Ils se sont bien demandé pourquoi elle était déclenchée, mais ils ont néanmoins suivi la campagne électorale assidûment, d’un bout à l’autre du pays. Afin de saisir les préoccupations des Canadiens de tous les horizons, La Presse a fait équipe avec des étudiants ou de récents diplômés en journalisme de partout au Canada pour qu’ils nous racontent ce qui importe aux gens de leur coin de pays, de Vancouver à Fredericton en passant par Edmonton, Toronto et Montréal.

Fredericton, Nouveau-Brunswick : une campagne sans enthousiasme

Félix Arseneault, étudiant en information-communication, volet journalisme à l’Université de Moncton, est passionné de politique, de sports et de musique.

Transfuge passée des verts aux libéraux, Jenica Atwin gagnera-t-elle son pari dans la capitale du Nouveau-Brunswick ? Rien n’est moins certain, la circonscription de Fredericton promettant une lutte très serrée entre les verts, les libéraux et les conservateurs. À quelques heures du scrutin, tout reste encore à jouer.

Robert Nowlan, entrepreneur en construction

Bien qu’il adore la politique et les élections, Robert Nowlan croit toujours qu’il n’aurait pas dû y avoir d’élections si tôt. « Il y avait d’autres problèmes à régler et la Chambre marchait bien quand même. Justin Trudeau voulait juste aller chercher sa majorité. » Il affirme que la plupart des chefs ont connu une campagne en montagnes russes. « Ils ont tous eu des hauts et des bas. La campagne n’a pas changé mon vote », dit celui qui votera conservateur. Dans la région de Fredericton, il n’a pas observé beaucoup d’engouement de la part des électeurs et pas beaucoup de mouvement de la part des candidats. Il croit que les conservateurs remporteront Fredericton et souhaite un gouvernement minoritaire. « Je ne pense pas que ça prenne un gouvernement majoritaire tout de suite. »

Patrice Cammarano, étudiant en économie et communication

PHOTO FOURNIE PAR PATRICE CAMMARANO

Patrice Cammarano

La campagne électorale n’a pas créé autant de remous qu’à l’habitude à Fredericton, selon Patrice Cammarano. Il est surpris du manque de visibilité des candidats dans la région. « On dirait que c’est juste maintenant que la campagne commence, après les jours de vote par anticipation. » Il a déjà voté après avoir attendu quelques heures dans une longue file. Il croit que Fredericton changera de couleur. « Ça va être entre libéraux et conservateurs, je ne pense pas que ça va passer cette année pour les verts. Le changement de chef va leur nuire. » Il croit que les Canadiens vont élire un gouvernement minoritaire. « Libéral ou conservateur, je ne sais pas encore. Ça va se jouer entre combien de sièges les conservateurs peuvent prendre en Ontario et combien les libéraux peuvent prendre au Québec. »

François Gouin, agent multimédia

François Gouin est déçu du discours adopté par les chefs des différents partis fédéraux pendant la campagne. « C’est plus que jamais des paroles vides cette année. On dirait qu’il n’y a pas beaucoup de concret dans ces élections et que les partis disent un peu les mêmes affaires. » Il maintient que les élections ont été déclenchées un peu trop rapidement, ce qui peut avoir entraîné ce manque d’idées concrètes des candidats. « On voit aussi une tendance où on adopte un discours simple pour viser la majorité de la population alors que ça ne devrait pas être ça. » Il croit que Justin Trudeau sera réélu pour une troisième fois comme premier ministre dans un gouvernement minoritaire. « Faire tout ça pour finalement arriver exactement au même point où on était, ce serait très ironique. »

Hochelaga, Québec : conviction ou stratégie ?

Florence Morin-Martel, finissante au DESS en journalisme à l’Université de Montréal, a récemment été embauchée à La Presse au terme d’un stage à l’été 2021. Elle s’intéresse aux enjeux sociaux, aux questions autochtones et aux actualités internationales.

À un jour du vote, le choix est déjà fait pour plusieurs. Mais une question persiste pour certains : voter par conviction ou par stratégie ? Retour sur une campagne qui a semé le doute chez des électeurs et en a déçu d’autres.

