Après être littéralement « sorti du cimetière » – ce sont les mots mêmes utilisés par le chef Yves-François Blanchet –, le Bloc québécois se donne maintenant la permission de rêver à la balance du pouvoir à un mois du scrutin fédéral. Mais le leader de la formation politique ne se berce pas d’illusions : il sait que le pari est ambitieux.

En entrevue éditoriale à La Presse, le chef couronné en janvier est lucide. « On a réunifié un parti », lance-t-il pour illustrer la tâche qui l’attendait lorsqu’il en a pris les rênes.

Ce n’est pas un secret que la formation fondée en 1991 a connu son lot d’embûches depuis quelques années. Il y a encore un an, le parti frôlait l’implosion sous l’ex-chef Martine Ouellet, alors que sept des dix députés claquaient la porte en montrant du doigt un « problème de leadership ». On connaît la suite.

« Le Bloc arrivait avec un passif […] qui peut avoir cassé l’intérêt », admet M. Blanchet, parlant même « d’un spectacle douteux » pendant que sa formation politique ne faisait les manchettes que « pour de mauvaises raisons ».

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Yves-François Blanchet et François Cardinal, éditorialiste en chef de La Presse

La formation revient de loin, donc. Et Yves-François Blanchet a bien l’intention de ramener le Bloc québécois « dans les zones d’influence » à Ottawa d’où il a « complètement disparu » après la vague orange de 2011 avec l’élection de quatre députés. Les élections de 2015 n’avaient guère été plus faciles avec la défaite crève-cœur de Gilles Duceppe, qui était sorti de sa retraite politique pour « sauver » le parti indépendantiste.

« Ça fait plus de huit ans qu’il y a une certaine désaffection [pour le parti], et dans ma vision, quand j’ai accepté de relever ce défi, il y avait le changement de garde presque complet », lance M. Blanchet. Si le nouveau chef bloquiste s’est fixé un « plancher de 20 élus » pour 2019, il se permet de voir encore plus grand.

On va utiliser la balance du pouvoir pour protéger la Loi sur la laïcité, on va mettre de l’avant les outils de francisation, on va réclamer, nous autres aussi, à part les enjeux liés à la sécurité des réfugiés, que ce soit le Québec qui contrôle les outils de l’immigration.

Yves-François Blanchet, qui brigue les suffrages dans Belœil–Chambly

La défense de la langue française, de la culture québécoise – notamment en taxant les géants du web à hauteur de 3 % de leur chiffre d’affaires – et l’arrimage entre « l’écologie et l’économie » sont au nombre des priorités de la formation de M. Blanchet.

« Récupérer du vote québécois »

La balance du pouvoir, comme il l’évoque, est-elle à la portée de sa formation ? « Quand on est sorti du cimetière il n’y a pas si longtemps, il faut se garder une dose de modestie. Moi, je dis que ça ne m’appartient pas », précise-t-il, redoublant de prudence. « Les Québécois vont porter un jugement sur ce qu’on propose et on va partir de là. »

Le scénario n’est peut-être pas si irréaliste alors que la possibilité que le prochain gouvernement soit minoritaire est bien réelle, les troupes de Justin Trudeau et celles d’Andrew Scheer étant au coude-à-coude, tous sondages confondus. Le NPD peine aussi à s’imposer sur l’échiquier politique, ce qui pourrait favoriser le Bloc.

Le Bloc québécois talonne d’ailleurs le Parti conservateur dans les intentions de vote au Québec, avec quelque 20 %, ce qui le place presque en deuxième place, a révélé le dernier sondage Ipsos, mené pour le compte de La Presse et Global News. Dans la couronne nord de Montréal, la formation de M. Blanchet récolte même 29 %, derrière les libéraux (35 %).

« Les Québécois ont déjà voté massivement pour le Bloc pendant de nombreuses années. C’est le NPD qui est venu chercher du vote bloquiste. On va essayer de le récupérer. Les conservateurs et les libéraux sont aussi venus en chercher et on va essayer de le récupérer. On va essayer de récupérer du vote québécois », résume-t-il, avec conviction.

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De gauche à droite : Fanny Lévesque, Paul Journet, François Cardinal, Alexandre Sirois et Yves-François Blanchet

L’oléoduc de la discorde

Le Bloc québécois fait de la « souveraineté environnementale » l’engagement numéro un de sa plateforme électorale en promettant de déposer un projet de loi donnant à Québec « le pouvoir d’accepter ou non les projets sous juridiction fédérale qui concernent l’aménagement du territoire et la protection de l’environnement ».

En d’autres mots, cela veut dire qu’il est hors de question pour le Bloc qu’Ottawa impose la construction d’un oléoduc sur le sol québécois. Le gouvernement de François Legault a aussi été bien clair sur la question : le Québec ne veut pas d’un projet de la sorte.

Pour M. Blanchet, l’enjeu est bien réel, il est « énorme », même, alors que le chef conservateur Andrew Scheer refuse d’écarter la possibilité, s’il est élu, de construire un nouvel oléoduc traversant le Québec au cœur de son corridor énergétique à des fins d’exportation du pétrole de l’ouest.

« C’est une horreur, ce truc-là », lance au passage M. Blanchet au sujet de cette promesse phare des conservateurs.

Mais avec un prochain gouvernement libéral ou conservateur, la bataille est loin d’être gagnée pour le Québec. La Colombie-Britannique, qui cherche à légiférer pour bloquer l’épineux projet de Trans Mountain, vient d’être déboutée en Cour d’appel au motif qu’elle n’en a pas le pouvoir constitutionnel. Pourquoi le sort du Québec serait-il différent ?

