(Montréal) La querelle entre les néo-démocrates et les verts a pris une tournure étrange, lundi matin, dans la circonscription de Longueuil – Saint-Hubert, où le chef du Nouveau Parti démocratique, Jagmeet Singh, a annoncé que l’écologiste Éric Ferland sera le candidat de son parti.

M. Ferland est non seulement un ancien chef du Parti vert du Québec, mais le député sortant de cette circonscription de la banlieue sud de Montréal est l’ancien député néo-démocrate Pierre Nantel, qui a fait défection pour se joindre aux verts.

Les verts et le NPD sont engagés dans une bataille acharnée pour la troisième place le 21 octobre, selon les sondages d’opinion, chacun cherchant à attirer les électeurs progressistes mécontents des libéraux au pouvoir et inquiets face aux changements climatiques. Le chassé-croisé à Longueuil illustre parfaitement cette lutte sans merci entre progressistes.

Selon M. Singh, la décision d’Éric Ferland de passer au NPD prouve que le plan environnemental de son parti « est plus complet » que celui des verts. « Ce qui nous différencie, c’est que nous ne laisserons pas les travailleurs de côté », a-t-il dit à Longueuil, avant d’ajouter aussi : « Nous avons une position solide sur le droit des femmes de choisir. »

DAVID BOILY, LA PRESSE

Pierre Nantel aux côtés de la chef du parti vert, Elizabeth May.

M. Singh a semblé vouloir revenir sur la question de l’avortement qui a été une brève source d’embarras pour la chef du Parti vert, Elizabeth May.

En entrevue à l’émission « Power and Politics » de CBC, Mme May avait déclaré la semaine dernière qu’elle ne pouvait pas interdire à ses députés de voter en faveur d’une éventuelle loi pour restreindre le droit à l’avortement même si elle-même est favorable au libre-choix des femmes sur cet enjeu.

Par la suite, le Parti vert a rappelé que sa politique est que « toutes les femmes doivent avoir accès à des avortements sûrs et légaux », et que « tous les députés du Parti vert doivent appuyer les valeurs du Parti vert ».

Une décision « évidente »

M. Ferland a de son côté qualifié d’« évidente » sa décision de changer de camp. « Pour moi, le NPD a le meilleur plan, un plan vraiment cohérent. […] Pour moi, il était évident de changer de parti et d’aller au NPD. »

Interrogé sur ses allégeances fédéralistes, M. Ferland a admis qu’il avait déjà été souverainiste, tout en précisant que ce sujet « n’est pas sur la table » présentement.

« Dans la vie, on a le droit de changer. Pour le moment, la question de la souveraineté n’est pas importante pour moi », a-t-il dit. « L’important, c’est le climat. »

Les néo-démocrates espèrent clairement que la candidature de M. Ferland — et celle du cinéaste engagé Hugo Latulippe, la semaine dernière — mettra de l’avant leurs compétences environnementales et convaincra les Québécois de soutenir le parti comme ils l’avaient fait en 2011, lorsque les électeurs avaient donné au NPD de Jack Layton la majorité des sièges dans la province.

Depuis cette « vague orange », les néo-démocrates ont toutefois connu des difficultés au Québec et certains se sont demandé si les Québécois, dont plusieurs s’opposent au port de signes religieux par les employés de l’État en situation d’autorité, voteront cette fois pour le NPD de M. Singh.

Porter barbe et turban au Québec

Les activités de lundi font suite à une tournée dans la province, ce week-end, au cours de laquelle M. Singh a promis au Québec de nouveaux pouvoirs en matière d’immigration et le droit de se retirer des programmes fédéraux avec pleine compensation financière. Le NPD soumettrait aussi aux dispositions de la loi 101 les entreprises sous juridiction fédérale — comme les banques et le secteur des télécommunications — si elles sont installées au Québec.

M. Singh a soutenu par ailleurs, lundi, que de porter barbe et turban au Québec est sa façon à lui de défendre les droits de ceux qui s’estiment victimes de la loi sur la laïcité.

Questionné par Patrice Roy sur les ondes de RDI quant à savoir s’il comprenait la méfiance au Québec à l’égard du poids de la religion et des signes religieux, M. Singh a eu cette réponse : « Oui, je suis quelqu’un qui croit fermement dans la séparation entre l’Église et l’État. C’est pourquoi je suis, dans mes croyances personnelles et comme chef du NPD, pour l’avortement, pour le mariage (entre personnes) de même sexe, pour les droits de la personne sans faute, sans doute. »

En entrevue lundi matin à la radio anglaise de Radio-Canada à Montréal, il a dû se défendre de s’être engagé à ne pas participer à la contestation judiciaire de la loi québécoise sur la laïcité. À l’animatrice de CBC qui lui demandait pourquoi il n’irait pas devant les tribunaux pour défendre la liberté de religion, il a répondu qu’il était là, au Québec, portant turban et barbe, preuve qu’il défend ce droit. « Vous avez quelqu’un qui fait campagne dans cette province en arborant des signes de sa foi, ce qui démontre du courage », a-t-il dit.

En français, avec l’animateur Patrick Masbourian, M. Singh a reconnu « la compétence du Québec de légiférer », même s’il estime personnellement qu’il s’agit d’une discrimination fondée sur l’« apparence », contraire aux droits de la personne, et que la Cour suprême le reconnaîtrait éventuellement.

M. Masbourian a par ailleurs tenté de faire dire à M. Singh que le Québec aurait un droit de veto sur tout projet d’infrastructure interprovinciale — comme un oléoduc. « On n’impose jamais un projet (au) Québec si on n’a pas l’appui du gouvernement du Québec », même s’il s’agit d’une question de compétence fédérale, a-t-il assuré, sans reprendre à son compte l’expression « droit de veto ».

« Si on n’a pas l’acceptabilité sociale, il ne faut jamais imposer des projets. »

Et aux bloquistes qui soutiennent que le NPD a pris des positions nationalistes au Québec pour les « copier », M. Singh répond qu’« on peut travailler avec les progressistes du Canada et ceux du Québec ».

« Pour s’attaquer à la crise climatique, il faut travailler ensemble », a-t-il dit à l’animateur Masbourian.