Louis-Philippe Savard, scénographe

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Louis-Philippe Savard

Pour ces élections, Louis-Philippe Savard dit avoir voté « par conviction » et non de façon stratégique. « J’ai voté pour le NPD, mais j’ai presque voté pour les libéraux », raconte-t-il, au sujet de son vote par anticipation. Le désir d’empêcher « les conservateurs de rentrer » et le « plan environnemental clair » présenté par le Parti libéral l’ont fait hésiter. « Mais tous les autres partis ont un plan clair aussi, précise-t-il. Et ça fait six ans que les libéraux sont au pouvoir. » Que retient-il des dernières semaines électorales ? « L’environnement n’a pas pris assez de place, souligne-t-il. Ça vient boucler la boucle avec ce que je disais au début de la campagne. »

Louise Beaupré Lincourt, artiste peintre

PHOTO FOURNIE PAR LOUISE BEAUPRÉ LINCOURT

Louise Beaupré Lincourt

« Je n’arrive pas à me décider, lance d’emblée Louise Beaupré Lincourt, au sujet du 20 septembre. Si on y pense bien, les élections étaient inutiles, car personne n’avait rien à dire. » Elle ajoute que lorsqu’elle ira voter lundi, ce ne sera « pas par conviction ». Si un gouvernement minoritaire est élu, que pense-t-elle de la possibilité de retourner aux urnes dans deux ans ? « Ce serait effrayant, s’exclame l’artiste peintre. Les élections sont tous les quatre ans, un point c’est tout. »

Marianne Durand, étudiante en psychologie

Au moment de voter par anticipation plus tôt cette semaine, le choix de Marianne Durand était fait depuis un moment. Elle a voté pour le Bloc québécois. « La candidate libérale Soraya Martinez Ferrada a eu la chance de faire ses preuves, mais elle n’a pas été à la hauteur », estime-t-elle. Au-delà du mois qui vient de passer, le mandat de la députée a fait office de campagne électorale, selon l’étudiante en psychologie. Au sujet du type de gouvernement, elle avance qu’une situation minoritaire implique une collaboration entre les partis. « Ce n’est jamais bon qu’un seul groupe ait tout le pouvoir », soutient-elle. Marianne Durand craint toutefois qu’un gouvernement minoritaire mène au déclenchement d’élections dans deux ans. « Ça coûte cher et je ne sais pas si les citoyens vont être partants », conclut-elle.

York-Centre, Ontario : un gouvernement minoritaire, s’il vous plaît !

Jenna Benchetrit est candidate à la maîtrise en journalisme à l’Université Ryerson, à Toronto. Amatrice de cinéma et originaire de Montréal, qui lui manque.

Ya’ara Saks, la candidate libérale sortante – élue lors d’une élection partielle en octobre 2020 –, semble avoir un très léger avantage dans York-Centre. Mme Saks a été élue pour la première fois au Parlement en 2020 après la démission de son prédécesseur, Michael Levitt. Tout en penchant vers le rouge, on s’y s’entend généralement pour dire qu’on préfère que Justin Trudeau hérite d’un gouvernement minoritaire, ce qui donnerait aux autres partis la chance de faire avancer des idées différentes.

Josh Margles, analyste de données

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Josh Margles

Ce jeune électeur votera pour la députée libérale sortante, Ya’ara Saks. Une décision prise en raison de la lutte à deux dans sa circonscription. Sa vision des choses est plus proche de celle des libéraux que de celle des conservateurs. Son vote sera donc stratégique. « Une partie de moi aurait pu voter pour le NPD ou le Parti vert, mais j’ai décidé que, du moins pour cette fois, aucun de ces partis n’a vraiment de chance de gagner ma circonscription. » Il souhaite que les candidats respectent les promesses passées plutôt que d’en faire de nouvelles. « Ce qu’ils disent est une chose, mais ce qu’ils font, c’est plus important », dit-il, ajoutant qu’il aimerait voir les libéraux continuer à former un gouvernement minoritaire.

