Elle rend hommage à Brian Mulroney, mais s’est lancée en politique, plutôt qu’en religion, pour combattre Stephen Harper. À son récent mariage, il y avait autant d’invités conservateurs que de libéraux. Elle rêve enfin de faire élire 12 députés verts, mais c’est peut-être sa dernière campagne comme cheffe du parti. Suivez le parcours atypique d’Elizabeth May.

C’est Stephen Harper qui a convaincu Elizabeth May de se lancer en politique.

C’était en 2007, un an après qu’il eut chassé les libéraux du pouvoir.

Il fallait, face à ce nouveau premier ministre, quelqu’un pour « dire la vérité » sur les questions environnementales, raconte-t-elle en entrevue à La Presse. Elizabeth May a donc brigué et remporté la direction du Parti vert.

Tout un changement de plan de carrière pour une femme qui, quelques années plus tôt, caressait l’idée de devenir pasteure, elle qui est de confession chrétienne anglicane. Elle avait même entrepris, à temps très partiel, des cours de théologie à l’Université Saint-Paul, à Ottawa.

PHOTO SEAN KILPATRICK, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Elizabeth May prend la pose pour les photographes devant un Stephen Harper amusé, avant le début d’un débat des chefs, à Ottawa, lors des élections fédérales de 2008.

« Elle était très inquiétée par Stephen Harper et le genre de lois omnibus qu’il tentait de faire adopter, elle estimait qu’il était très dangereux pour la démocratie canadienne et elle voulait faire quelque chose », se souvient son amie Holly Dressel, documentariste et ancienne journaliste du réseau anglais de Radio-Canada. « Je n’étais pas très chaude à l’idée », reconnaît-elle, craignant qu’Elizabeth May soit moins efficace au Parti vert qu’elle ne l’était à l’organisation écologiste Sierra Club Canada, dont elle était la directrice.

Elizabeth May n’a toutefois pas toujours eu la même aversion pour les conservateurs.

Hommage à Mulroney

Née au Connecticut, aux États-Unis, en 1954, Elizabeth May a déménagé au Canada en 1973 avec sa famille, dans l’île du Cap-Breton, en Nouvelle-Écosse. Elle a commencé à militer pour l’environnement dans la jeune vingtaine, en s’opposant à l’épandage aérien d’insecticides sur les forêts de la Nouvelle-Écosse. Puis, ce fut contre l’agent orange, que les entreprises forestières utilisaient à l’époque pour contrôler la végétation. Elle est ensuite devenue avocate, toujours pour défendre les causes environnementales.

Puis, en 1986, elle a fait une première incursion dans le monde politique en devenant conseillère principale du ministre fédéral de l’Environnement, Tom McMillan, dans le gouvernement progressiste-conservateur de Brian Mulroney.

« Ça a dérangé beaucoup de gens », se souvient Henri Jacob, militant de longue date et président d’Action boréale, un groupe écologiste, qui encore aujourd’hui digère mal sa proximité avec les politiciens.

Elizabeth May s’en formalise peu ; elle avait justement accepté cet emploi pour « faire le pont » entre les milieux politiques et environnementalistes, à une époque où le gouvernement « travaillait mieux que maintenant », parce qu’il écoutait davantage ses propres fonctionnaires et les scientifiques, explique-t-elle. « Nous avons fait tellement de progrès », se souvient-elle de cette période, évoquant la lutte contre les pluies acides, la protection de la couche d’ozone et l’amélioration de la qualité de l’eau du fleuve Saint-Laurent et des Grands Lacs. Elle démissionnera après deux ans pour marquer son désaccord avec une décision de son ministre.

M. Mulroney reste avec le titre de premier ministre le plus vert, encore aujourd’hui.

Elizabeth May, cheffe du Parti vert

Quel impact ?

Élue pour la première fois en 2011, Elizabeth May a longtemps été la seule verte à la Chambre des communes, à Ottawa.

Tout le monde ne s’entend pas sur l’impact qu’elle a pu avoir sur les grands enjeux.

« C’est certain que son rôle a été limité au Parlement », y étant seule, estime l’ancien chef du Parti vert du Québec et député du Parti québécois Scott McKay, qui lui reproche aussi « une incompréhension profonde du Québec […], un mal qui frappe tous les chefs fédéraux ».

Son influence est cependant plus grande en campagne électorale, période durant laquelle elle peut plus facilement forcer les principaux partis à se commettre », reconnaît-il cependant.

Mais elle risque de diviser le vote, ce qui finirait par nuire à la cause environnementale, déplore Henri Jacob.

Combien d’années le Parti vert va-t-il être là avant d’avoir une chance de prendre le pouvoir ? D’après moi, les problèmes environnementaux vont être rendus irréversibles.

