(Ottawa) On ne peut pas dire que la confiance règne entre les anciens combattants et les deux principaux partis fédéraux.

Libéraux et conservateurs ont lancé, au fil des ans, d’innombrables promesses à cet électorat qui est par ailleurs loin d’être monolithique.

Andrew Scheer s’est engagé à améliorer la qualité de vie de ceux qui ont été blessés ou victimes de maladie pendant leur séjour au sein des Forces armées canadiennes. Et si certains sont prêts à oublier les mauvais souvenirs laissés par le précédent gouvernement conservateur de Stephen Harper, et si certains en veulent au premier ministre sortant, Justin Trudeau, d’autres, comme le sergent à la retraite Jay Jorgensen, en ont assez et ne savent plus à quel saint se vouer.

« C’est de la bouillie pour les chats, a-t-il lancé. Quand on me dit quelque chose, pour moi, ça veut dire qu’on le fera. Aucun parti ne me l’a démontré par le passé. Je ne peux pas croire qu’ils le feront à l’avenir non plus. »

Il s’agit d’un sentiment partagé par une frange des anciens combattants canadiens ; libéraux et conservateurs sont maintenant confrontés à ce sentiment de frustration.

Les anciens combattants représentent un électorat assez important. Environ 700 000 Canadiens ont déjà porté l’uniforme — sans compter les proches, les amis et les sympathisants. « Ce nombre potentiel d’électeurs n’est pas sans importance, particulièrement en cette année électorale qui verra vraisemblablement l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement minoritaire », écrivait récemment le président du Conseil national des associations d’anciens combattants au Canada, Brian Forces.

Le divorce entre une partie des anciens combattants prend sa source en 2005, lorsque le gouvernement libéral de Paul Martin a supprimé les prestations d’invalidité à vie, pierre angulaire jusqu’alors de l’aide aux militaires blessés en devoir depuis près d’un siècle. La prestation a été remplacée par le versement d’un montant forfaitaire, l’accès à divers programmes de réadaptation et un soutien pour ceux qui ne parviennent pas à se trouver du travail. L’objectif était de mieux aider les anciens combattants à s’adapter à la vie civile. La nouvelle Charte des anciens combattants a par ailleurs été adoptée par tous les partis à la Chambre des communes et mise en vigueur par le gouvernement conservateur de Stephen Harper, élu en 2006.

Depuis, la Charte a subi de nombreux changements, mais aucun n’a semblé satisfaire l’ensemble des anciens combattants, qui dénoncent un soutien financier amoindri et réclament le retour des anciens régimes de pension. En 2012, six anciens combattants handicapés qui avaient été déployés en Afghanistan ont intenté une poursuite contre le gouvernement fédéral, à l’époque dirigé par Stephen Harper.

Le gouvernement Harper a aussi fermé plusieurs bureaux du ministère des Anciens Combattants dans tout le pays et a éliminé des centaines d’emplois, notamment parmi le personnel de première ligne qui travaille directement avec les vétérans. Signe de détérioration des relations entre les conservateurs et les anciens combattants : des images du ministre Julian Fantino cherchant à s’échapper de la femme d’un ancien combattant souffrant du syndrome de stress post-traumatique.

« Vous en demandez trop »

Et vint la campagne électorale de 2015. Au cours d’un discours prononcé à Belleville, en Ontario, à quelques kilomètres de la base de Trenton, le chef libéral Justin Trudeau s’engageait à faire en sorte qu’aucun ancien combattant ne soit obligé de se battre devant les tribunaux contre le gouvernement fédéral afin d’obtenir les prestations auxquels il a droit. Exactement ce que les anciens combattants voulaient entendre.

Mais quatre ans plus tard, la lune de miel est terminée. Si les libéraux ont rouvert les bureaux du ministère, embauché des centaines d’employés et augmenté certains services et prestations, la liste d’attente pour savoir si on est admissible à une aide s’élève maintenant à près de 40 000 personnes. Une hausse du budget de fonctionnement du ministère et du nombre d’employés n’a pas suffi. Et le gouvernement n’a pas réglé le fameux procès intenté en 2012 et n’a pas remis en place les programmes antérieurs, préférant adopter sa propre réforme.

À un manifestant qui lui demandait pourquoi son gouvernement continuait de se battre contre des anciens combattants devant les tribunaux, M. Trudeau a répondu : « parce qu’ils demandent plus que ce que nous pouvons offrir pour le moment ». Comme il fallait s’y attendre, ce commentaire a suscité une forte indignation. Certains y ont vu la preuve du dédain et de la trahison de M. Trudeau envers les anciens combattants.

Andrew Scheer s’est attaqué le week-end dernier au bilan du gouvernement libéral, avant de présenter ses propres engagements. Il a promis de supprimer les délais pour la demande de prestation, de sceller un « pacte » entre le gouvernement et les anciens combattants et de créer un régime de pension fiable et équitable.

Les libéraux n’ont encore rien annoncé à ce sujet tandis que les néo-démocrates et les verts s’engagent à examiner les avantages sociaux dont bénéficient les anciens combattants. Le Parti vert est allé jusqu’à promettre de « rétablir leurs paiements périodiques à ce qu’ils étaient avant 2006 ».

Le major à la retraite Mark Campbell était l’un des six anciens combattants à avoir intenté des poursuites contre le gouvernement. Tout en critiquant vertement le traitement réservé aux anciens militaires par le gouvernement Harper, il se dit prêt à donner une chance à M. Scheer.

« Même si les deux partis ont essentiellement trahi les anciens combattants et rompu leurs promesses, on doit regarder vers l’avenir, a-t-il souligné. Pour le moment, à mon avis, les promesses conservatrices sont très intéressantes à première vue, tandis que les libéraux sont silencieux. »

D’autres, comme le caporal-chef à la retraite Paul Franklin, restent plus circonspects.

« Nous ne faisons pas confiance à ces gars-là, a déclaré M. Franklin. Nous en arrivons presque au point où nous devons voter en fonction des candidats locaux, trouver nos propres raisons pour voter pour un parti ou un autre, ou oublier notre propre contentieux collectif et faire un choix personnel. »