« C’est inexcusable, c’est une chochotterie institutionnalisée au Parlement. »

Visiblement, le candidat du Parti vert Pierre Nantel en avait beaucoup sur le cœur.

Celui qui était jusqu’à récemment vice-président du Comité des Communes sur le patrimoine canadien n’a retenu aucune attaque envers le libéral Pablo Rodriguez, ministre sortant du Patrimoine, dans un débat électoral sur la culture et les médias organisé hier après-midi à Montréal.

Le représentant du Parti conservateur, Gérard Deltell, n’a pas été épargné non plus.

Sa principale envolée, M. Nantel l’a réservée à la question de la taxation des géants du web, comme Google, Facebook ou Netflix, qui ne paient pas d’impôts, pas plus qu’ils ne perçoivent ou paient la TPS au Canada. L’enjeu, au cœur de la campagne électorale, a été décrit comme « l’éléphant dans la pièce » par l’animatrice du débat, Catherine Perrin.

C’est complètement aberrant que les deux partis dont on soupçonne qu’ils formeront le prochain gouvernement s’entendent pour dire de ne pas charger la TPS à Netflix !

Pierre Nantel, candidat du Parti vert

Quelques instants avant, MM. Rodriguez et Deltell avaient rappelé la position de leur parti respectif. Les libéraux refusent d’imposer une taxe spéciale temporaire – comme l’a fait la France, par exemple – tant et aussi longtemps que le comité chargé de réviser les lois sur la radiodiffusion et les télécommunications n’aura pas remis son rapport. Celui-ci est attendu pour janvier 2020. À ce sujet, Pierre Nantel a raillé les nombreuses étapes qui ont mené à la formation de ce comité au cours des quatre dernières années.

Les conservateurs, pour leur part, s’en remettent aux présents travaux de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) sur la question. « C’est une situation mondiale, qui n’est pas exclusive au Canada ; si on travaille en silo, on n’avance pas », a dit à ce sujet Gérard Deltell. Il a si souvent répété cette phrase que Catherine Perrin, modératrice du débat, en a perdu patience. « Cette réponse-là, on ne peut plus l’entendre ! », s’est-elle exclamée, soutenue par une foule constituée de quelques centaines d’intervenants du milieu culturel québécois.

La candidate néo-démocrate Chu Anh Pham a pour sa part dénoncé le fait que les géants du web « ne paient ni taxes ni impôts sur le revenu » alors qu’ils « engrangent des milliards chez nous ». Elle a en outre affirmé que le Canada était l’un des rares pays membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) à ne pas prélever de taxes auprès des entreprises numériques étrangères.

Députée sortante du Bloc québécois, Monique Pauzé a quant à elle soulevé l’ironie que « Netflix [soit] exempté de TPS, mais qu’on doive payer cette taxe sur les livres québécois francophones », qui appartiennent à une industrie autrement plus précaire.

Aide aux médias

Le débat s’est une nouvelle fois embrasé lorsqu’il a été question de l’aide à apporter aux médias écrits.

En entrevue éditoriale avec La Presse, le chef conservateur Andrew Scheer a récemment expliqué qu’il comptait mettre fin aux deux programmes d’aide fédérale annoncés par les libéraux dans leur dernier budget.

Lui-même ancien journaliste, Gérard Deltell a réitéré cet engagement de son parti hier et en a appelé à l’« autodiscipline » d’une industrie où certains quotidiens ou hebdomadaires sont gratuits et d’autres, payants.

« Si c’est gratuit, plaignez-vous pas que vous n’avez pas d’argent », a-t-il tranché. Il a en outre milité pour une aide généralisée à tous les médias, et non pas seulement aux journaux.

Invoquant la possibilité de créer un fonds d’urgence, Chu Anh Pham, elle aussi ex-journaliste, a fait remarquer que le gouvernement conservateur de Stephen Harper avait consenti un prêt à l’industrie automobile au plus fort de la crise financière de la fin des années 2000, et que le gouvernement libéral de Justin Trudeau avait effacé une dette de 2,6 milliards de Chrysler en 2018. 

Ce n’est pas une honte de réclamer de l’argent pour une industrie aussi importante que la culture.

Chu Anh Pham, candidate du Nouveau Parti démocratique

L’animatrice a également demandé aux candidats s’ils comptaient imposer aux fournisseurs internet de contribuer au Fonds des médias. Celui-ci est actuellement financé par les câblodistributeurs, qui voient leurs abonnements décliner inexorablement à la faveur d’une transition des contenus télévisés vers le web.

Quatre des cinq débatteurs se sont montrés favorables à cette idée. Seul Gérard Deltell a esquivé la question en évoquant que « ce qu’on pense aujourd’hui risque d’être désuet dans cinq ans ».

Les cinq participants se sont toutefois mis d’accord sur l’importance de maintenir le niveau de financement de Radio-Canada – même à le bonifier, dans le cas du Parti vert. Le conflit à l’Office national du film, la révision de la Loi sur les droits d’auteur ainsi que les redevances faméliques versées aux artistes musicaux par les grandes plateformes comme Spotify étaient également au nombre des sujets abordés pendant la discussion, qui a duré un peu plus d’une heure et demie.

Organisé par la Société des auteurs de radio, télévision et cinéma, ce débat s’inscrivait dans le cadre d’une journée complète de tables rondes et de conférences sur la question de l’avenir de la culture et des médias, au Monument-National.