Les valeurs des partisans de chaque parti sous la loupe de CROP

Dans les sondages d’opinion réalisés en période électorale, on s’intéresse surtout aux variations dans les intentions de vote provoquées par les stratégies de campagne des partis et par la performance de leurs chefs. On risque alors d’oublier que les choix des électeurs reposent aussi sur des valeurs. C’est ce que la maison CROP a voulu mesurer dans une vaste enquête dont elle a transmis les résultats à La Presse.

Dans le cadre de son sondage annuel nommé Panorama, CROP a collecté des données en ligne, du 26 mai au 23 juillet, auprès d’un panel web. En tout, 6180 questionnaires très détaillés – 239 questions – ont été remplis par des Canadiens de 18 ans et plus, portant sur leurs valeurs et cordes sensibles. Les résultats, comme il se doit, ont été pondérés pour refléter la distribution de la population selon le sexe, l’âge, la langue maternelle, la scolarité et la région des répondants.

Par curiosité, CROP a ajouté des questions sur les intentions de vote des répondants pour les élections fédérales qui s’annonçaient prochaines.

Cela a ainsi permis, en croisant les choix électoraux des répondants à leurs réponses au long questionnaire, de brosser un portrait-robot des électeurs de chaque parti, de déterminer les valeurs, les préoccupations, les attitudes qui distinguent entre eux les électeurs attirés par les diverses formations politiques.

Et ce qu’on voit, ce sont de très importantes différences entre les électeurs de chaque parti. Saviez-vous, par exemple, que les conservateurs croient vraiment moins que la moyenne canadienne à l’égalité des sexes ? Et que les électeurs bloquistes sont plus attachés aux produits locaux ?

La méthode, pour mesurer chaque valeur ou corde sensible, repose sur une note : 100 constitue la moyenne. Plus le chiffre est élevé, plus l’adhésion à cette valeur particulière est forte par rapport au reste de la population. À l’inverse, plus il est bas, plus l’adhésion est faible.

Le Parti libéral

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Les électeurs libéraux se distinguent par un plus grand besoin de défis personnels et le style de vie écologique.

Les électeurs libéraux ? « Je trouve qu’ils incarnent le rêve canadien », résume le grand patron de CROP, Alain Giguère.

Selon les résultats du sondage, ils se distinguent par un plus grand besoin de défis personnels (122) et le style de vie écologique (117). L’identité canadienne (125), de même que l’importance de la supériorité nationale (124) sont des valeurs auxquelles ils adhèrent plus fortement que le reste des Canadiens. Ils sont aussi moins intolérants envers les minorités ethniques (79) et moins critiques envers les grandes entreprises (80).

« Il y a un rêve derrière ce pays-là, explique M. Giguère. Et il n’est pas si différent du rêve québécois. On n’est pas très différents là-dessus. Les moyens sont différents, la façon avec laquelle on va utiliser le gouvernement comme levier pour appuyer ce rêve. Mais, dans le fond, on partage le même. Donc, les électeurs du Parti libéral croient que ce parti est capable d’établir ce pays qui va leur permettre d’aller au bout de leurs possibilités. »

Le Bloc

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Julie Bouchard, candidate du Bloc québécois. L’identité régionale est de loin leur plus grande corde sensible de ses électeurs.

Les électeurs du Bloc, eux, se positionnent avant tout comme les défenseurs des intérêts du Québec. L’identité régionale (191) est de loin leur plus grande corde sensible. Ils ont aussi en commun l’implication des gouvernements (154), les marques et produits locaux (142) et le style de vie écologique (122).

« Ces électeurs se sentent profondément québécois et ils croient à l’implication du gouvernement, analyse M. Giguère. On voit qu’ils sont en concurrence avec le NPD [Nouveau Parti démocratique]. Il y a une sociale démocratie qui s’exprime à travers tout ça. »

Par contre, cette défense de l’identité québécoise passe par une certaine intolérance ethnique (113), note-t-il.

