(Montréal) La décision d’un conseil scolaire catholique francophone en Ontario de détruire 5000 livres jugés néfastes pour les autochtones s’est invitée dans la campagne électorale fédérale et sur la scène provinciale.

« Personnellement », Justin Trudeau « n’est jamais d’accord à ce qu’on brûle des livres ». En tant que non-autochtone, le chef libéral croit cependant qu’il a un devoir de réserve par rapport au débat.

« Ce n’est pas à moi, ce n’est pas aux non-autochtones, de dire aux autochtones comment ils devraient se sentir ou comment ils devraient agir pour faire avancer la réconciliation. Nous devons démontrer une compréhension de la tristesse, peut-être de la colère, que beaucoup d’entre eux éprouvent par rapport à la réconciliation et du travail que nous avons encore à faire. »

Le Conseil scolaire catholique Providence, qui regroupe 30 écoles francophones dans tout le sud-ouest de l’Ontario, a brûlé des livres jugés néfastes pour les autochtones dans une cérémonie de « purification par la flamme » en 2019, a appris Radio-Canada. L’idée de brûler les quelque 5000 livres retirés des bibliothèques a circulé, mais a été abandonnée en faveur du recyclage. Parmi les titres retirés, on compte des albums de la série Tintin et Lucky Luke.

Des stéréotypes

Le Conseil scolaire a présenté cette initiative comme un geste de réconciliation envers les peuples autochtones. Suzy Kies, qui se présente comme une « gardienne du savoir autochtone », compte parmi les intervenants qui ont conseillé le conseil scolaire sur cette question. Mme Kies est aussi coprésidente de la Commission des peuples autochtones du Parti libéral du Canada depuis 2016. Elle a mentionné que des « millions de livres » véhiculaient des préjugés sur les autochtones et que ces stéréotypes sont dommageables.

Ces préjugés, Jagmeet Singh dit les avoir observés lorsqu’il était sur les bancs d’école. « J’ai vu des images négatives, des caricatures, une représentation qui ne respectait pas la dignité des communautés autochtones, raconte le chef du Nouveau Parti démocratique (NPD). Je pense qu’on doit changer notre approche dans l’enseignement de nos enfants. »

Erin O’Toole s’oppose au fait de brûler des livres, mais il comprend la décision de bannir les œuvres blessantes pour les autochtones. « C’est possible d’enlever les livres et bandes dessinées sans les brûler, mais on doit avoir une approche de respect sur les questions liées à la réconciliation et à notre histoire. »

Plus tard en après-midi, M. O’Toole a condamné plus fermement la décision du Conseil scolaire. « Un gouvernement conservateur sera engagé à la réconciliation, a-t-il écrit sur Twitter. Mais le chemin de la réconciliation n’implique pas de démolir le Canada. Je condamne fermement le brûlage de livres. »

Au Bloc québécois, Yves-François Blanchet, qui « voue un culte aux livres », s’oppose au bannissement d’œuvre littéraire. « Il y a eu des millions de livres écrits dans l’histoire. Je dirais que la quasi-totalité d’entre eux, selon des époques, véhicule sûrement des idées qu’aujourd’hui on ne cautionne plus, ça va que la Terre serait plate où il reste à peine des conservateurs pour croire à ça, jusqu’à des notions extrêmement discriminatoires à l’endroit de beaucoup de gens dont un sacré paquet à l’encontre aussi des Québécois. On ne va pas toutes les brûler. »

Plutôt que d’y voir une forme de réconciliation, M. Blanchet croit que le Conseil scolaire nie l’histoire plutôt que de contribuer à l’évolution de la société. « On ne fait pas disparaître les erreurs du passé en les niant, a-t-il dit lors d’un deuxième point de presse où il a abordé la question. On ne prévient pas le mal du passé dans le futur en effaçant l’histoire. On s’expose à l’histoire. On l’explique. On démontre comment la société a évolué ou doit évoluer. »

Contre le brûlage de livres à Québec

La décision d’une entité provinciale ontarienne a fait des vagues jusque sur la scène politique provinciale. Le premier ministre François Legault a dénoncé la décision du Conseil scolaire. « Pour moi, brûler des livres, c’est un acte atroce. »

La représentation des autochtones dans la littérature jeunesse mérite une réflexion, mais le brûlage des livres n’est pas la solution, abonde Dominique Anglade, la cheffe libérale. « On peut avoir toute sorte de débats, mais il faut qu’on puisse faire les débats. Brûler les livres, ce n’est pas une manière de faire les débats. »

Paul St-Pierre Plamondon, chef du Parti québécois, a aussi dénoncé le brûlage de livre. « Lorsqu’une société brûle ces livres, c’est rarement une bonne nouvelle. On peut bien sûr remettre en contexte des livres. On peut décider du contenu éducatif qu’on met de l’avant. Lorsqu’on est à brûler des livres, c’est le signe d’une idéologie qui s’extrémise. »

L’Union des écrivains et des écrivaines québécois (UNEQ), dont certaines des œuvres bannies ont été écrites par ses membres, a aussi fait connaître son opposition. « Bien que nous comprenions la liberté d’un conseil scolaire de choisir les livres mis à la disposition des élèves, nous croyons fermement qu’aucun livre ne devrait être détruit ou brûlé pour des raisons politiques ou culturelles dans un pays comme le Canada », réagit l’organisation dans une déclaration écrite envoyée par courriel.

« Il est plus que temps de faire évoluer notre regard sur notre histoire, mais jeter aux flammes (ou aux poubelles) des œuvres du passé, même récent, est un geste lourd de symboles que nous ne pouvons cautionner. »