Le premier ministre Justin Trudeau a cogné à la porte de la gouverneure générale, Mary Simon, ce dimanche, pour lui demander de dissoudre le Parlement. Pour les électeurs de la Colombie-Britannique, ce sera une deuxième campagne électorale en moins d’un an. En octobre dernier, si la pandémie était dans le décor, cette fois, la question du climat s’y ajoute, tandis que la province brûle. Pendant ce temps, les macabres découvertes à l’ancien pensionnat autochtone de Kamloops choquent toujours la province.

(Kamloops) Un nouveau scrutin attendu

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Un homme observe samedi les restes d’une maison détruite par l’incendie de forêt de White Rock Lake, à Monte Lake, à l’est de Kamloops.

Les électeurs de la Colombie-Britannique en seront à leur deuxième scrutin en temps de pandémie. En octobre dernier, ils ont confié un mandat majoritaire au néo-démocrate John Horgan, dont le gouvernement a été salué pour sa gestion de la crise sanitaire. Cette fois, ils seront conviés aux urnes par Justin Trudeau alors que la province brûle et suffoque sous la fumée des quelque 270 incendies de forêt en activité.

À Kamloops, samedi, il pleuvait des cendres. Les montagnes qui enclavent la ville sont devenues invisibles, dissimulées par la nappe de fumée qui s’est redéployée sur la ville depuis vendredi matin. La qualité de l’air, elle, était médiocre. La « cote air santé », comme l’appelle le gouvernement canadien, est à 10 +, ce qui signifie un « risque très élevé » – autant dire que les masques, dont le port n’est plus obligatoire en Colombie-Britannique depuis le 1er juillet dernier, trouvent une nouvelle utilité.

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Le brasier de White Rock Lake brûlant à l’ouest de Vernon, en Colombie-Britannique, jeudi

Les températures caniculaires qui ont sévi une bonne partie de la semaine devraient faiblir à compter de ce dimanche, ce qui pourrait donner un peu de répit aux quelque 200 pompiers qui s’échinent à tenter de maîtriser le gigantesque brasier de White Rock Lake, à une heure de route de Kamloops, qui a pris de l’ampleur au cours de la semaine.

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Jennilee Fraser avec sa fille, Willow,
à la plage du parc Riverside, à Kamloops

« Avant, nous avions quatre saisons, mais maintenant, nous avons trois saisons et la saison des incendies : l’été. Je suis ici depuis que j’ai cinq ans et je n’ai jamais rien vu comme ce qu’on a vu dans les dernières années, en particulier cet été », dit Jennilee Fraser, rencontrée jeudi dernier sur la plage du parc Riverside. Elle n’estime cependant pas que le contexte actuel devrait empêcher la tenue d’un scrutin fédéral.

« Ça ne me dérange pas ; peu importe quand l’élection aura lieu, j’irai voter », lance la femme de 39 ans. Et pour elle, l’affaire est déjà entendue : elle fera une croix à côté du nom du porte-bannière orange. « J’aime vraiment Jagmeet Singh. Je trouve que c’est un homme formidable, un homme proche des gens qui comprend la classe ouvrière plus que les grandes entreprises », explique-t-elle en gardant un œil sur sa fille de 6 ans, Willow, qui patauge dans la rivière Thompson.

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Mike MacDonald (à droite)

Sur sa chaise pliante, entre deux manches d’une partie de balle-molle, Mike MacDonald signale qu’il désapprouve totalement la décision de Justin Trudeau de plonger le pays en campagne électorale.

Le moment est mal choisi. Tant que la pandémie ne sera pas terminée, on met les gens en danger.

Mike MacDonald, à propos du déclenchement de la campagne électorale

Le choix de M. MacDonald n’est pas encore arrêté, mais il sait quel enjeu il surveillera : l’économie.

« Je n’ai pas entendu parler du déficit, et le gouvernement Trudeau a dépensé beaucoup d’argent en utilisant la pandémie de la COVID-19 comme prétexte, peut-être dans des secteurs qui n’en avaient pas besoin. Pour moi, ce n’est pas la fin du monde, mais pour les générations futures, j’ai peur. Ce sont elles qui devront payer pour cela », expose le professeur à la retraite de 65 ans.

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Anthony et Darcie Holowchuk

Attablée dans un café, Darcie Holowchuk, elle, compte jeter son dévolu sur le candidat du Parti populaire de Maxime Bernier. « Le Parti conservateur est devenu une pâle copie du Parti libéral », regrette la femme de 45 ans. « Je trouve cela dégoûtant que Trudeau nous lance en élections. » « Il veut obtenir une majorité pour imposer son ordre du jour et continuer à brimer les droits des gens », renchérit son mari, Anthony.

