(Markham, Ontario) Si la lutte est aussi serrée que le disent les sondages, les libéraux ne peuvent se permettre de perdre des circonscriptions qu’ils ont ravies aux conservateurs dans la grande région de Toronto en 2015. Markham–Stouffville est de celles-là.

Cette circonscription située dans ce que l’on appelle le « GTA » (pour « Greater Toronto Area »), Jane Philpott l’avait fait passer au rouge en ayant le dessus sur son adversaire conservateur Paul Calandra.

On connaît la suite : après avoir claqué la porte du cabinet dans la foulée de la saga SNC-Lavalin, celle qui a notamment été ministre de la Santé a été éjectée du caucus du Parti libéral et dépouillée de sa nomination à titre de candidate pour la formation.

Cela n’a pas entamé son désir de se faire réélire ; elle y brigue les suffrages à nouveau, cette fois comme candidate indépendante. 

Je ne veux pas avoir l’air arrogante, mais je crois que je suis la meilleure personne pour représenter les citoyens.

Jane Philpott

Dans le quartier résidentiel paisible où elle fait son porte-à-porte, Jane Philpott se fait reconnaître. « Je suis conservatrice, mais vous avez mon vote. Vous avez fait la bonne chose », lui lance Brenda, qui se promène avec son petit chien.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Dans le quartier résidentiel paisible où elle fait son porte-à-porte, Jane Philpott se fait reconnaître. « Je suis conservatrice, mais vous avez mon vote. Vous avez fait la bonne chose », lui lance Brenda, qui se promène avec son petit chien.

Elle serre des mains. Elle sourit.

Le visage de Mme Philpott change d’expression lorsqu’on lui parle de celle que son ex-famille politique a choisi de lui opposer. « J’ai été déçue, parce que je l’ai aidée dans plusieurs campagnes. J’ai cogné à des portes pour elle », laisse-t-elle tomber.

« Ça me semble quelque peu… je ne dirai pas ce que j’allais dire. Mais apparemment, le parti l’a fortement encouragée à se présenter. Elle a le droit de le faire, et donc… c’est correct », souffle la médecin de formation.

Comme de « bons libéraux »

Les libéraux ont en quelque sorte jeté leur dévolu sur son alter ego.

Car Helena Jaczek est une femme, elle est médecin, mais elle est aussi et surtout une ancienne ministre de la Santé – poste qu’elle a occupé au sein du gouvernement libéral ontarien.

« Elle peut certainement [être déçue]… mais écoutez, j’ai été élue en 2007… elle a été élue en 2015 ! réplique l’ancienne élue provinciale. Je l’ai aidée, elle m’a aidée. Comme le font les bons libéraux ! »

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE-

Helena Jaczek est une femme, elle est médecin, mais elle est aussi et surtout une ancienne ministre de la Santé – poste qu’elle a occupé au sein du gouvernement libéral ontarien.

Si elle a dit oui aux libéraux fédéraux, c’est parce qu’elle a été sollicitée. Pas par Gerald Butts ou Katie Telford, qu’elle a côtoyés à Queen’s Park, et qui ont été impliqués dans l’affaire SNC-Lavalin.

Un ministre ontarien du gouvernement Trudeau l’a cependant contactée : « J’ai reçu un appel de Navdeep Bains vers la fin de juin. Je lui ai dit que j’allais me laisser deux semaines pour y penser », relate Mme Jaczek.

Elle juge que dans l’affaire SNC-Lavalin, sa rivale « a fait une erreur, probablement par amitié, avec les meilleures intentions, mais sans tenir compte de la façon dont on se comporte quand on fait partie d’un caucus ».

Division du vote ?

Mais l’erreur que Jane Philpott pourrait bien avoir commise, c’est de mettre en péril le siège dans Markham–Stouffville, insiste Helena Jaczek, en entrevue avec La Presse dans son local électoral, hier.

La division du vote l’inquiète. « Je trouve regrettable la possibilité que certains votes qui seraient allés à la précédente députée sortante permettent au candidat conservateur de filer avec la victoire », affirme celle qui a passé son enfance en Angleterre.

Sa rivale dit ne pas entretenir les mêmes craintes. « La circonscription [redécoupée en 2015] a élu tant des conservateurs que des libéraux au fil des ans, à l’exception d’un indépendant [Tony Roman, dans North York] en 1984 », plaide-t-elle.

Il a été impossible de parler avec le candidat du Parti conservateur, Theodore Antony.

« Il n’est pas disponible avant le début du mois d’octobre. On ne donne pas d’entrevues avant ça, on se concentre sur le porte-à-porte », a tranché son directeur de campagne Paul Marks quand La Presse s’est présentée au local électoral.

L’aspirant député se trouvait dans ledit local, « mais il est au téléphone, il n’a pas le temps de vous parler, il est submergé de travail », a soutenu M. Marks.

Les chances que la circonscription retourne dans le giron conservateur sont bien réelles, croit Nelson Wiseman, professeur au département de science politique de l’Université de Toronto.

« Ils vont gagner facilement, à mon avis, à moins d’un revirement majeur », suggère-t-il en entrevue avec La Presse.

« Le NPD avait seulement obtenu 6 % en 2015. Il n’y a pas beaucoup d’électeurs du NPD qui peuvent aller aux libéraux de toute manière. Alors les conservateurs n’ont qu’à ramasser 3 ou 4 % et ils vont gagner ce siège », expose-t-il.

Quant à Mme Philpott, « elle va arriver troisième. Et elle pourrait arriver loin derrière », prédit le professeur Wiseman.

Philpott et Jaczek sur l'aide médicale à mourir

La Cour supérieure du Québec a invalidé le 11 septembre dernier le critère de la « mort raisonnablement prévisible » énoncé dans la loi fédérale sur l’aide médicale à mourir. Voici ce qu’en disent Jane Philpott et Helena Jaczek, respectivement ministre de la Santé au fédéral (2015-2017) et au provincial (2018).

« Je maintiens que c’était une très bonne mesure législative ; elle a permis à des milliers de personnes de choisir de se prévaloir de l’aide médicale et de s’éteindre en paix », a offert la première, qui a piloté le projet de loi C-14. « Il reste du travail, et les législateurs devront sérieusement envisager quelles seront les prochaines étapes », a-t-elle dit, sans vouloir dire si elle adhérait au critère litigieux ni se prononcer sur la décision que devrait prendre le gouvernement qui sera élu en octobre.

« J’avais le sentiment que la loi était plutôt restrictive, mais je suis tout de même d’avis qu’en matière de législation, il vaut mieux être prudent », a exposé la seconde. « Pour ce qui est du critère de la mort raisonnablement prévisible, je me demandais comment on pouvait l’interpréter. C’est une zone grise. » Et celle qui jure qu’on ne lui a « absolument pas » promis un ministère si elle est élue avance qu’il faudrait « envisager de rouvrir la loi en ce qui concerne le critère de la mort raisonnablement prévisible ».