(Ottawa) Les récentes secousses dans les intentions de vote font du Québec un objet de convoitise. Le chef conservateur Andrew Scheer était de passage dans la région de la Capitale-Nationale, hier, et son adversaire libéral Justin Trudeau fera campagne dans la province aujourd’hui et demain.

En plus de se surveiller mutuellement, les deux leaders ont dans leur viseur le chef bloquiste Yves-François Blanchet, dont la percée dans les sondages vient chambouler les plans. Chacun y va d’un appel au vote stratégique, alors que le « mot en c » – coalition – s’impose dans la conversation avec la perspective d’un gouvernement minoritaire.

« [Élire] plusieurs députés du Bloc ferait en sorte que Justin Trudeau resterait premier ministre », a argué Andrew Scheer en point de presse dans le Vieux-Québec. Il n’a jamais voulu évoquer le scénario de l’élection d’un gouvernement conservateur minoritaire. « Mon rôle est de gagner un gouvernement majoritaire […] et je vais le faire », a-t-il dit.

Car le Québec n’a « pas besoin de M. Blanchet », qui va « travailler avec le Parti québécois contre [François] Legault » au lendemain du scrutin du 21 octobre, sa priorité étant « un nouveau référendum », a pesté le leader conservateur.

Ses attaques frontales ne sont d’ailleurs pas étrangères au fait que sa formation est passée en troisième place au Québec.

Les libéraux, qui avaient remporté 40 sièges sur le sol québécois en 2015, conservent la position de tête dans la plupart des récents sondages, mais ils se font sérieusement chauffer par les bloquistes. En entrevue avec La Presse, Pablo Rodriguez, coprésident de la campagne libérale au Québec, a cherché à minimiser cette poussée.

« Moi, j’ai vécu la vague orange de 2011 ; j’ai été emporté par la vague. Ce n’est pas ça du tout. Je ne sens pas du tout ça sur le terrain », lance le candidat montréalais, assurant que la stratégie n’a pas changé en raison de la nouvelle donne bloquiste, et que la cible reste « un gouvernement progressiste majoritaire ».

Le Bloc aussi dans la ligne de mire du NPD

Le chef du Nouveau Parti démocratique (NPD), Jagmeet Singh, dont la formation a aussi le vent dans les voiles, fera également escale au Québec aujourd’hui. À Montréal, il tiendra un événement appelé « Les progressistes, c’est nous », signale-t-on dans le communiqué de presse détaillant son itinéraire.

Son bras droit québécois, Alexandre Boulerice, a préparé cette visite en dévoilant, hier, ce pastiche du slogan bloquiste – ce qu’il a fait en bravade, dans la circonscription de Beloeil-Chambly, qu’Yves-François Blanchet espère ravir au député néo-démocrate sortant Matthew Dubé. Là, en entrevue avec La Presse, il a vanté l’« attitude beaucoup plus positive » des troupes du NPD.

« Regardez dans le Parlement minoritaire qui s’en vient : qui va être capable de travailler avec les autres partis pour faire avancer des dossiers ? Le Bloc, son intérêt, c’est montrer que le système ne marche pas. Ultimement, ils ne veulent pas parler à personne », a-t-il dénoncé.

Coalisera, coalisera pas ?

Enthousiaste, le député sortant de Rosemont–La Petite-Patrie a déclaré hier « travailler pour un gouvernement minoritaire du NPD », alors que son chef avait ouvert la porte à une alliance avec les libéraux de Justin Trudeau pour défaire un éventuel gouvernement sous la houlette d’Andrew Scheer, avant de tempérer ensuite ses propos.

Jagmeet Singh a fait le constat qu’il ne serait pas au pouvoir, et donc, il se cherche un partenaire pour former une coalition.

Pablo Rodriguez

À l’instar du premier ministre sortant Justin Trudeau, il refuse d’envisager une telle possibilité : « On a une très bonne chance de former le gouvernement. »

Les libéraux ont raison de ne pas alimenter cette discussion, estime le politologue Jean-François Godbout : « Ce n’est pas dans leur intérêt de faire cela, a-t-il lancé en entrevue avec La Presse. L’objectif reste de gagner une majorité, alors à quoi ça sert de dire qu’on va faire une coalition ? Pour qui les gens vont-ils voter dans ce cas-là ? »

Appeler au vote stratégique n’est par ailleurs pas nécessairement… stratégique. « C’est beaucoup demander à un électeur de réfléchir à savoir qui va gagner dans son comté, qui va former le gouvernement, et c’est ce que démontrent des études », a exposé le professeur titulaire au département de science politique de l’Université de Montréal.

Le Bloc québécois n’a pour sa part offert aucune garantie de collaboration à quiconque pourrait former un gouvernement minoritaire lundi prochain. Le chef Blanchet continue à préconiser l’approche « projet par projet » à ce chapitre.

Une coalition, rare au Canada

On parle beaucoup de coalition, mais dans les faits, il faut remonter à plus d’un siècle dans les annales pour en trouver une « vraie » au Canada. C’était en 1917. Aux prises avec une opposition sur la conscription, en temps de guerre, le conservateur Robert Borden avait ouvert les portes du cabinet à des libéraux favorables à la mesure.

« Si on va en Nouvelle-Zélande, en Australie ou en Grande-Bretagne, on a des exemples de régimes parlementaires du système Westminster avec des coalitions formelles, où il y a échange de portefeuilles entre les partis. Ici, avec le mode de scrutin où il y a plus de majorités artificielles, ce n’est pas dans la tradition », note Jean-François Godbout.

En 2008, en pleine crise économique, Stéphane Dion (Parti libéral), Jack Layton (NPD) et Gilles Duceppe (Bloc québécois) ont tenté de former une coalition. Le premier ministre aurait été M. Dion, et des députés néo-démocrates auraient fait partie de son cabinet. Le premier ministre de l’époque, Stephen Harper, a alors prorogé le Parlement, et au retour de la Chambre, la menace s’était évanouie.

— Avec Simon-Olivier Lorange à Belœil et Gabriel Béland à Québec