Quel scénario pour les élections ?

À Kamloops, on vote à droite. C’est aussi le cas dans la totalité des circonscriptions limitrophes à l’Alberta. Sur la carte électorale de 2019, l’est de la Colombie-Britannique, plus rural, est peint en bleu, et la côte Pacifique, en orange néo-démocrate. Le rouge libéral, on le voit à Vancouver et dans ses banlieues. C’est le « Lower Mainland », dans le jargon politique britanno-colombien, et il est là, le théâtre de féroces luttes à trois.

Ainsi, si les libéraux ont perdu six sièges et que les conservateurs en ont gagné sept en 2019, c’est davantage dû à cette rude compétition qu’à un enjeu en particulier, croit le professeur de science politique Allan Tupper.

Parfois, c’est le Parti libéral contre le NPD [Nouveau Parti démocratique] ; d’autres fois, le Parti libéral contre le Parti conservateur ; d’autres, le Parti conservateur contre le NPD.

Allan Tupper, professeur de science politique à l’Université de la Colombie-Britannique

Il serait donc hasardeux de s’avancer sur l’issue de la course, soutient-il, car « il y a tout simplement trop de circonscriptions dans le Lower Mainland dont les résultats sont trop difficiles à prédire ». En revanche, l’une des circonscriptions qui pourraient retourner aux libéraux est « celle que [l’ancienne ministre libérale de la Justice] Jody Wilson-Raybould représentait comme indépendante », avance le professeur Tupper.

Son collègue Stewart Prest, professeur de l’Université Simon Fraser, juge que les libéraux arriveront sur les blocs de départ avec un avantage. « Ce sera en partie un référendum sur la gestion de la pandémie », et le gouvernement Trudeau « a somme toute bien fait en comparaison à d’autres pays » avec sa campagne de vaccination. Qui plus est, les gens « semblent vouloir que le gouvernement fasse de grandes choses » comme la création d’un réseau national de garderies, estime le professeur.

La Colombie-Britannique a d’ailleurs été la première province canadienne à adhérer au projet du gouvernement fédéral. Le coup fumant pourrait être bénéfique aux libéraux fédéraux. Et de manière générale, le lancement de la campagne en plein été ne devrait pas leur nuire, selon Allan Tupper. « Je présume que si les libéraux déclenchent des élections, ils calculent que ce ne sera pas un facteur significatif », indique-t-il.

Et les incendies de forêt dans tout ça ? « Je pense que ce sera un enjeu auquel les électeurs vont penser au moment de voter. C’est quelque chose de majeur, même en pleine pandémie », analyse le professeur Prest. Le transfert de vote ne se fera toutefois pas au profit du Parti vert, prédit-il d’ores et déjà : « Le parti est tellement divisé, aux prises avec des querelles internes, qu’il n’est pas concentré sur la bataille électorale. C’est une occasion ratée pour Annamie Paul. »

Sous le soleil de plomb, assise sur sa chaise de plage, Jennilee Fraser espère en tout cas que l’enjeu des changements climatiques – qui n’est pas étranger à la terrible saison des incendies que connaît sa province – sera au cœur de l’élection. « Il est plus que temps que les personnes au pouvoir prennent les changements climatiques plus au sérieux », laisse-t-elle tomber.

Résultats électoraux en Colombie-Britannique

42 sièges sur 338 aux Communes (12 % des sièges)

Résultats de 2019

Parti conservateur 17 sièges (34,1 % des votes exprimés)

Parti libéral 11 sièges (26,1 % des votes exprimés)

Nouveau Parti démocratique 11 sièges (24,4 % des votes exprimés)

Parti vert 2 sièges (12,4 % des votes exprimés)

Résultats de 2015

Parti libéral 17 sièges (35,2 % des votes exprimés)

Nouveau Parti démocratique 14 sièges (25,9 % des votes exprimés)

Parti conservateur 10 sièges (30 % des votes exprimés)

Parti vert 1 siège (8,2 % des votes exprimés)

Sépultures anonymes à l’ancien pensionnat de Kamloops : les familles des disparus se recueillent

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Monument commémoratif face à l’ancien pensionnat de Kamloops, le 15 juillet

C’était au tour de la famille de Diena Jules, jeudi.

Celle qui est à l’origine des fouilles sur le site de l’ancien pensionnat de Kamloops attendait ses proches pour se recueillir sous un chapiteau installé en face du verger où quelque 200 sépultures anonymes avaient été découvertes à la fin de mai.

