La présence des manifestants antivaccins aux abords de la campagne de Justin Trudeau appelle-t-elle à une sécurité rehaussée ? Alors que le chef libéral a été visé par des petites pierres lundi, des experts appellent à une « prise de conscience » du risque que ces groupes peuvent représenter si leur mobilisation grandit.

« C’est très sérieux, ce qui se passe. Et la ligne est très mince. Quand on est rendu à lancer des roches à un premier ministre, on n’est pas loin de l’attentat terroriste. Ça va prendre une prise de conscience très sérieuse des politiciens. Il faut une dénonciation claire. Rien ne justifie qu’on s’en prenne à des politiciens de cette façon », martèle l’ex-agent du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) Michel Juneau-Katsuya.

Il affirme qu’en matière de sécurité, l’enjeu est d’autant plus complexe que la plupart des manifestants ne sont pas prévisibles. « Certes, les chefs vont devoir faire davantage attention à l’endroit où ils vont et qui est autour. Mais contrairement à des groupes qui ont des revendications claires, on ne parle pas de leaders organisés ou infiltrables. Ça reste donc assez difficile de réellement prédire le prochain évènement. C’est un gros défi », insiste celui qui a aussi œuvré au sein de la Gendarmerie royale du Canada (GRC).

Pour lui, le principal danger de cette « polarisation » est que la démocratie en paie durement le prix. « La résultante, éventuellement, c’est qu’il n’y aura plus aucun parti politique qui sera en mesure de rallier la population, parce que les pôles d’intérêt vont devenir tellement microscopiques. […] Personne ne veut se lancer en politique à cause du climat actuel », dit M. Juneau-Katsuya.

Le problème auquel on fait face est beaucoup plus grand que la protection d’individus. C’est une dégradation, ou un effritement, du processus démocratique.

Michel Juneau-Katsuya, ancien agent du SCRS

La police de London, en Ontario, a d’ailleurs confirmé mardi avoir ouvert une enquête sur l’incident impliquant Justin Trudeau, lundi. On ignore encore si des accusations seront portées, l’enquête étant toujours en cours. Chose certaine : mardi, au Stade olympique, où Justin Trudeau procédait à une annonce, une imposante sécurité empêchait toute personne non autorisée d’entrer sur le site, signe que la possibilité d’un rassemblement de manifestants était prise très au sérieux. Plusieurs agents étaient sur place.

Un « jeu d’équilibriste »

Au Groupe Sirco, le président Claude Sarrazin – qui a 30 ans d’expérience en sécurité privée – est aussi d’avis qu’il faut sonner l’alarme. « Il faut lancer un message clair, il faut faire comprendre aux gens que ce ne sera pas toléré. Attaquer quelqu’un pour ce qu’il représente, lui lancer des roches, c’est très problématique », explique-t-il.

D’ailleurs, si ces rassemblements se multiplient, ils pourraient changer la façon dont les protocoles de sécurité seront en place. « Plutôt que d’être dans une sécurité de personne, on tombe dans un modèle de sécurité de site. À ce moment-là, on distancie les personnes menaçantes, et on augmente le niveau de distance », ajoute M. Sarrazin.

Mais le problème reste « le jeu d’équilibriste » qui existe entre la sécurité et la politique, poursuit celui qui a déjà participé à la sécurité de deux campagnes électorales provinciales. « Tu ne peux faire élire personne si tu les gardes en sécurité complète. On fait prendre des risques [aux candidats] parce qu’ils veulent être vus, entendus et élus. En ce moment, dans un contexte où les tensions sont exacerbées, pour toutes sortes de raisons, c’est de plus en plus difficile », relate-t-il.

« Les personnes sont beaucoup plus agressives aujourd’hui. En élection dans le passé, on ne voyait pas ce type de réaction très impulsive. C’était une autre époque. Tout le monde va devoir modifier son approche en fonction de ça, c’est certain », confie de son côté un ancien officier de la GRC, qui a travaillé auprès de premiers ministres fédéraux.

Sous le couvert de l’anonymat, cet ex-officier se dit « frappé par le manque de policiers en uniforme lors des annonces des chefs, ainsi que par le manque de barricades ou de clôtures physiques pour séparer l’accès ».

« Ç’aurait pu être un homme armé, ajoute-t-il en parlant de la personne qui a lancé des pierres vers Justin Trudeau. Les temps changent. Les corps de police ainsi que les entreprises de sécurité privée n’auront pas le choix de s’adapter. Ça va prendre un réajustement des pratiques. »

Sur le plan strictement politique, la présence des manifestants pourrait par ailleurs « attirer un capital de sympathie » à Justin Trudeau, sauf que « c’est une arme à double tranchant », dit la politologue Stéphanie Chouinard, de l’Université Queen’s. « On peut très bien faire une utilisation partisane de ces manifestants, notamment sur la vaccination, mais les libéraux devront faire attention de ne pas non plus les instrumentaliser, ce qui pourrait se retourner contre eux », résume-t-elle.

Des évaluations régulières

Jointe par La Presse mardi, la GRC a indiqué par courriel que tout au long de la campagne, elle fera « régulièrement des évaluations des risques et de la menace afin de déterminer le degré de protection à accorder aux chefs et adaptera les mesures de protection qu’elle prend en conséquence ».

L’ordre public, cela dit, « est de la responsabilité de la police locale », précise la sergente Caroline Duval. « La police respectera les droits individuels de liberté d’expression et de manifestation exercés dans les limites de la loi. Cependant, si des gestes illégaux étaient commis, y compris pour troubler l’ordre public, la police interviendra avec mesure et professionnalisme, conformément à la loi », conclut-elle.

Dans un contexte de campagne électorale, c’est la GRC qui est responsable d’assurer la protection complète des chefs des partis politiques canadiens, c’est-à-dire ceux « qui ont le statut de parti officiel à la Chambre des communes ».

(Source : GRC)

233 millions

Coût de la sécurité des participants au Sommet du G7 à La Malbaie, dans la région de Charlevoix, en juin 2018, uniquement pour la GRC.

(Source : Gouvernement du Canada)

Avec William Leclerc, La Presse