April Campbell, greffière

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April Campbell

Elle n’a pas encore décidé qui aura son vote. « Je ne suis pas vraiment sûre de vouloir voter conservateur », dit-elle. « Mais je ne sais pas si je peux me résoudre à voter libéral parce que je suis tellement en colère qu’ils aient déclenché ces élections. » Elle sait peu de choses du candidat conservateur local. Elle aime bien Ya’ara Saks, mais elle souhaiterait qu’elle ne soit pas libérale. Quoi qu’il en soit, elle veut voir Justin Trudeau perdre quelques sièges pour le punir d’avoir déclenché des élections. « Je ne suis pas sûre qu’un gouvernement majoritaire, quel que soit le parti, soit une bonne chose en ce moment. Je pense qu’ils doivent travailler ensemble pour nous sortir de cette situation. »

Jesse Gold, directeur dans une entreprise de télécommunications

PHOTO FOURNIE PAR JESSE GOLD

Jesse Gold

Le père de deux enfants a déjà voté par anticipation et choisi la libérale Ya’ara Saks. Il espère un gouvernement minoritaire. Un débat local a influencé son vote. Le conservateur Joel Etienne n’y a pas fait bonne impression à ses yeux. « Cela ressemblait beaucoup à un discours alarmiste », dit-il, précisant que M. Etienne a fait référence à plusieurs reprises à Jenica Atwin, l’ancienne députée verte qui a critiqué Annamie Paul pour sa position sur Israël avant de passer chez les libéraux. Si Mme Saks est réélue, M. Gold espère que l’on accordera plus d’attention aux communautés ethniques dynamiques de la région.

Mary Rosloot-Magnanelli, retraitée

PHOTO FOURNIE PAR MARY ROSLOOT-MAGNANELLI

Mary Rosloot-Magnanelli

La retraitée votera pour Ya’ara Saks. Elle a envisagé de voter pour le néo-démocrate Kemal Ahmed, mais son inexpérience l’a rebutée. « Pour ce type de fonction au fédéral, il faut avoir une expérience de travail et de vie. » En fin de compte, les opinions de Mme Rosloot-Magnanelli sont plus en phase avec la plateforme libérale qu’avec celle des conservateurs. Mais elle souhaite voir Justin Trudeau continuer avec un gouvernement minoritaire. « Je pense que beaucoup de bonnes lois sont présentées par des gouvernements minoritaires parce qu’ils sont obligés de réfléchir aux choses et de coopérer avec des gens qui n’ont peut-être pas la même opinion qu’eux », dit-elle.

Edmonton-Centre, Alberta : une voix dominante pour l’Ouest

Isaac Lamoureux est étudiant au baccalauréat en communication, avec une spécialisation en journalisme à l’Université MacEwan, en Alberta.

Une lutte toujours aussi serrée se dessine dans cette circonscription de la capitale albertaine, aux prises avec une résurgence de la pandémie qui a forcé le premier ministre conservateur Jason Kenney, à son corps défendant, à réimposer des mesures sanitaires strictes.

Summer Santiago, directrice générale et bénévole

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Summer Santiago

Summer Santiago « pense que les conservateurs vont gagner ». Elle ne comprend toujours pas « pourquoi [Justin Trudeau] a déclenché des élections » et « pourquoi [les libéraux voulaient] créer plus de tension dans un environnement déjà très tendu ». Elle cite une collègue originaire du Québec, qui lui a dit qu’« elle ignorait auparavant qu’il y avait une telle perception de l’est du pays par les gens de l’Ouest. Elle pensait que c’était juste quelque chose dont les gens parlaient, mais maintenant qu’elle vit ici, elle constate que ce clivage est réel ».

Pamela Poch, coiffeuse indépendante

PHOTO FOURNIE PAR PAMELA POCH

Pamela Poch

« Je ne sais toujours pas pour qui je vais voter. » Elle en a certes une petite idée, « mais [elle pourrait] prendre sa décision au moment de voter ». Pamela dit ne pas avoir « l’impression d’avoir tiré un tas d’informations du débat ». Pour elle, « il ne s’agit plus que d’évaluer le risque par rapport aux bénéfices ». Elle estime que « ça va se jouer entre O’Toole et Trudeau », mais que « [Trudeau] a toujours beaucoup de votes dans l’Est, et il sait que c’est tout ce dont il a besoin, alors pourquoi il accorderait de l’attention » aux gens de l’Ouest ?

