(Ottawa) Depuis une décennie, les élections fédérales sont l’occasion pour les partis de formuler divers engagements sur les achats militaires nécessaires au bon fonctionnement des Forces armées canadiennes. 2019 ne fait pas exception.

Cette semaine, le chef conservateur Andrew Scheer a promis de « dépolitiser » le système d’achats militaires en créant de nouveaux organes de surveillance au sein du conseil des ministres et du Bureau du Conseil privé, tout en cherchant à obtenir des consensus à la Chambre des communes lorsqu’un projet sera proposé.

Les libéraux veulent créer une nouvelle agence, Approvisionnement de défense Canada, ce qui laisse entendre que la responsabilité de l’achat du matériel militaire sera retirée aux quatre ministères qui se la partageaient jusqu’à maintenant.

Les néo-démocrates et les verts se sont engagés, sans donner de précisions, à assurer aux militaires canadiens les équipements dont ils ont besoin.

Le problème de l’obsolescence des équipements militaires canadiens remonte à la fin de la Guerre froide lorsque le Canada et ses alliés ont commencé à réduire leurs dépenses militaires après une longue course aux armements.

« Nous avons différé l’achat de nouveaux avions de combat et nous avons fait de même pour notre flotte de frégates, a déploré le vice-président de l’Institut canadien des affaires mondiales et l’un des plus grands experts au sujet des approvisionnements militaires au pays, David Perry. Nous avons adopté la même attitude attentiste pour le programme d’achat d’avions de recherche et de sauvetage à voilure fixe et d’autres projets. »

Non seulement l’armée a dû utiliser le même matériel pour une période plus longue que prévu, mais le ministère de la Défense nationale a perdu en chemin la majorité de ses experts en approvisionnement.

Après les nombreux problèmes logistiques survenus pendant l’intervention militaire en Afghanistan au cours de laquelle l’armée a manqué d’avions de transport, de pièces d’artillerie, de chars d’appui et d’hélicoptères, le gouvernement fédéral a dû acheter de façon précipitée des avions, des obusiers, des hélicoptères et des blindés, sans passer par le processus d’appel d’offres dans la plupart des cas. De nouveaux équipements ont afflué, mais ces programmes ont aussi été marqués par de graves échecs. Des allégations d’avoir modifié les exigences relatives à un nouvel avion de recherche et de sauvetage afin de favoriser une entreprise américaine ont notamment été lancées contre le ministère de la Défense nationale.

Un parcours de combattant

L’achat d’avions de combat a été un véritable parcours de combattant : l’abandon de l’achat d’avions de combat F-35 a ébranlé la confiance de la population envers les capacités gouvernementales à bien gérer le système d’approvisionnement militaire.

Si la plupart des achats militaires sont effectués sans rencontrer trop de complications, ce n’est pas le cas pour les gros contrats uniques, comme ceux pour les chasseurs et les frégates, valant plusieurs milliards de dollars. Ces projets sont cependant essentiels au fonctionnement de l’armée et peuvent profiter aux entreprises et aux collectivités canadiennes pendant des années.

« On essaie d’obtenir le meilleur rapport qualité-prix possible, signale un professeur de l’Université Queen’s, Kim Nossal, auteur d’un livre sur le sujet. Peu de pays ont trouvé un juste équilibre, c’est ce qui est réconfortant. Tous les pays industrialisés, tous nos alliés sont soumis à ce type de pression. Eux aussi s’inquiètent pour les emplois, les coûts et les capacités. »

Chercher à combiner des priorités concurrentes peut provoquer des conflits entre les ministères fédéraux, des poursuites judiciaires intentées par les entreprises et contraindre les politiciens à s’immiscer dans le processus.

Ainsi, quelques secondes après avoir promis de dépolitiser le système d’approvisionnement, M. Scheer s’engageait à négocier l’achat d’un navire de ravitaillement temporaire auprès du chantier naval Davie, de Lévis.

La grande région de Québec, où est située Lévis, fait l’objet d’une grande lutte entre les conservateurs et les libéraux.

Alan Williams, responsable des achats au ministère de la Défense de 1999 à 2005 qui conseille maintenant les entreprises en matière d’achats, compare la promesse de Scheer concernant Davie à celle de Justin Trudeau de ne pas acheter le F-35 en 2015.

M. Williams est un ardent défenseur de la proposition des libéraux de créer un organisme qui sera le seul responsable de l’approvisionnement militaire. M. Perry préfère l’idée des conservateurs de créer un secrétariat et un comité du cabinet afin de permettre une meilleure prise de décision.

Les fournisseurs militaires, eux, craignent qu’un autre chamboulement dans le système retarde tout.

« Nous avons récemment constaté une dynamique positive en ce qui concerne la signature de contrats d’acquisition de produits de défense et le versement d’argent, mentionne la PDG de l’Association canadienne des industries de défense et de sécurité, Christyn Cianfarani. Nous signalons que tout changement majeur au sein de la fonction publique à ce stade-ci pourrait potentiellement ralentir les choses. »

La meilleure chose que tout gouvernement puisse faire est de s’assurer que l’armée dispose d’un plan d’investissement prévisible et financé pour l’achat de tout nouvel équipement promis, ajoute-t-elle.

Kim Nossal suggère aussi d’incorporer un peu de bipartisme dans le système.

« Ce qu’il faut vraiment, c’est que les deux principaux partis, les libéraux et les conservateurs, fassent vraiment une trêve bipartisane et abordent la défense comme ils l’avaient fait dans les années 1970 quand ce processus n’était pas politisé du tout. »