En vertu d’une constitution à laquelle on n’a jamais adhéré, on a le droit de te passer un oléoduc à travers la gorge, c’est quand même extraordinaire.

Yves-François Blanchet

« Le Canada va se plier à l’exigence du Québec, que ça ne passe pas, ou bien les Québécois vont se dire : “Mais qu’est-ce qu’on fait là ?” »

« Je ne suis pas pour la politique du pire et j’ai toujours été farouchement opposé à tous ceux qui disaient de laisser les choses aller le plus mal possible pour que ça démontre qu’il faut faire l’indépendance. […] En revanche, si cette obsession-là [du Canada] se maintient, il y a des Québécois qui vont se dire qu’on n’a pas d’affaire là », affirme-t-il.

Le débat sur les oléoducs pourrait ramener l’indépendance au premier plan ? « Ça pourrait, oui, mais est-ce l’objectif ? Pas vraiment », répond M. Blanchet.

Gains pour le Québec

À ce sujet, il assure qu’il souhaite faire son entrée aux Communes dans l’intention d’être « collaboratif » et de ne pas toujours s’inscrire en faux avec le gouvernement fédéral.

« Je pourrais commencer l’analyse de tous mes dossiers en me disant que si le Québec était souverain, ça serait mieux, et j’en suis profondément convaincu », avance-t-il.

« Mais il est vrai que dans l’intervalle, en attendant que l’Assemblée nationale du Québec soit de nouveau dans de telles dispositions d’esprit, il faut qu’on porte et qu’on défende les intérêts du Québec à l’intérieur de ce système bien imparfait », poursuit-il. « On va faire des gains, on va arracher des avantages pour le Québec. »

Et à ceux qui doutent encore de la pertinence du Bloc québécois à Ottawa, Yves-François Blanchet répond : « Lorsque le tiers de la population d’un État est encore favorable à l’idée de souveraineté, je n’accepte pas qu’on me dise que ce n’est pas un enjeu. Je ne renoncerai jamais à la souveraineté du Québec. »

En quelques mots

« Péréquation verte »

Le Bloc québécois se targue d’avoir la plateforme la plus verte des partis fédéraux en lice. Au centre de ses engagements, il propose la « péréquation verte », réforme fiscale qui remodèlerait la taxe carbone et récompenserait les provinces moins polluantes. « La taxe carbone [de Trudeau] est une affabulation qui ne génère aucun revenu pour le fédéral pour lutter contre les changements climatiques », assure celui qui a été ministre de l’Environnement sous Pauline Marois, de 2012 à 2014.

Déclaration de revenus unique

Le Bloc appuie la demande de François Legault pour la mise en place d’une déclaration de revenus unique pour les contribuables québécois. Le chef Blanchet ne croit pas « à la menace » de perte d’emplois au Québec alors que l’Agence du revenu du Canada y embauche quelque 5500 fonctionnaires. « Je pense que c’est une opportunité d’augmenter les emplois et non de les réduire », soutient-il, « par le biais d’une entente administrative entre Ottawa et Québec » misant sur le transfert des compétences. Il cite le centre fiscal de Shawinigan qui a changé de vocation en 2016 pour devenir un centre national de vérification et de recouvrement.

Protéger la gestion de l’offre

Le Bloc québécois entend déposer un projet de loi pour empêcher « toute nouvelle brèche » dans la gestion de l’offre lors de la négociation d’accords commerciaux, mise à mal dans les récentes ententes, estime-t-il. Ce projet de loi pourrait « expressément exclure » la gestion de l’offre des tables de négociation futures. « Il faut mettre un certain nombre de garde-fous là où [un accord] peut devenir nuisible pour les populations », affirme M. Blanchet.

Pas une « succursale de la CAQ »

M. Blanchet accède à la liste de demandes formulées par le gouvernement de François Legault aux chefs des formations fédérales, notamment au sujet de l’immigration et de la Loi sur la laïcité de l’État, parce qu’elles sont à son avis « assez consensuelles » au Québec. En revanche, il se défend d’être « un wagon » ou « une succursale » de la Coalition avenir Québec. « Ce n’est que cohérence, pour le Bloc québécois, que de dire que nous allons promouvoir et défendre les positions de l’Assemblée nationale du Québec au Parlement fédéral », dit-il.

Pas un gérant d’estrade

Le Bloc québécois se défend d’être un « gérant d’estrade », comme l’a prétendu le chef Andrew Scheer, en faisant valoir que la formation indépendantiste n’avait aucune chance d’accéder au pouvoir. « Les électeurs de toutes les circonscriptions du Canada n’élisent pas des ministres. Ils élisent des députés et le travail d’un député, c’est d’être législateur », dit-il. « C’est fascinant [d’entendre Andrew Scheer à ce sujet] parce qu’il vient reconnaître que s’il est réélu dans l’opposition, c’est inutile. Je trouve que c’est un manque de respect grossier envers la démocratie canadienne, pour les élus et les électeurs. »

Présence médiatique

Le Bloc québécois se dit « tributaire de l’espace que l’appareil média » lui donne, ce qui fait tiquer le chef Yves-François Blanchet, qui assure que ce n’est pas là une critique. « C’est un appareil, un contexte » que je connais bien, précise celui qui était analyste politique à Radio-Canada avant de faire le saut en politique fédérale. « Il y a un ensemble de dossiers où nous sommes porteurs d’un grand nombre d’idées, et les occasions de les détailler autrement que dans un clip de 10 secondes sont rares. C’est tellement plus facile de parler du blackface de Justin Trudeau que de parler de la protection de la bourse du carbone », déplore-t-il.