Il y aura une cérémonie du calumet. On fera aussi brûler de la sauge. Mais d’ici là, une jeune femme désinfecte les chaises où s’assoiront des membres de la famille de Diena Jules. Sous leurs yeux, des dizaines de piquets de bois plantés pour marquer toutes les « anomalies » dans le sol que le radar pénétrant a détectées.

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Diena Jules devant l’ancien pensionnat de Kamloops

Au pied des pommiers maigrichons, des touffes de gazon jaunies, asséchées. C’est qu’on n’arrose plus cette parcelle de terrain, par respect pour ceux qui y sont enfouis, et dont la découverte, grâce aux travaux de la professeure Sarah Beaulieu, de l’Université de la vallée du Fraser, ne serait que la pointe de l’iceberg – il reste 65 hectares à scruter au radar.

C’est Diena Jules, ancienne élève du pensionnat, qui a suggéré de lancer les fouilles. La pandémie avait forcé l’interruption d’un projet de construction sur le terrain, et elle a donc suggéré de consacrer l’argent à ce projet.

On a toujours su ce qui était arrivé ici grâce à la tradition orale. Mais je n’aurais jamais cru qu’il y avait autant [de victimes].

Diena Jules

Depuis un moment, chaque famille autochtone dont un membre a fréquenté l’école se voit accorder une journée pour se recueillir. Administratrice du musée Secwépemc, à un jet de pierre de là, Diena Jules en a accompagné plusieurs. « Beaucoup refoulent leurs émotions. C’est cela que l’Église exigeait. Mais parfois, la marmite déborde », dit-elle doucement.

La veille, c’était la famille de Ted Gottfriedson qui honorait la mémoire des siens, dont on présume qu’ils se trouvent sous le sol. Devant le bâtiment principal de l’ancien infâme pensionnat, sa voix se brise par moments lorsqu’il parle des disparus. « Dans mon enfance, j’ai toujours entendu les rumeurs », commence-t-il.

« Mais jamais on n’avait eu des preuves aussi concrètes, aussi inéluctables de ce qui est arrivé ici. Ç’a été un choc, vraiment », enchaîne le linguiste de 59 ans, qui travaille à la revitalisation de la langue de la communauté tk’emlúps te secwépemc. Il le fait dans un bâtiment du site, dont on veut faire un pôle éducatif.

L’édifice principal qui a abrité les enfants autochtones restera debout. « C’est l’Église qui est à blâmer, pas les briques et le mortier. Et si on le rase, que restera-t-il pour que les gens se souviennent ? », lance-t-il. En ce qui a trait à l’exhumation des dépouilles, elle devrait avoir lieu, même si cela ne fait pas l’unanimité, dit M. Gottfriedson.

Des annonces insuffisantes pour certains

Le gouvernement libéral a multiplié les annonces depuis la macabre découverte, fin mai, prévoyant notamment de l’argent pour la démolition ou la restauration de ces bâtiments et des sommes pour les fouilles. Rien qui impressionne notre interlocuteur.

J’ai voté pour Justin Trudeau. Cette fois, je ne voterai pas pour lui. Il est doué pour les opérations de relations publiques, mais si tu as une personne comme Jody Wilson-Raybould qui jette l’éponge, c’est un signe que le progrès promis n’est pas au rendez-vous.

Ted Gottfriedson

Le premier ministre sortant n’aura pas non plus l’appui de Diena Jules. « Il n’a pas mis les pieds ici. Notre cheffe [Rosanne Casimir] l’a invité, et on n’a pas eu de nouvelles. Je vais voter pour Jagmeet Singh. Lui, il est venu pour marquer son soutien », tranche-t-elle.

Des touristes sur le site

La découverte de Kamloops et celles qui ont suivi ont choqué le pays. Prabdheep Singh, sa femme et leurs deux enfants ont tenu à inscrire une visite sur le site à l’itinéraire de leurs vacances en Colombie-Britannique. « Nous voulions qu’ils sachent ce qui est arrivé. Nous voulions venir ici et nous imprégner de l’histoire, et honorer la mémoire des disparus », dit l’homme d’Ottawa.

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Prabdheep Singh avec son fils près d’un monument commémoratif face à l’ancien pensionnat de Kamloops

Sa fille Nurie, 11 ans, avait entendu parler de ce chapitre de l’histoire canadienne à l’école, cette année. « Je voulais venir ici et le voir de mes yeux. Cette année, j’ai eu des enseignants extraordinaires. On a aussi appris des choses sur le mouvement Black Lives Matter. J’ai beaucoup aimé apprendre tout ça », confie la jeune fille.