(Ottawa) La cheffe du Parti vert du Canada, Annamie Paul, dit être entrée en politique en sachant très bien que cela apporterait son lot d’imprévu dans sa vie. Jusqu’ici, tous conviendront qu’elle a été servie.

« C’est tel qu’annoncé, une expérience unique pour laquelle vous ne pouvez jamais vraiment vous préparer totalement, témoigne-t-elle. Mais vous savez, vous n’avez qu’à suivre les montagnes russes pendant que vous êtes dedans. »

Mais malgré toute sa résilience à affronter les montagnes russes, même Annamie Paul reconnaît qu’elle n’aurait jamais imaginé devoir affronter le spectre d’un vote de défiance dix mois à peine après avoir remporté la course à la chefferie.

« C’est vrai !, répond-elle en riant. C’est vrai. »

Annamie Paul est une femme pétillante, décontractée, qui arbore un sourire éclatant et qui se donne à fond pour venir en aide aux personnes les plus vulnérables et pour améliorer le système duquel elles dépendent.

Des choses comme les soins de longue durée, un système qui a coûté la vie de son père, l’an dernier, quand une simple infection de vessie n’a jamais été diagnostiquée avant de se transformer en septicémie. La cheffe a passé la majorité des premiers mois de son leadership à tenir des assemblées virtuelles dans le but de trouver des solutions pour réparer ce système défectueux.

Née à Toronto, de parents d’origine caribéenne, Annamie Paul tient sa flamme politique de sa mère qui la traînait enfant dans les assemblées syndicales d’enseignants. Elle a étudié le droit, mais elle se hérisse lorsqu’on la présente comme « une avocate torontoise » alors qu’elle n’a jamais pratiqué le droit.

Après des études de droit à l’Université d’Ottawa, et avoir obtenu une maîtrise en affaires publiques de l’Université Princeton, elle rentre à Toronto et fonde le « Canadian Centre for Political Leadership » qui vise à augmenter la représentation politique de femmes racisées au pays.

Elle a aussi travaillé comme conseillère auprès de la Cour pénale internationale en Belgique et a cofondé un organisme de mentorat en développement durable à Barcelone, en Espagne.

Annamie Paul est mariée à l’avocat en droit international de la personne Mark Freeman et le couple a deux fils.

La politicienne dit adorer le fait qu’on ne pouvait pas la résumer en deux phrases, mais elle est tout à fait consciente que ce n’est plus le cas depuis son accession à la direction du Parti vert. Elle est devenue du même coup la première femme noire et la première femme juive à la tête d’un parti politique national au Canada.

« Je sais aussi que cela va changer des choses et pour le mieux, qu’il y a des gens qui n’avaient peut-être pas envisagé cela possible pour eux-mêmes, qui ne se sentaient peut-être pas représentés et qui le sont maintenant », mentionne-t-elle.

Mais elle enchaîne en soulignant que la diversité doit devenir si banale en politique « qu’une personne comme moi puisse se présenter sans sentir qu’elle doit représenter tout son groupe ethnique ou toute sa religion ou quoi que ce soit d’autre ».

Si le racisme est une chose à laquelle Annamie Paul a été confrontée toute sa vie, la haine a monté d’un cran depuis qu’elle est devenue cheffe. Elle a d’ailleurs récemment lancé un appel à un meilleur effort pour mettre fin aux attaques personnelles alors qu’elle a dû faire face à des menaces de violence sur des forums en ligne.

En juin, elle a aussi affirmé que le racisme et le sexisme se cachaient derrière le complot interne au Parti vert visant à la destituer.

« Première femme de couleur, première personne noire et première femme juive élue pour diriger un parti fédéral majeur — aucune chance que tout se passe comme une promenade dans le parc », a-t-elle écrit en juin dernier.

La tempête grondait à l’intérieur du Parti vert depuis des mois et tout a explosé en juin en réaction à la position d’Annamie Paul sur le conflit israélo-palestinien. Elle avait déclaré que les deux camps devaient diminuer d’intensité et aller de l’avant avec un dialogue constructif, une sortie publiquement critiquée par deux des trois députés verts aux Communes.

La querelle est devenue personnelle lorsque l’un des proches conseillers de la cheffe a accusé des députés et des membres du parti d’antisémitisme et a promis de faire campagne contre eux à la prochaine élection.

Au milieu du chaos, la première députée du parti élue en Atlantique, Jenica Atwin, a traversé la chambre et est allée rejoindre le Parti libéral. Elle est maintenant candidate du PLC dans la campagne actuelle. Cette défection a mis en colère l’ex-cheffe Elizabeth May, qui était une partisane d’Annamie Paul, mais qui n’a rien fait pour l’épauler au cours des derniers mois.

Mme May a décliné notre demande d’entrevue dans le cadre de ce portrait.

Annamie Paul a par ailleurs ignoré Elizabeth May et le seul autre député vert à Ottawa, Paul Manly, en ne les incluant pas dans son cabinet fantôme au moment du déclenchement de la campagne électorale.

Lors d’un récent entretien sur un autre sujet, tout ce que Paul Manly a pu trouver à dire à propos de sa cheffe, c’est qu’elle avait dit de bonnes choses au sujet des soins de longue durée.

Une semaine après le départ de Jenica Atwin, des membres du conseil de gouvernance du parti ont tenté de forcer la cheffe à affronter un vote de défiance, puis ont tenté de révoquer son statut de membre du parti.

Annamie Paul a répliqué en faisant appel à un arbitre qui a mis fin à ces recours, ce qui a poussé certains dirigeants du parti à recourir aux tribunaux.

À la mi-août, le parti a élu un nouveau conseil lors de son congrès. Un conseil comptant plus de supporteurs d’Annamie Paul, ce qui semble avoir apaisé les tensions entre la cheffe et le siège social du parti.

L’argent demeure un grave problème pour les verts. Avec les factures d’avocats qui s’empilent dans les centaines de milliers de dollars, la cheffe se trouve limitée dans sa capacité de déplacement pour mener une campagne efficace à l’extérieur de Toronto.

Elle tente de se faire élire pour la troisième fois dans la circonscription de Toronto Cente.

Les chicanes internes sont courantes en politique, mais comme le souligne Shakir Chambers, directeur chez Earnscliffe Strategy Group, la situation des verts atteint un autre niveau.

« C’est difficile de croire qu’à la veille d’une élection, on tente d’évincer sa cheffe, qu’on remette en question son leadership et qu’on tente de la priver de financement pour faire campagne dans sa propre circonscription », énumère-t-il.

« Je ne me souviens pas d’avoir vu une situation semblable », ajoute-t-il.

Pour Zahra Sultani, ex-conseillère du ministre de l’Environnement de l’Ontario et consultante principale chez Loyalist Public Affairs, le Parti vert « vit une crise d’identité ».

Après plus de 14 ans sous le leadership d’Elizabeth May, les verts ne semblent pas trop savoir où ils vont désormais.