Henri Jacob, président du groupe écologiste Action boréale

La Planète s’invite au Parlement, un groupe qui fait pression sur les gouvernements pour qu’ils adoptent des mesures proportionnelles à la gravité de la crise climatique, relativise l’impact qu’une seule députée peut avoir. « On croit à l’action politique, mais en même temps, on sait pertinemment que peu importe le gouvernement élu, il y a des pressions très, très fortes des lobbys pétroliers, qui sont financés à coup de centaines de millions, [et il faut] une pression citoyenne qui sera au moins aussi forte », affirme l’un des porte-parole du mouvement, François Geoffroy.

« Son travail d’opposition à Stephen Harper a été très remarquable », estime pour sa part le député provincial de Saanich-Nord et les Îles, Adam Olsen, un vert lui aussi.

« Elle a réussi à faire adopter, avec l’appui des libéraux, des tonnes d’amendements » aux projets de loi conservateurs, fait-il valoir, ajoutant que sa présence au Parlement lui permettait d’offrir aux journalistes des arguments scientifiques contre les actions du gouvernement Harper.

Elizabeth May a ensuite joué « un rôle très important » pour pousser le gouvernement de Justin Trudeau à mettre en œuvre le premier plan d’action contre les changements climatiques du Canada, croit le chef du Parti vert du Nouveau-Brunswick, David Coon, lui-même député.

La principale intéressée fait valoir qu’elle a également réussi, depuis qu’elle siège à Ottawa, à faire adopter deux lois de son initiative : la Loi sur la stratégie nationale relative à la maladie de Lyme et la Loi visant à mettre fin à la captivité des baleines et des dauphins. « C’est vraiment rare d’avoir une seule loi [pour un député qui n’est pas au pouvoir], mais j’en ai deux ! », lance-t-elle.

Pour Elizabeth May, il est essentiel que les environnementalistes soient au Parlement depuis que le gouvernement conservateur de Stephen Harper a changé la donne et amené les organisations environnementales à devenir moins militantes, notamment en remettant en question leur statut d’organisme de charité.

« À l’époque où j’étais militante écolo, c’était exactement ce qui [avait le plus d’impact], mais depuis Harper, on doit agir dans le monde politique », analyse-t-elle, attablée dans le restaurant de l’hôtel Le Reine Elizabeth, à Montréal.

Si elle loge dans ce prestigieux établissement, c’est, explique-t-elle, parce qu’il est situé à deux pas de la gare Centrale – elle fait la plupart de ses longs déplacements en train – et qu’il est doté d’une piscine – elle essaie de nager « deux ou trois fois par semaine » depuis qu’elle a été opérée pour remplacer ses hanches. Mais la plupart du temps, la cheffe des verts et son équipe restreinte sont hébergés par des proches. Et ses déplacements locaux sont effectués à bord de voitures électriques conduites par des bénévoles.

Vive les gouvernements minoritaires

Elizabeth May « rêve » d’un Parlement minoritaire où les plus petits partis, dont le sien, bien entendu, pourraient avoir une grande influence sur les décisions du gouvernement, comme c’était le cas à l’époque du premier ministre libéral Lester B. Pearson, qui a dirigé deux gouvernements minoritaires dans les années 60.

C’est ce gouvernement, fortement influencé par le Nouveau Parti démocratique (NPD), souligne-t-elle, qui a mis sur pied « tout notre système de santé, le régime de retraite du Canada, l’assurance-chômage ». À l’époque, il y avait « une approche avec plus de collaboration », qu’elle valorisera souvent au cours de l’entretien.

Car l’important n’est pas le pouvoir – elle répète constamment qu’elle n’aime pas la politique –, c’est le résultat, insiste-t-elle

« Ce n’est pas une politicienne de carrière », affirme Holly Dressel, selon qui Elizabeth May est consciente de la réalité de ses concitoyens parce qu’elle a eu plusieurs emplois dans sa vie, contrairement au chef conservateur Andrew Scheer, qui « n’a jamais eu un vrai boulot » en dehors de la politique. « Elizabeth n’est pas en politique pour faire de la politique, elle est en politique pour changer le monde », affirme l’écotoxicologue Daniel Green, son ami de longue date, chef adjoint du Parti vert et candidat dans Outremont.

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

En compagnie de Daniel Green, chef adjoint du Parti vert et candidat dans Outremont, lors d’un rassemblement partisan à Montréal, le 1er octobre

Elle est « probablement la députée la plus transpartisane » qui soit, ajoute Daniel Green, qui dit admirer sa capacité à « travailler avec tout le monde ». Il en veut pour preuve qu’à son mariage, le printemps dernier, il y avait autant de conservateurs que de libéraux parmi les invités.