Richard Wallington, directeur au ministère de l’Enseignement supérieur

PHOTO FOURNIE PAR RICHARD WALLINGTON

Richard Wallington

Richard Wallington votera pour les conservateurs. « Toute la bataille de la campagne vise les gens du milieu qui n’ont pas encore pris leur décision », croit-il. Il ajoute que « si le gouvernement libéral est minoritaire, le premier ministre devra démissionner parce qu’il aura déclenché des élections pour obtenir exactement la même chose qu’avant ». « Le propre parti de [Trudeau] en aura assez de lui. » Il se demande « s’il y aurait suffisamment de sièges pour créer une coalition entre le Parti conservateur et le Parti populaire du Canada », mais pense que « les conservateurs craindraient le contrecoup de l’image raciste et fasciste, et qu’ils ne saisiraient pas cette occasion ».

Brett Bohaichuk, étudiant en histoire et membre de la Première Nation Chipewyan d’Athabasca

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Brett Bohaichuk

« J’espère que les conservateurs seront élus, mais en raison de la façon dont notre système électoral fonctionne, il est difficile pour les provinces de l’Ouest d’obtenir une voix dominante au Parlement quand on rivalise avec le grand nombre d’électeurs et de circonscriptions dans l’Est. » Brett pense que le « climat politique clivé » qui marque ces élections « est en partie la faute des politiciens ». Les politiciens « tracent chacun leur ligne… ce qui se répercute sur les électeurs ».

Port Moody-Coquitlam, Colombie-Britannique : une course serrée

Austin Westphal est diplômé de l’École de journalisme, d’écriture et des médias de l’Université de Colombie-Britannique.

Même si le jour des élections arrive, il est difficile de faire des prédictions sur le résultat de la circonscription de Port Moody–Coquitlam, en banlieue de Vancouver. La course la plus serrée du pays en 2019 s’y est jouée, et elle pourrait très bien l’être tout autant cette fois-ci. Les électeurs attendront peut-être longtemps les résultats de cette course à trois.

Laura Dick, coordonnatrice au développement d’entreprises

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Laura Dick

Elle a déjà voté par anticipation. Le libéral Will Davis était pour elle le choix évident. « Vous devriez voter pour le candidat et le parti qui représentent le plus vos valeurs et pour la plateforme qui correspond le plus à ce en quoi vous croyez. » Si la campagne électorale ne l’a pas fait pencher d’un côté ou d’un autre, elle pense que les libéraux feront avancer le pays sur les grands enjeux. Mais elle pense que la nature controversée de l’élection fait dévier le discours politique dans la mauvaise direction. « Nous devenons trop clivés et trop stridents dans notre discours », dit-elle. « Nous avons du mal à avoir une discussion civilisée sur les différences, les points de vue et les idéologies. » Elle encourage néanmoins tous les Canadiens à voter.

Scott Place, musicien

PHOTO FOURNIE PAR AUSTIN WESTPHAL

Scott Place

Quand il déposera son bulletin de vote lundi, il votera pour la candidate du NPD, Bonita Zarrillo. M. Place l’a rencontrée pour la première fois alors qu’elle était conseillère municipale de Coquitlam en 2016 et il s’est rapidement rendu compte qu’ils partageaient des opinions politiques similaires. « C’est important pour moi de savoir pour qui je vote et d’être satisfait de mon vote », dit-il. La campagne électorale a également renforcé son intérêt pour les néo-démocrates. S’il sait qu’il est peu probable que le NPD prenne le pouvoir, il met en garde contre le vote stratégique. « Cela signifie simplement que rien ne va changer », dit-il. « La politique est comme un iceberg : il faut beaucoup de mouvement sur une longue période pour changer de direction », analyse-t-il, espérant que le NPD pourra influencer la politique au Parlement.

Peter Struk, promoteur immobilier

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Peter Struk

« C’est une élection très inhabituelle », constate M. Struk. « Je ne pense pas que nous ayons déjà eu quelque chose comme ça, où il y a une urgence sanitaire et où les gens votent en fonction de la position des partis sur la question. » Bien que différente des élections précédentes, la campagne laisse beaucoup de questions en suspens. Il aurait aimé voir des débats plus inclusifs, avec le Parti populaire et le Parti libertarien, et de simples candidats interviewés longuement par les journalistes. Malgré une campagne terne à ses yeux, il votera pour la conservatrice sortante Nelly Shin parce qu’il est préoccupé par la façon dont les libéraux ont géré le gouvernement. « Le Parti conservateur a été assez combatif pour essayer de garder son leader au diapason avec ce que pensent les électeurs », conclut-il.