(SAINT-NORBERT) Le nom de Ruth Ellen Brosseau faisait sourire pendant la campagne de 2011. Huit ans plus tard, c’est pourtant une députée vedette du Nouveau Parti démocratique qui tente de conserver son siège dans Berthier–Maskinongé, vaste circonscription rurale entre Montréal et Québec. Elle devra toutefois résister à son adversaire bloquiste, poussé par la remontée de son parti dans la province.

« Le turban, je n’aime pas ça. Mais Ruth Ellen, elle est bonne pour nous autres… »

Jeannine Mathurin porte un t-shirt et une coiffure orange, couleur thématique de ce dîner organisé par la Fédération de l’âge d’or à Saint-Norbert. Tout sourire, elle vient de passer quelques minutes à discuter avec sa députée sortante, Ruth Ellen Brosseau. Dans l’attente de son repas, elle n’a que de bons mots pour son élue fédérale.

« C’est une femme simple, elle a un bon contact avec tout le monde », constate-t-elle.

« Moi, ça ne me dérange pas, le turban, rétorque son amie Marie-Reine Belhumeur. Ruth, elle fait toujours ce qu’elle dit. Pour une fois qu’une femme se tient debout comme ça pour nous, je la soutiens à 100 % ! »

Mine de rien, en un instant, les deux dames ont résumé l’essentiel du défi qui se présente à Ruth Ellen Brosseau. Largement plus populaire que son parti dans la vaste circonscription rurale de Berthier–Maskinongé, si ce n’est dans la province, celle que les électeurs connaissent surtout par son prénom doit quotidiennement défendre son chef Jagmeet Singh – et son inévitable turban – dans un coin du Québec qui appuie fortement la Loi sur la laïcité de l’État.

« Les gens sont curieux, ils posent beaucoup de questions », résume Mme Brosseau. Selon elle, pas un jour ne passe sans qu’on lui parle de Jack Layton, maître d’œuvre de la vague orange qui a envoyé la candidate à la Chambre des communes il y a huit ans.

Or, « Jagmeet nous rappelle beaucoup Jack », dit la candidate.

[Jagmeet Singh] est ouvert, authentique, les gens sont attirés par lui. Et ils comprennent qu’il veut lui aussi une séparation de la religion et de l’État.

Ruth Ellen Brosseau, candidate du Nouveau Parti démocratique dans Berthier–Maskinongé

Bonne élève

On connaît bien le parcours de Ruth Ellen Brosseau. « Candidate poteau » envoyée en 2011 dans un bastion bloquiste, elle avait accepté de se présenter seulement pour donner une chance au NPD de récolter quelques votes. Sa mauvaise maîtrise du français, à plus forte raison dans cette circonscription complètement francophone, de même que son voyage à Las Vegas en pleine campagne avaient fait d’elle la risée des électeurs.

Elle a tout de même été catapultée à la Chambre des communes sans faire campagne. Mais les railleries ne l’ont pas suivie à Ottawa.

Cours de français, apprentissage en accéléré de la chose politique : en quelques mois, elle devenait la coqueluche de son parti. Au cours de son deuxième mandat, elle a été successivement présidente du caucus néo-démocrate, leader de sa formation en Chambre, puis whip.

Sa fulgurante progression dans la capitale fédérale n’est pas passée inaperçue dans Berthier–Maskinongé, où elle a vu sa majorité gonfler à presque 9000 voix en 2015.

Pour moi, c’est important d’être une députée de terrain. Oui, c’est important d’analyser les projets de loi, d’être critique envers le gouvernement. Mais il faut aussi montrer qu’on est capable de bâtir des relations. Je voulais apprendre, m’enraciner ici.

Ruth Ellen Brosseau, candidate du Nouveau Parti démocratique dans Berthier–Maskinongé

Pour y arriver, son personnel lui a concocté un « horaire de ministre », divisé entre la région d’Ottawa-Gatineau, où son fils allait à l’école, et sa circonscription, qui est à cheval entre Lanaudière et la Mauricie.

« Tous mes temps libres, j’étais ici. Tous les soupers spaghettis dans les sous-sols d’église, j’étais là », se rappelle-t-elle.