Ceux qui l’ont côtoyée louent unanimement son éthique de travail, sa capacité à digérer des tonnes de documents, les comprendre et les expliquer, et son énergie hors du commun. « C’est difficile de travailler à la vitesse d’Elizabeth », lâche David Coon, qui la connaît depuis le début des années 80. « Si vous essayez de la suivre, ne serait-ce que pour une semaine, vous allez finir sur le dos, exténué », rigole son amie Holly Dressel, qui parle en connaissance de cause.

Mais la cheffe des verts n’est pas épuisante que pour les autres ; il peut arriver qu’« elle s’éparpille et se fatigue », reconnaît Daniel Green. « Elle intervient sur tout, lit les projets de loi article par article, propose des amendements », illustre-t-il.

Cela peut lui jouer de mauvais tours, comme lorsqu’elle a voulu, en 2016, déterminer la position du Parti vert sur le conflit israélo-palestinien. « C’était peut-être une excellente idée, mais en pratique, ça a déchiré le parti », constate-t-il avec le recul.

Dernière campagne ?

Même ceux qui ont des réserves quant à son impact réel au Parlement reconnaissent à Elizabeth May le mérite d’avoir donné de la notoriété et de la crédibilité à son parti.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Scott McKay, ex-chef du Parti vert du Québec et député du Parti québécois

Elle a sorti le Parti vert de sa marginalité [et de] ses ornières environnementales.

Scott McKay, ex-chef du Parti vert du Québec et député du Parti québécois

Elizabeth May refuse d’évaluer sa part de responsabilité dans cette évolution du Parti vert, mais elle ne cache pas sa fierté de constater qu’il est aujourd’hui « possible de voter vert et d’élire vert ». À la veille d’élections qu’elle qualifie d’historiques, voire de « référendum sur le climat », elle martèle qu’il faut envoyer au Parlement des élus qui vont s’attaquer à l’urgence climatique. « Nous avons une seule chance de changer les choses. » L’objectif : 12 députés verts, ce qui conférerait à sa formation le statut de parti officiel à la Chambre des communes, avec tous les avantages que cela implique.

Est-ce que cette quatrième campagne sera la dernière de celle qui, à 65 ans, est la doyenne des chefs politiques à Ottawa ?

« Possiblement », pense Daniel Green.

« Je ne croirais pas », affirme pour sa part Holly Dressel.

La principale intéressée tranche : si sa santé le lui permet, elle compte bien briguer les suffrages encore une fois…

« Mais peut-être pas comme cheffe. »

En quelques dates

1954

Naissance au Connecticut, aux États-Unis.

1973

Déménage au Canada avec sa famille, dans l’île du Cap-Breton, en Nouvelle-Écosse.

1978

Acquiert la nationalité canadienne, renonçant du même coup à la nationalité états-unienne, les États-Unis ne permettant pas à l’époque la double citoyenneté.

1983

Obtient un diplôme en droit de l’Université Dalhousie, à Halifax, et entre l’année suivante au Barreau de la Nouvelle-Écosse puis, cinq ans plus tard, à celui de l’Ontario.

1986

Nommée conseillère politique principale du ministre fédéral de l’Environnement, Tom McMillan, dans le gouvernement progressiste-conservateur de Brian Mulroney.

PHOTO FRED CHARTRAND, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Au 13e jour de sa grève de la faim, alors qu’elle est à la tête de la section canadienne du Sierra Club, Elizabeth May, assise dans un fauteuil roulant, est réconfortée par l’écrivaine, militante et présidente du Conseil des Canadiens Maude Barlow, à Ottawa, le 14 mai 2001. 

1989

Devient directrice de la section canadienne du Sierra Club, poste qu’elle occupera pendant quelque 17 ans. À la tête de l’organisation écologiste, elle mènera une grève de la faim de 17 jours en 2001 qui poussera Ottawa à changer sa politique concernant les étangs bitumineux de Sydney, en Nouvelle-Écosse.

PHOTO FRED CHARTRAND, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Entourée de ses partisans, Elizabeth May attend les résultats du vote à l’issue de la course à la direction du Parti vert du Canada, à Ottawa, le 26 août 2006.

2006

Devient cheffe du Parti vert du Canada.

2011

Élue, lors des élections fédérales, députée de la circonscription de Saanich–Gulf Islands, en Colombie-Britannique, elle devient ainsi la première candidate du Parti vert à entrer à la Chambre des communes.

PHOTO DARRYL DYCK, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

En compagnie de Kennedy Stewart (actuel maire de Vancouver et ex-député néo-démocrate de Burnaby–Douglas), elle écoute un agent de la GRC leur lire un ordre de la cour, quelques instants avant leur arrestation.

2018

Arrêtée pour avoir manifesté contre l’agrandissement de l’oléoduc Trans Mountain, dans la région de Vancouver, malgré une injonction du tribunal interdisant toute manifestation autour de certaines installations de l’entreprise Kinder Morgan, elle sera ensuite condamnée à une amende de 1500 $ pour ce geste de désobéissance civile.