent que 8 % des taxes et impôts que vous payez, tous gouvernements confondus. C’est la source fondamentale de l’immense déficit d’entretien de nos infrastructures.

Par exemple, selon la Fondation Rivières, faute d’infrastructures adéquates, le nombre annuel de déversements d’eaux usées dans nos rivières s’élevait à 52 794 en 2020. Vous avez bien lu : 52 794 déversements d’eaux usées dans nos rivières en un an. Les fuites d’eau potable s’élèvent, quant à elles, à 20 % ou à 30 % de toute l’eau produite dans bien des villes, surtout les grandes. Il manque au réseau de bibliothèques du Québec l’équivalent de 16 bibliothèques de la taille de la bibliothèque Marc-Favreau. C’est tout notre développement social et économique qui en souffre. Nos arénas sont vétustes. Ai-je besoin de dire que notre patrimoine est souvent à l’abandon ?

Tôt ou tard, le gouvernement du Québec devra aider les villes. Cette surenchère électorale de baisses d’impôt nous indique clairement qu’il a l’occasion de le faire dès maintenant.

L’inflation permet au gouvernement du Québec d’engranger plus de taxes à la consommation. Un taux de chômage exceptionnellement bas et la hausse moyenne des salaires lui permettent d’engranger des sommes record d’impôt sur le revenu. À Québec, les coffres débordent.

Les mêmes causes provoquent les effets inverses dans les villes. L’inflation (7,2 %) augmente les dépenses municipales, la hausse des salaires (8 % en moyenne, donc plus que l’inflation !) augmente aussi les dépenses municipales. De plus, les villes ne se sont pas encore remises de l’effondrement des revenus du transport en commun causé par la pandémie, les sociétés de transport feront face à des déficits record pendant plusieurs années encore. Pendant ce temps, la taxe foncière, leur principale source de revenus (70 %), elle, ne bouge que très lentement. Beau temps mauvais temps, les revenus qu’elle génère varient peu.

En conséquence, cette année et dans les années à venir, si les villes veulent maintenir les mêmes services, elles devront faire des compressions ou encore continuer à repousser indéfiniment des investissements essentiels comme ceux qu’exigent immédiatement les efforts pour lutter contre les changements climatiques et s’y adapter.

Tous les partis veulent être « le parti des régions ». J’espère qu’ils comprendront rapidement que le moyen le plus puissant, le plus équitable, de renforcer toutes les régions, c’est de consolider financièrement les municipalités et les MRC. Ça urge.

Un dernier mot. C’est la dépense publique qui nous a permis de sortir de cette crise. C’est la capacité financière de l’État qui nous a permis d’aider directement les entreprises et les gens. Les programmes offerts s’élevaient à des dizaines de milliers de dollars par mois pour les entreprises et à des milliers par mois pour les gens.

En matière de changements climatiques, ce sont les villes qui sont au front. Quand les citoyens ont les deux pieds dans un sous-sol inondé, on ne peut pas leur dire éternellement que personne n’est responsable. Entre mettre quelques dizaines de dollars de plus chaque mois dans les poches des contribuables ou mieux équiper 1100 villes et villages pour qu’ils puissent protéger leurs citoyens contre les catastrophes naturelles, il me semble que le choix est simple.

1. Consultez le rapport préparé pour l’Union des municipalités du Québec Écrivez à notre collaborateur Abonnez-vous à notre infolettre Le bulletin électoral