C’est donc une politicienne aguerrie, d’une aisance déconcertante, qui brigue aujourd’hui un troisième mandat. Et qui pourrait devenir l’une des dernières rescapées de son parti au Québec.

Elle veut porter à Ottawa des dossiers comme l’accès à l’internet haute vitesse et au réseau cellulaire dans toute sa circonscription, l’aide aux aînés et aux agriculteurs ainsi que la pénurie de main-d’œuvre – le tout petit casse-croûte Bonaventure, où se déroule notre entrevue, a dû aider une Cubaine à immigrer pour pourvoir un poste de cuisinière.

Et il y a bien sûr la lutte contre les changements climatiques, cheval de bataille principal de son parti pendant la campagne et enjeu palpable dans une région qui a fait les frais des inondations de 2017 et 2019.

Un sondage Mainstreet publié le week-end dernier la plaçait en avance devant son rival bloquiste, mais Ruth Ellen Brosseau insiste pour dire qu’elle ne tient rien pour acquis. Lorsqu’on lui fait remarquer qu’elle pourrait bien être l’une des rares rescapées néo-démocrates le 21 octobre, elle insiste pour dire que le public pourrait être « agréablement surpris ».

« Je suis une éternelle optimiste, tout peut encore changer », dit-elle.

« Chien de garde » à Ottawa

Indice de l’immense territoire que couvre la circonscription, il nous faut rouler 45 minutes vers l’est pour aller retrouver le candidat bloquiste Yves Perron, qui donne un point de presse à Trois-Rivières.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Yves Perron, candidat du Bloc québécois dans Berthier–Maskinongé

À sa deuxième campagne, cet enseignant d’histoire au secondaire, président national de son parti, est gonflé à bloc – sans mauvais jeu de mots.

« En 2015, les gens étaient gentils avec nous. En 2019, ils sont contents de nous voir », raconte-t-il aux quelques représentants des médias locaux.

Il faut dire que le bleu bloquiste est une couleur connue dans la région. Berthier–Maskinongé, dans sa configuration actuelle, avait voté pour le parti indépendantiste de 2004 jusqu’à la vague orange.

D’ailleurs, M. Perron n’est pas surpris de voir sa formation s’imposer de nouveau dans les sondages. À ses yeux, le Bloc répond à un « besoin naturel » des Québécois, celui d’avoir « un chien de garde » à Ottawa.

En 2011, il y a eu la vague de Jack Layton, mais ça n’a rien donné pour le Québec. En 2015, les Québécois sont revenus vers les libéraux, mais là encore on n’a rien eu, on n’a pas été respectés, nos agriculteurs ont été sacrifiés. Après la crise de leadership [du Bloc], il fallait rassembler notre monde. C’est ce qu’on a fait avec Yves-François Blanchet.

Yves Perron, candidat du Bloc québécois dans Berthier–Maskinongé

Même s’il « n’a rien contre » Ruth Ellen Brosseau, M. Perron ne se dit pas impressionné par les accomplissements personnels qu’elle défend aujourd’hui. Il se questionne également sur les positions adoptées par son parti à Ottawa : il rappelle notamment que, mené par Thomas Mulcair, le NPD avait voté en faveur d’une subvention à Terre-Neuve-et-Labrador pour un projet hydroélectrique qualifié au Québec de « concurrence déloyale » pour Hydro-Québec.

À quelques jours du vote, le candidat qui se décrit avant tout comme un « travaillant » prend avec un grain de sel les sondages qui le placent en deuxième place. N’empêche, il ne peut s’empêcher de partager l’enthousiasme qui anime son parti.

« C’est quand même extraordinaire, ce qu’on a réussi à faire en un an, dit M. Perron. On s’est dit qu’on voulait faire une campagne positive, avoir du fun. Et c’est ce qu’on fait. »

Les autres principaux candidats

Christine Poirier, Parti libéral

Josée Bélanger, Parti conservateur

Éric Laferrière, Parti vert

Luc Massé, Parti populaire

Résultats en 2015

Ruth Ellen Brosseau, NPD : 42,17 %

Yves Perron, Bloc québécois : 25,8 %

Pierre Destrempes, Parti libéral : 20,28 %

Marianne Foucrault, Parti conservateur : 10,2 %