(Ottawa) Justin Trudeau craint que le pays ne se réveille sous règne conservateur le 22 octobre prochain. Andrew Scheer redoute une coalition rouge-orange qui plongerait le pays dans l’incertitude. De leur côté, Yves-François Blanchet et Jagmeet Singh invitent l’électorat à ne pas se laisser guider par la peur.

À cinq jours des élections, les chefs des quatre principales formations politiques ont passé la journée au Québec, des élections devenues imprévisibles avec la montée en flèche du Bloc québécois dans les intentions de vote. À les entendre, le temps des annonces est révolu. Il est maintenant temps de fouetter les troupes.

En matinée, le chef libéral, Justin Trudeau, s’est imaginé à voix haute son adversaire conservateur dans des habits de premier ministre. « Le 22 octobre, on pourrait se réveiller avec un gouvernement mené par Andrew Scheer », a-t-il lancé en point de presse au Jardin botanique de Montréal.

PHOTO SEAN KILPATRICK, LA PRESSE CANADIENNE

Justin Trudeau et de nombreux candidats libéraux ont donné un point de presse au Jardin botanique de Montréal hier.

Un stratège libéral assure que son parti n’est pas en proie à la panique. « Il faut rappeler aux gens qu’il y a des conséquences au choix qu’ils feront », a-t-il fait valoir pour justifier cette démonstration de force à laquelle ont participé une trentaine de candidats, dont plusieurs ministres sortants.

La menace du Bloc est à prendre avec un grain de sel, croit cette même source, car « la machine pour sortir le vote est supérieure », et « le Bloc n’a pas la même organisation ». N’empêche, la menace a été clairement sous-estimée, estime une autre source libérale : « Cet été, au quartier général, on disait que le Bloc était mort. »

Résultat : on a concentré les efforts de recherche d’informations embarrassantes sur les candidats conservateurs et on a souligné à grands traits les positions d’Andrew Scheer sur le mariage entre personnes du même sexe et l’avortement. « Ça a peut-être trop bien marché au Québec », avance la source libérale.

En soirée, Justin Trudeau a publié sur son compte Twitter un message pour dire toute sa fierté d’être québécois. Sur le même réseau social, quelques heures auparavant, il recevait un appui colossal : celui de l’ancien président Barack Obama, qui a suggéré aux Canadiens de confier un second mandat à l’« efficace » premier ministre sortant.

Une coalition « qu’on ne peut se permettre »

L’élan du Bloc nuit aussi au Parti conservateur, qui espérait faire des gains au Québec. Le chef Andrew Scheer a commencé sa journée d’hier à Saint-Jérôme avant de mettre le cap sur l’Ontario, autre champ de bataille électoral crucial.

Dans un aréna d’Essex, en Ontario, il a lancé une mise en garde à l’intention des électeurs canadiens : une coalition entre les libéraux et les néo-démocrates plongerait le pays dans l’incertitude.

Si Justin Trudeau demeure premier ministre avec l’aide du NPD, imaginez un instant ce dont les 100 premiers jours auront l’air : des semaines de négociations en coulisses. Des négociations pour savoir quels députés du NPD seront au cabinet.

Andrew Scheer, chef du Parti conservateur

Et à cela s’ajouteraient « des demandes sans fin du NPD pour des taxes plus élevées », ce qu’ils arracheraient « en négociant derrière des portes closes pour savoir à combien peuvent s’élever les hausses de taxes et d’impôt », a ajouté le chef Scheer.

Jamais le Parti libéral et le Nouveau Parti démocratique n’ont dit qu’ils scelleraient une coalition formelle où le conseil des ministres est composé de députés des deux partis, chose rarissime dans l’histoire politique du Canada.

La peur, pas un moteur

À ces épouvantails agités par ses adversaires, le chef bloquiste Yves-François Blanchet répond ceci : « Le sentiment de peur, je pense qu’il ne marche plus », a-t-il lancé en point de presse à La Prairie, hier.

« On a souvent utilisé le sentiment de peur à l’encontre de gens plus vulnérables, de nos retraités qui sont souvent plus vulnérables. Mais vous savez, les retraités aujourd’hui au Québec, c’est la génération qui a élu René Lévesque. C’est des gens qui ne sont plus sensibles aux arguments de la peur », a-t-il ajouté.

Son vis-à-vis néo-démocrate, Jagmeet Singh, a abondé dans ce sens. « Ne laissez pas la peur guider votre vote », a-t-il conseillé en point de presse à Hudson, la ville natale de Jack Layton, à la barre du NPD de 2003 à 2011.

« Rien de bien dans la vie ne vient d’une décision prise à cause de la peur […] Votez avec votre cœur, votez avec votre espoir, votez pour ce en quoi vous croyez », a plaidé celui dont la formation, en hausse dans les intentions de vote, gruge des appuis progressistes au Parti libéral.

Cap sur Toronto

Les néo-démocrates pourraient d’ailleurs récupérer quelques sièges du centre-ville de Toronto perdus de justesse il y a quatre ans. Les circonscriptions de Toronto–Danforth, de Parkdale–High Park et de Davenport pourraient redevenir orange.

Jagmeet a rendu la campagne excitante. Les gens sont enthousiastes à l’idée de voter pour le NPD, et je pense que ça se propage dans d’autres circonscriptions ici dans le centre.

Le néo-démocrate Andrew Cash, candidat dans Davenport

« Il y a une solide base néo-démocrate ici », fait-il valoir, rappelant que dans Davenport comme dans Toronto–Danforth [l’ancien fief de Jack Layton] et Parkdale–High Park, les libéraux l’avaient emporté par des marges d’environ 2 % en 2015.

Des reculs ici comme dans les banlieues qui ceinturent la Ville Reine, la « GTA » (Greater Toronto Area) seraient difficiles à encaisser pour les libéraux. Et dans la GTA, plusieurs observateurs s’attendent à ce que les troupes de Justin Trudeau baissent pavillon.

Le chef libéral reste au Québec pour la deuxième journée d’affilée aujourd’hui.

Son rival conservateur, de son côté, s’en va courtiser l’électorat de la GTA. Mais il sera de retour sur le sol québécois demain pour des événements dans les circonscriptions de Beauce et de Drummond.

— Avec Simon-Olivier Lorange et Fanny Lévesque, La Presse, et La Presse canadienne