Seulement trois jours se sont écoulés depuis le début de cette campagne fédérale, mais déjà, celle-ci est très « agressive », de l’avis d’experts en communication et politologues. Selon plusieurs, l’intérêt de l’électorat – qui se rajeunit – fond à vue d’œil pour les attaques croisées, appelant à une reconfiguration des débats.

« Les campagnes sales qui viennent d’une autre époque commencent à faire leur temps. J’ai le sentiment que les Canadiens s’attendent à autre chose, soit à des propositions beaucoup plus concrètes en ces temps d’après-pandémie où le quotidien a été très difficile », juge le professeur au département de marketing de HEC Montréal Jean-Jacques Stréliski.

Selon celui qui a fait carrière dans les plus grandes agences de publicité québécoises, les partis auraient intérêt « à faire profil bas en matière de publicité strictement électorale ».

Il y a un changement assez récent dans l’air du temps : les électorats rajeunissent et les jeunes ont plutôt envie qu’on leur parle sans détour, plutôt que de se faire des procès d’intention.

Jean-Jacques Stréliski, de HEC Montréal

« On est dans des temps très incertains et il faut être beaucoup plus proches des gens. Tant pour Trudeau que pour ses adversaires, attaquer pour attaquer ne sera pas une bonne stratégie cette année », poursuit-il.

Sur les chapeaux de roue

Pourtant, dès vendredi, les conservateurs d’Erin O’Toole avaient lancé les hostilités électorales en grand, en diffusant une vidéo où on aperçoit carrément un visage de Justin Trudeau superposé au visage d’un personnage du film Willy Wonka au pays enchanté, pointant vers le mot « majorité ».

Rapidement dénoncée comme inappropriée, et ce, au sein même du parti, la publicité a depuis été retirée de Twitter pour des motifs de « droits d’auteur », mais se trouve toujours sur le compte officiel YouTube des conservateurs.

« Une publicité aussi agressive peut rallier les partisans, mais c’est très rare qu’elle convainque des gens indécis. Au Québec, on n’aime pas trop la chicane, on veut que ça se fasse de façon assez civilisée. C’est là une grosse différence avec nos voisins du Sud », analyse Bernard Motulsky, professeur spécialisé en communication à l’Université du Québec à Montréal (UQAM).

Selon Louis Aucoin, stratège en communication et fondateur de l’agence de relations publiques Tesla RP, le « rough and tough » reste toutefois nécessaire pour les conservateurs.

C’est ce que ça leur prend. Et [les conservateurs] sont prêts à aller très loin. On n’est pas dans le langage châtié. Ça va jouer du coude.

Louis Aucoin, stratège en communication et fondateur de l’agence de relations publiques Tesla RP

« Ce qui se passe est dans la logique des choses. Au départ, une campagne, c’est toujours basé sur la définition de l’adversaire. Chaque parti va mesurer dans une semaine ou dix jours si ça a fonctionné. Et c’est après qu’il va déterminer s’il change d’approche », renchérit M. Aucoin.

Zoom sur les slogans

« Avançons ensemble », « Oser ensemble », « Québécois », « Agir pour le Québec » ; les slogans des quatre principaux partis que sont les libéraux, les néodémocrates, les bloquistes et les conservateurs sont pour la plupart très courts et faciles à mémoriser, comme le veut la tradition depuis quelques années. Mais ils expriment tous une idée différente.

Pendant que le premier exprime une « continuité », le deuxième « veut ouvrir la porte sur une nouvelle économie », dit Bernard Motulsky. Et alors que le Bloc québécois veut montrer que le Québec « n’est pas seulement dans son intérêt, mais dans son ADN », le Parti conservateur « est au même endroit que sous Harper ou Mulroney, avec une campagne pro-Québec », insiste Louis Aucoin.

Les pancartes électorales, elles, sont très « simples », selon M. Motulsky. « On y voit le nom du parti, le chef et le candidat, sans forcément de slogan. Elles sont aussi plus petites qu’avant, probablement pour une question d’économie de recyclage. Les grandes manœuvres de communication politique ne sont pas non plus encore lancées », dit-il.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Pancarte électorale du chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, sur le boulevard Saint-Joseph, à Montréal

C’est que la campagne est encore très jeune. « On se demande tous un peu autour de quoi va s’articuler la campagne. Personne n’aurait pu prévoir que l’Afghanistan en serait au cœur en préparant les slogans. Une campagne électorale est toujours très imprévisible », ajoute-t-il.

Comprendre les attaques

De par sa popularité, son passé politique ou ses ambitions futures, chaque parti réserve aussi des attaques bien différentes à ses adversaires, mais chacune d’entre elles permet de mieux comprendre les intentions.

« Par exemple, les libéraux attaquent presque systématiquement les conservateurs sur les coupes et l’austérité, pendant qu’eux attaquent les libéraux sur les scandales et l’équilibre budgétaire, l’après-pandémie. Je ne serais pas surprise de voir le scandale WE Charity ou SNC-Lavalin se faire déterrer pendant la campagne », illustre Stéphanie Chouinard, professeure de science politique à l’Université Queen’s.

Les néodémocrates, eux, « se targuent d’être la raison pour laquelle les libéraux ont été autant généreux, en rappelant que la PCU [Prestation canadienne d’urgence] a été doublée grâce à eux, notamment », rappelle la politologue.

« Enfin, attaquer le Bloc québécois, maintenant qu’il n’est plus autant fragile, revient à l’attaque classique : un vote pour le Bloc est un vote perdu puisqu’il ne fera jamais partie du gouvernement. C’est l’approche des libéraux, pendant que M. Blanchet, lui, risque de riposter éventuellement avec le déclin du français et les langues officielles », conclut Mme Chouinard.