Toute l’année, Richard Hétu et Yves Boisvert nous informent sur les élections américaines dans une infolettre envoyée le mardi. Leurs textes sont ensuite repris dans La Presse+, le mercredi.

(London, Kentucky) Le constable Richard Vanhoose reçoit sa commande au comptoir du McDonald’s de Grayson, au Kentucky : 21 biscuits.

« C’est vous qui fournissez le poste au complet ?

– Non, c’est pour mon beau-fils. Il a 21 ans, il est très handicapé, il adore les biscuits. C’est un bon gars. Je me suis marié en septembre. Troisième mariage à 76 ans. Ma femme a 49 ans. Même âge que mon fils. Il dit que je suis un vieux fou. Moi, je lui réponds : “Je t’ai pas dit qui épouser ? Combien avoir d’enfants ? Alors laisse-moi voir qui je veux, me marier avec qui je veux, b… [il se censure] qui je veux.”

– Ça fait quoi, un “constable” ? »

Il m’explique les différents niveaux de police, celle de l’État, celle du comté, le shérif, la police municipale… Au bout de cinq minutes, je comprends qu’il est une sorte d’huissier avec un pistolet et des pouvoirs d’arrestation. Il faut quand même être élu. Son mandat se termine dans trois ans.

« On est payé pour chaque mandat qu’on va livrer. J’ai fait peut-être 10 000 $ l’an dernier. Ils ne fournissent même pas la voiture. Ça, c’est à moi. » Le pensionné de l’armée et des Postes me montre un pick-up d’autant plus géant qu’il est format compact, comme constable.

« Des fois, les gens ne veulent pas ouvrir. Un gars, je lui ai dit : “Ouvre, sinon j’envoie l’antidrogue !” Ça n’a pas été long. Les voisins disent que ça sentait le pot là-dedans à s’étouffer. C’est pas légal ici. Quand j’étais sergent au Viêtnam – parce que je suis un vétéran du Nam, nous, on dit Nam –, souvent, les gars de ma section étaient gelés. Je leur disais : “On va faire quoi si les Charlies attaquent ?” [c’était le surnom du Viet Cong].

– OK, Dick [on est devenus familiers], tu es représentant de la loi, dis-moi un truc. Trump est maintenant condamné par une cour de justice. Ça va changer quelque chose ?

– J’espère bien que non !

– Oui, mais c’est un criminel aux yeux de la loi, tu représentes la loi…

– Il a pas eu sa peine encore.

– Pas grave, il a été déclaré coupable.

– Ça va être cassé en appel. Écoute, il n’est pas plus coupable que tous les autres présidents. Il a fait comme tous les riches, il a payé cette fille. Ça me regarde, moi ? C’est entre lui, sa femme et Dieu Tout-Puissant. Pour moi, ce qui compte, c’est ma maison, ma famille, mon pays. Trump est celui qui va le mieux défendre le pays. Seule chose, Poutine est dangereux. On est engagés envers l’Europe. Mon père a conduit un char d’assaut sous les ordres du général Patton pendant la Seconde Guerre mondiale. Si Trump veut arrêter d’aider l’Ukraine, on devrait l’en empêcher, c’est pour ça que le Congrès existe. »

Je salue le constable pour regagner ma voiture. Mon voisin dans le stationnement baisse la vitre de la sienne.

« C’est un policier, ça ? Ils peuvent donner des contraventions, eux ? »

Je lui explique ce que j’ai compris des pouvoirs d’un constable dans le comté de Boyd, au Kentucky. Je fais une rapide inspection visuelle de l’intérieur de sa bagnole fatiguée. Il y a une vieille chaîne stéréo sur la banquette arrière, un toutou sous le pare-brise et beaucoup de milles au compteur.

Je lui dis en blague : « Tu peux sortir, il est parti… » Il ne rit pas.

« Il se passe quoi, à Grayson ?

– Vraiment rien. Il y a l’usine de jambon là-bas. Moi, je suis journalier dans la construction. Je travaille ici et là. Je veux seulement m’en aller de cette ville, j’en peux plus.

– Pourquoi tu restes ?

– J’ai pas les moyens. Et avec l’enfant… On en a eu deux, mais le premier est mort bébé, les médecins n’ont pas su expliquer. Puis est arrivée ma fille, elle était prématurée. J’ai dit à ma femme : “Si elle survit, ce sera un miracle.” Elle s’appelle Miracle pour ça. Elle a 4 ans, mais moi, 56, tu vois…

– Tu penses quoi des élections ?

– J’ai voté une seule fois dans ma vie. Mon cousin se présentait au conseil. Pour le reste, pourquoi je voterais ? Ça va changer quoi ? Ça n’a jamais rien changé, regarde… »

Il me montre l’intérieur de son vieux Malibu, comme une preuve de la nullité de la politique et de l’inamovibilité de la vie.

« Mais c’est juste mon opinion. Hé, bonne route ! »

Matt Orr sort du restaurant mexicain de London avec sa blonde Martha, son cousin et ses parents.

« Ce que je fais ? Je suis propriétaire d’un centre de mini-entrepôts et je me divorce, c’est ça, mes occupations. Surtout le divorce, je dirais. Ça fait deux ans que ça dure… Ma femme et moi, on était en train de construire notre maison de rêve, mais elle est partie avec l’entrepreneur… »

Il éclate de rire.

PHOTO YVES BOISVERT, LA PRESSE

Matt Orr, ses parents Taylor et Carolyn et un cousin

« Il y avait cette fille qu’on m’a présentée. Elle venait de perdre son mari, il est mort de la COVID à 46 ans… C’est ma copine.

– Il est bien mieux maintenant, approuve son père, Taylor.

– La condamnation de Trump, ça va l’aider, c’est sûr, dit Matt. Ça va galvaniser ses supporteurs. Je me considère comme un indépendant, j’ai voté des deux bords, mais franchement, regarde Biden. Il n’est plus tout là, tout le monde le voit. Trump va continuer à dire des choses absurdes, mais au moins il n’est pas impotent. Donc, si tu es démocrate, la condamnation ne change rien, et tu n’iras pas plus voter. Je pense que plein de démocrates ne sont pas motivés du tout. Et si tu es républicain, tu savais d’avance que ça allait finir comme ça et ça te stimule. Moi, je ne suis pas ça de trop près, c’est trop biaisé partout, mais bon, ça m’avait l’air pas mal conclu d’avance, cette histoire… rien contre les gens de New York, mais ça ne me surprend pas… »

Si ce verdict doit changer quoi que ce soit, l’est très rouge de l’État rouge du Kentucky n’est pas l’endroit pour le mesurer.