(OTTAWA) À voir les chefs des différentes formations politiques courtiser les électeurs en multipliant les promesses coûteuses depuis le début de la campagne électorale, certains pourraient être tentés de croire que le gouvernement fédéral engrange d’alléchants surplus depuis une décennie.

Or, les budgets fédéraux sont bel et bien écrits à l’encre rouge depuis 2015 – le déficit s’est élevé à 14 milliards de dollars à la fin de l’exercice financier 2018-2019. Et ils devraient l’être encore pour au moins les cinq prochaines années, selon le choix que feront les électeurs le 21 octobre.

Encore hier, le chef libéral Justin Trudeau a promis de consacrer 6 milliards de dollars sur quatre ans afin de jeter les premières bases d’un régime national d’assurance médicaments et d’améliorer l’accès aux médecins de famille.

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Justin Trudeau, premier ministre du Canada, était de passage à Hamilton, en Ontario, hier.

En fin de semaine, M. Trudeau a proposé de réduire de nouveau le fardeau fiscal des contribuables en fixant à 15 000 $ le montant personnel de base à partir de 2023 pour les contribuables qui gagnent moins de 147 000 $ par année. Le montant personnel de base libre d’impôt se chiffrerait donc à 2000 $ de plus que ce qui était prévu, et la mesure coûterait 5,9 milliards de dollars en 2023.

D’autres engagements pour les personnes âgées (1,63 milliard de dollars en 2020-2021 pour une bonification de la sécurité de la vieillesse) et les jeunes familles (535 millions pour améliorer l’accès aux services de garde) font aussi augmenter la facture de l’ensemble de leurs engagements alors qu’il reste encore près d’un mois à la bataille électorale.

Durant la campagne, les libéraux n’ont pas l’intention de présenter un plan de retour à l’équilibre budgétaire.

Annonces coûteuses

Même s’il promet d’éliminer le déficit dans un horizon de cinq ans sans sabrer les transferts aux provinces pour la santé et l’éducation, le chef du Parti conservateur Andrew Scheer multiplie aussi les annonces coûteuses. Il a été le premier à s’engager à réduire le fardeau fiscal des contribuables en faisant passer le taux d’imposition pour les revenus inférieurs à 48 000 $ de 15 % à 13,75 % – une économie annuelle de 440 $ pour un particulier. Cette réduction graduelle coûterait au fisc 5,8 milliards de dollars en 2023-2024.

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Andrew Scheer, chef du Parti conservateur, était de passage à Vaughan, en Ontario, hier.

Parmi les autres mesures importantes jusqu’ici, le chef conservateur a proposé d’investir 1,5 milliard de dollars durant un premier mandat pour acheter des appareils d’imagerie par résonance magnétique et de tomodensitométrie afin de remplacer l’équipement vieillissant et de rendre les prestations de maternité libres d’impôt (environ 1 milliard de dollars par année).

Le chef du Nouveau Parti démocratique (NPD) Jagmeet Singh a pour sa part annoncé qu’un gouvernement néo-démocrate investirait 10 milliards de dollars dès 2020 pour créer un régime national d’assurance médicaments. Ce même gouvernement investirait 5 milliards de dollars de plus dans la première année et demie de son mandat pour construire 500 000 logements sociaux et abordables. Autre mesure importante, le NPD propose d’accroître le financement fédéral de 2,5 milliards de dollars pour aider les municipalités à adapter leurs infrastructures afin de résister aux changements climatiques.

Le Parti vert, qui a dévoilé l’ensemble de son programme électoral il y a 10 jours, propose diverses mesures pour s’attaquer « à l’urgence climatique », lesquelles devraient permettre de diminuer les émissions de gaz à effet de serre (GES) de 60 % par rapport à leur niveau de 2005 dès 2030, et à les éliminer complètement d’ici 2050. Même si son cadre financier n’a pas encore été dévoilé parce qu’il fait toujours l’objet d’un examen par le directeur parlementaire du budget, le Parti vert promet aussi un budget équilibré d’ici cinq ans.

Le Parti populaire du Canada de Maxime Bernier s’est fixé un objectif plus ambitieux en disant vouloir éliminer le déficit d’ici deux ans. Il propose des coupes dans le programme de péréquation et d’annuler les subventions aux entreprises, entre autres choses, pour respecter cet objectif.

Juguler les déficits

Dans la foulée de la crise des finances publiques des années 90, quand le Canada était décrit par le vénérable quotidien financier Wall Street Journal comme un membre honoraire du tiers-monde en raison de sa dette hors de contrôle, le gouvernement libéral de Jean Chrétien avait été contraint d’administrer un véritable remède de cheval pour juguler les déficits. Le manque à gagner frisait les 39 milliards de dollars en 1992-1993.

Dans son budget de 1995, Paul Martin, ministre des Finances de l’époque, avait notamment mis la hache dans le budget de la Défense nationale et réduit du tiers les paiements de transfert aux provinces. Elles ont dû à leur tour imposer des compressions dans les programmes sociaux comme la santé et l’éducation pour éviter le naufrage financier. La situation l’exigeait. Le tiers des revenus fédéraux servaient à financer les intérêts sur la dette accumulée.

Deux ans plus tard, le gouvernement fédéral affichait un premier surplus en près de 30 ans. En s’imposant une discipline budgétaire, Ottawa a aligné des excédents pendant une décennie qui ont permis de réduire de près de 100 milliards de dollars la dette accumulée. Après avoir durement gagné cette bataille contre les déficits, tous les partis politiques aspirant à prendre le pouvoir jugeaient obligatoire de présenter un cadre financier équilibré sur une période de quatre ans.

Pari audacieux

Aux élections de 2015, même le NPD, longtemps décrit comme un piètre gestionnaire quand il dirigeait des provinces, s’était engagé à présenter des budgets équilibrés. L’ancien gouvernement conservateur de Stephen Harper avait mis les bouchées doubles pour fermer le robinet des dépenses après avoir consacré des dizaines de milliards de dollars à la relance de l’économie canadienne après la grande récession mondiale de 2008.

Seuls les libéraux de Justin Trudeau avaient fait bande à part aux élections de 2015. Ils promettaient des déficits « modestes » de 10 milliards de dollars pour augmenter les investissements dans les infrastructures.

Toutefois, les libéraux s’engageaient à rétablir l’équilibre durant la dernière année de leur mandat. Cette promesse a été jetée aux orties la première année de pouvoir. Le déficit annuel s’est établi en moyenne à environ 20 milliards de dollars. Et le retour à l’équilibre ne fait plus partie du vocabulaire financier libéral.

Malgré ces déficits qui s’additionnent et qui portent la dette accumulée à 671 milliards (une augmentation de 200 milliards de dollars depuis le creux de 2008), le ratio de la dette fédérale par rapport à la taille de l’économie canadienne est demeuré stable à environ 30,8 %. Il s’agit du ratio le plus bas des pays du G7. La situation est aussi nettement meilleure que le ratio de 1995 (66,8 %).

En faisant ce pari audacieux, en 2015, Justin Trudeau a coiffé tous ses adversaires au fil d’arrivée. Il a aussi fait éclater le tabou qui avait fini par envelopper l’idée d’un déficit. En l’espace de quelques années, les mœurs ont bien changé.

Rectificatif
Une version antérieure de cette analyse indiquait que la dette accumulée s’élevait en 2017-2018 à de 771 milliards de dollars. C’est inexact. Elle devrait atteindre cette somme en 2023-2024. En 2017-2018, la dette accumulée s’élevait à 671 milliards de dollars, une hausse de 200 milliards depuis le creux de 2008. Nos excuses.