« Il y a cette idée que les communautés ethniques, quand elles arrivent ici, elles ont un bagage culturel, elles ont des mœurs différentes, une façon de se comporter. Le métissage, c’est une volonté de connaître l’autre et de se dire que tout ce beau monde-là va construire une société meilleure dans la diversité. Les électeurs du Bloc n’en veulent pas, de ça. Au contraire, ils voient ça comme une menace. »

Les bloquistes et les conservateurs sont beaucoup moins ouverts au métissage (67) que les libéraux (122) ou les néo-démocrates (140).

La comparaison est toutefois imparfaite parce qu’il s’agit d’une enquête pancanadienne. Les données portent ainsi sur les électeurs canadiens. Dans le cas du Bloc, comme le parti n’est présent qu’au Québec, les données portent uniquement sur les Québécois.

Le NPD

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Les électeurs néo-démocrates prônent notamment l’égalité des sexes, la souplesse de l’identité sexuelle et la primauté de la protection de l’environnement.

Pour leur part, les électeurs du NPD sont préoccupés par les questions environnementales. Ils prônent l’égalité des sexes (147), la souplesse de l’identité sexuelle (145), la primauté de la protection de l’environnement (151), la responsabilité sociale (127), l’entraide (124) et le contrôle de sa destinée (129). Ils sont aussi moins fatalistes (84) et moins intolérants (78) que les autres Canadiens.

« Le NPD, c’est la version canadienne de Québec solidaire, souligne le président de CROP. C’est les pays nordiques dans une perspective totalement idéaliste. »

Le Parti conservateur

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Les électeurs conservateurs adhèrent largement à l’autorité patriarcale et à l’intolérance ethnique.

Les électeurs du Parti conservateur ? L’autorité patriarcale (135), le darwinisme social (139), l’intolérance ethnique (132) sont des valeurs auxquels ils adhèrent largement. En revanche, ils sont deux fois moins sensibles que le reste des Canadiens à la protection de l’environnement (52).

Les notes qu’ils obtiennent pour le métissage (67), la nouvelle famille (68), l’égalité des sexes (83) et l’alarmisme écologique (58) sont toutes inférieures à 100.

« Je ne pensais pas que c’était si pire, lance Alain Giguère. Qu’il y ait un conservatisme moral, très bien, on peut comprendre ça. Mais l’égalité des sexes à 83 ! Ils croient que les hommes sont supérieurs aux femmes. Pour eux, le père de famille doit commander chez lui. Et la protection des emplois passe avant celle de l’environnement. »

Le chef du parti, Erin O’Toole, « dont le discours est un peu progressiste, est à 100 lieues de son électorat », croit-il.

Vert et Populaire

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La valeur dominante des électeurs du Parti vert est l’alarmisme écologique, suivie de la primauté de la protection de l’environnement.

Pour ce qui est du Parti vert, c’est une seule idée : sauver la planète. La valeur dominante des électeurs de ce parti est l’alarmisme écologique (183), suivie de la primauté de la protection de l’environnement (171) et du désir d’harmonie avec la nature (158).

CROP a aussi étudié le profil des électeurs du Parti populaire de Maxime Bernier.

« Pour eux, la fin du monde s’en vient, observe le grand patron de la firme. Mais c’est une apocalypse qui n’est pas écologique. Il y a des gens qui voient qu’il y a une dérive morale dans la société, qui nous mène à la perte autant que l’écologie. C’est leur cas. Ils s’expriment comme s’ils n’avaient aucune conscience des défis écologiques auxquels la planète doit faire face. »

Le cynisme (151), la déconnexion sociale (144), la désobéissance civile (141), le rejet de l’autorité (140), l’intolérance ethnique (179) font partie de leurs cordes sensibles. En contrepartie, ils sont beaucoup moins nombreux que les autres Canadiens à adhérer au style de vie écologique (44), à l’alarmisme écologique (37), au métissage (49) et à l’égalité des sexes (51).