(Québec) C’était au début de l’année. En marge d’une rencontre à Sherbrooke, le nouveau premier ministre François Legault a prévenu son vis-à-vis fédéral Justin Trudeau : il ne se contenterait plus d’engagements vagues, « il est temps de passer à l’action ». La principale revendication du nouveau gouvernement caquiste était alors l’engagement d’Ottawa à permettre que les Québécois n’aient qu’une seule déclaration de revenus à produire, celle de Revenu Québec.

M. Legault avait roulé des mécaniques, souligné qu’avec la proximité des élections fédérales, le gouvernement Trudeau devrait forcément entendre ses doléances. Mais rapidement, Ottawa avait opposé une fin de non-recevoir à cette demande, même si elle avait fait l’objet d’une résolution unanime de l’Assemblée nationale. Près de 5000 emplois de fonctionnaires fédéraux, à Shawinigan et à Jonquière, étaient en jeu. 

Le chef conservateur, Andrew Scheer, se dit quant à lui favorable à la déclaration de revenus unique. De passage à Québec, le chef conservateur avait aussi cautionné le projet coûteux de troisième lien. Mais son projet de « corridor énergétique » pour favoriser le transport du pétrole à travers le pays sera difficile à cautionner par le gouvernement Legault, inquiet de « l’acceptabilité sociale » de ces initiatives.

Dix mois plus tard, les relations entre le gouvernement Legault et Ottawa se sont passablement normalisées. La déclaration de revenus est désormais bien bas dans la liste des priorités de François Legault. Hier, il exhortait tous les chefs des partis fédéraux à ne pas toucher à la loi qui interdit notamment le port du voile pour les enseignantes. Cela fera partie, la semaine prochaine, de l’incontournable « liste d’épicerie » du Québec en ce début de campagne électorale fédérale. Dans le passé, le premier ministre Stephen Harper ne s’était même pas donné la peine de répondre aux « listes d’épicerie » de Jean Charest.

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Le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, et son homologue du Québec, François Legault, à Montréal, en décembre 2018

En dépit du départ compliqué au début de 2019, les rapports entre les gouvernements Legault et Trudeau se sont passablement améliorés au cours des derniers mois.

Québec et Ottawa se sont entendus sur le renouvellement de l’entente sur la formation de la main-d’œuvre – près de 5 milliards sur cinq ans. Québec a obtenu une vieille revendication pour les programmes destinés aux jeunes et aux personnes handicapées.

La facture pour les « irréguliers » du chemin Roxham (250 millions) est aussi réglée. Québec a fait un progrès sur la nomination des juges à la Cour suprême. Ottawa a aussi facilité les choses en discutant avec Montréal pour permettre le financement du tramway de Québec. Le fédéral s’est engagé à offrir des compensations aux agriculteurs touchés par les changements à la gestion de l’offre, une autre demande du Québec.

Du côté de la Coalition avenir Québec (CAQ), M. Legault a rappelé une directive limpide il y a quelques jours : les militants restent libres, mais pour les élus ou pour le personnel politique, pas question d’appuyer un candidat ou un parti durant la campagne qui commence. L’orientation avait été arrêtée en caucus, le printemps dernier. Le calcul est facile du point de vue de la CAQ : les appuis au parti de François Legault se partagent également entre les libéraux, les conservateurs et le Bloc québécois.

Le PLQ derrière le PLC ?

Avec un appui anémique des francophones, le Parti libéral du Québec (PLQ) s’accrochera sans hésiter à la campagne Trudeau, qui semble en avance au Québec. Le chef Pierre Arcand a donné le feu vert il y a quelques jours ; députés, employés et militants peuvent appuyer le candidat de leur choix. Mais on s’attend à ce qu’ils ne prêtent pas main-forte à la campagne du Bloc québécois. 

En 2015, lors des précédentes élections fédérales, le premier ministre Philippe Couillard souhaitait aussi que les libéraux restent discrets s’ils souhaitaient faire campagne, mais bien des députés, à titre personnel, ont donné un coup de pouce au candidat libéral de leur coin. En tant que premier ministre, M. Couillard n’avait pas pris position, tout comme Jean Charest, à qui Stephen Harper avait accordé une représentation à l’UNESCO.

Sous Robert Bourassa, les libéraux ont appuyé les candidats de Brian Mulroney et même ceux du Bloc québécois, après l’échec de l’entente du lac Meech. Par la suite, on a constaté un rapprochement entre le PLQ et le Parti libéral du Canada (PLC).

PQ-Bloc : même combat

Du côté du Parti québécois (PQ), la voie est toute tracée : les députés et les militants doivent appuyer les candidats du Bloc québécois. Yves-François Blanchet et Pascal Bérubé s’entendent bien, ils ont siégé ensemble au gouvernement Marois. Le PQ vient de transmettre à ses membres une invitation à financer le parti frère d’Ottawa – ce qui met nécessairement en veilleuse sa propre campagne. 

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Yves-François Blanchet, chef du Bloc québécois

Défait en octobre 2018, l’ancien député péquiste Stéphane Bergeron tente sa chance avec le Bloc, même si son ancien collègue du gouvernement Marois, Réjean Hébert, porte les couleurs du PLC. Certains vétérans au PQ pensent que si Yves-François Blanchet faisait un très bon score le 21 octobre, il pourrait être tenté d’être candidat à la direction du PQ. Un scénario possible : les problèmes des candidats néo-démocrates au Québec risquent de favoriser le Bloc.

Triangle QS-NPD-Projet Montréal

À Québec solidaire (QS), députés et employés devront aussi afficher une neutralité sans faille. Le printemps dernier, les militants réunis en congrès à Québec ont établi cet ordre de marche sans ambiguïté. Mais à la base, les militants, les sympathisants pourront donner un coup de pouce au parti de leur choix. En coulisses, on s’attend à ce que dans la métropole, le triangle QS-NPD-Projet Montréal soit évident. 

Des candidats en vue du Nouveau Parti démocratique au Québec sont en danger, convient-on chez ces alliés solidaires. Mais les militants de QS ne seront pas si nombreux dans les comités des partis fédéraux, semble-t-il.

Surtout, l’alliance paraît improbable avec le Bloc québécois, une filière normalement naturelle entre partis souverainistes. Aux dernières élections provinciales, Gilles Duceppe avait eu des propos très durs à l’endroit de Manon Massé, critiquant notamment sa façon de parler. Le député Sol Zanetti a rappelé sans ménagement cet impair à Yves-François Blanchet, venu rencontrer les députés de QS à Québec.