(Ottawa) Justin Trudeau doit espérer que l’adage « tel père, tel fils » s’applique aux campagnes électorales.

Son chemin électoral jusqu’à présent a été une copie conforme de celui forgé par son défunt père, Pierre Elliott Trudeau, il y a environ 50 ans et les libéraux espèrent que le modèle se maintiendra, alors que M. Trudeau brigue un troisième mandat.

Père et fils ont tous deux surfé sur une vague de « trudeaumanie » pour obtenir une forte majorité lors de leur première élection en tant que chef libéral, en 1968 et 2015 respectivement.

Une fois au pouvoir, les deux n’ont inévitablement pas complètement répondu aux attentes irréalistes à leur endroit et ont vu leur étoile pâlir quelque peu. Des Canadiens déçus ont réduit leur gouvernement au statut de minorité lors de leur deuxième campagne électorale, en 1972 et 2019.

M. Trudeau père est revenu avec une confortable majorité lors de sa troisième élection en 1974 — un exploit que son fils espère imiter le 20 septembre.

Il reste maintenant à savoir si Justin Trudeau pourra accomplir cet exploit ou même s’accrocher à une minorité. Mais l’historien John English estime que la crise internationale imprévue a semblé lui donner un « second souffle » — comme c’était arrivé à son père.

M. Trudeau père était perçu comme ayant géré avec compétence une crise économique mondiale déclenchée par la flambée des prix du pétrole et l’abandon de l’étalon-or par les États-Unis, a rappelé M. English, ancien député libéral et biographe officiel de Pierre Elliott Trudeau.

De même, la popularité de Justin Trudeau, qui a plongé au lendemain de l’affaire SNC-Lavalin en 2019, a rebondi alors qu’il dirigeait le pays à travers la pandémie mortelle et économiquement dévastatrice de COVID-19.

« M. Trudeau a traversé la crise, et peut-être qu’il n’obtient pas un A+, mais il n’obtient pas un D ou un C non plus », juge M. English.

Au début de la campagne, il était considéré comme un leader efficace « aux yeux d’assez de gens » pour qu’une réélection, que ce soit avec une minorité ou une majorité, semble probable, a-t-il ajouté.

Mais contrairement à son père, qui n’a plongé dans la campagne de 1974 qu’après la défaite de son gouvernement minoritaire par les partis d’opposition à la Chambre des communes, Justin Trudeau a mis fin à son propre gouvernement juste au moment où une quatrième vague de COVID-19 prenait de l’ampleur à travers le pays.

Et cela semble avoir généré un contrecoup qui a coûté à M. Trudeau, du moins au début, une grande partie de la sympathie accumulée pendant la pandémie.

Avant la campagne, le sondeur David Coletto estimait que M. Trudeau se trouvait dans une « position beaucoup plus forte » qu’en 2019.

La proportion de Canadiens qui le considéraient favorablement était plus élevée, le taux d’approbation du gouvernement était plus élevé et près de la moitié des Canadiens pensaient que le pays allait dans la bonne direction, a noté M. Coletto.

Malgré tout, il n’y a pas eu de résurgence de la « trudeaumanie ».

Les premières semaines de la campagne ont démontré que ceux qui détestent Justin Trudeau le font avec une intensité qui, selon certains députés libéraux, les a surpris au porte-à-porte.

Des manifestants ont suivi les traces de M. Trudeau, criant des obscénités et l’accusant de trahison et d’autres crimes, certains brandissant des pancartes montrant le chef libéral sur le point d’être pendu.

M. Trudeau lui-même a déclaré qu’il n’avait jamais vu ce genre d’intense colère, pas même lorsqu’il voyageait, il y a des décennies, avec son père dans l’ouest du Canada, où Pierre Elliott Trudeau avait été vilipendé.

En 2015, Justin Trudeau était le visage frais, jeune et branché de la politique canadienne. Aujourd’hui, à 49 ans, il est l’un des plus âgés parmi les dirigeants politiques nationaux en campagne (le chef du Bloc québécois Yves-François Blanchet est plus âgé à 56 ans).

Le fardeau de gouverner combiné à des fautes — celle d’avoir enfreint à deux reprises les règles d’éthique, par exemple, ou la révélation lors de la campagne de 2019 qu’il avait peint son visage en noir à plusieurs occasions quand il était plus jeune — a fait des ravages.

M. Trudeau n’est plus considéré comme quelqu’un qui fera de la politique différemment, explique M. Coletto. Bien qu’il soit encore largement perçu comme progressiste, on a l’impression que son gouvernement n’agit pas toujours selon ses prétendues valeurs — une vulnérabilité que le chef du NPD Jagmeet Singh, actuellement le chef fédéral le plus populaire, a pu exploiter.

M. Trudeau lui-même y a réfléchi avec une franchise surprenante lors d’une apparition au Forum de la démocratie de l’Université Ryerson en juin.

« Je vais être honnête, un parti libéral progressiste comme le nôtre a du mal à s’opposer aux partis idéalistes progressistes qui peuvent dire : “Non, nous devrions simplement changer le capitalisme. Oui, tout le monde sera d’accord avec cela. Nous allons rendre tout plus juste. Oui, nous devrions arrêter d’avoir une armée. Oui, nous devrions juste fermer les sables bitumineux demain […] ou oui, nous devrions juste réussir la réconciliation en un week-end” », avait-il dit.

« C’est facile de dire ces choses, mais c’est beaucoup plus difficile de faire l’effort de les réaliser. […] Beaucoup de gens, pas uniquement des jeunes, tout le monde veut une solution rapide. »

Dans ce qui a peut-être été un coup voilé contre M. Singh, qui est connu pour son utilisation efficace des médias sociaux, ou simplement une réflexion sur sa propre évolution politique depuis 2015, M. Trudeau a dit aux étudiants de « s’éloigner de (l’idée) voulant que la politique soit cool et tendance, et me voici sur Instagram sur mon vélo ». Il leur a dit de plutôt tenir compte du « travail difficile que nous faisons pour réellement faire pencher la balance vers la justice ».

Mais si M. Trudeau a perdu l’avantage d’être le nouveau visage branché de la politique, il a, selon M. English, gagné l’avantage de l’expérience.

« Il a mûri, il a beaucoup appris sur la politique. »

Et, contrairement à son père notoirement distant, M. Trudeau est comme un poisson dans l’eau quand il fait campagne et rencontre des gens.

Là encore, cependant, la décision de déclencher des élections au milieu d’une pandémie revient hanter M. Trudeau, limitant la taille des foules, entravant sa capacité à créer des liens avec les électeurs et faisant sortir des manifestants anti-vaccin furieux.