Il y aura 60 ans le 20 avril, le premier ministre Jean Lesage rendait publique une entente historique avec le gouvernement fédéral visant notamment la récupération de points d’impôt par la province, procurant ainsi au Québec une plus grande autonomie. Alors que le Québec dénonce depuis très longtemps le déséquilibre fiscal fédéral-provincial, pourquoi ne pas répéter l’exploit autonomiste de 1964 ? Sommes-nous maîtres chez nous au Canada ?

Il faut savoir qu’afin de soutenir son effort de guerre, le gouvernement fédéral demanda aux provinces en 1941 de lui céder temporairement les champs fiscaux de l’impôt sur le revenu des particuliers et des sociétés, en échange de compensations financières. Les provinces acceptèrent en 1942, y compris le Québec sous Adélard Godbout. Mais ce qui devait être temporaire a pris des allures de permanence⁠1.

Utilisant son pouvoir de dépenser, le fédéral a pu, notamment, créer de nombreux programmes conjoints dans les champs de compétence provinciale. Il s’agissait de programmes cofinancés par Ottawa, mais administrés par les provinces.

Duplessis rétablit l’impôt provincial sur le revenu des particuliers en 1954. Lesage alla encore plus loin. En avril 1964, à l’insistance du Québec, le gouvernement du Canada offrit aux provinces de se retirer de certains programmes fédéraux-provinciaux concernant notamment les soins hospitaliers et l’assistance sociale, moyennant compensation. C’est ce que l’on appellera l’opting out.

Lesage retira le Québec de 29 programmes conjoints avec compensation fiscale, alors que les autres provinces préférèrent continuer avec les programmes conjoints.

Par ailleurs, au lieu d’accepter le régime public de pension proposé par le fédéral fondé sur le principe de répartition pay as you go, le Québec a fait la démonstration en mars 1964 de la supériorité de son régime à capitalisation permettant, grâce à l’accumulation de fonds, la mise sur pied de la Caisse de dépôt et placement. Les autres aspects de l’entente concernaient notamment le partage fiscal entre les provinces et Ottawa, les allocations familiales aux jeunes de 16 à 17 ans et les prêts aux étudiants⁠2.

Ébullition politique

Tout le Québec était en pleine ébullition politique en 1964. Le Québec réclamait avec vigueur, leadership et courage une place plus juste et une plus grande autonomie au sein de la Confédération canadienne, et le séparatisme, comme on disait à l’époque, montait en flèche. Les relations fédérales-provinciales au printemps 1964 avaient atteint un grave niveau de crise à telle enseigne que Lesage refusa de participer au point de presse commun avec le premier ministre canadien à la fin de la conférence, le 2 avril 1964⁠3.

Le fédéral sous Lester B. Pearson reconnaissait par ailleurs le principe de l’égalité des deux peuples fondateurs. Il venait de mettre sur pied la commission Laurendeau-Dunton sur le bilinguisme et le biculturalisme fondée sur ce principe d’égalité. Pearson, minoritaire, avait par ailleurs besoin du Québec pour se maintenir au pouvoir et cherchait l’appui de la province au sujet du rapatriement de la Constitution et de la formule d’amendement constitutionnel Fulton Favreau ⁠4.

Pierre Elliott Trudeau siffla la fin de la récréation : fini les folies ! La souplesse du fédéral face aux demandes du Québec, vue à ses yeux comme une faiblesse attentatoire au fédéralisme et à l’identité canadienne, l’aura vraisemblablement incité à plonger dans l’arène politique avec Pelletier et Marchand en 1965 ⁠5.

Il voyait le statut particulier du Québec comme l’« antichambre du séparatisme »⁠6. Trudeau a fait sa fortune politique au Canada avec l’idée de remettre le Québec à sa place. Le principe de l’égalité des deux peuples fondateurs est mort depuis longtemps au Canada.

PHOTO RÉAL ST-JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

Pierre Elliott Trudeau en octobre 1965

Le pouvoir fédéral de dépenser est devenu, au fil des décennies, un véritable outil de construction de la nation canadienne permettant à Ottawa de stimuler le sentiment d’appartenance des citoyens à l’État canadien ⁠7. On parle aujourd’hui de transferts canadiens en matière de santé (TCS) et en matière de programmes sociaux (TCPS).

On notera plus récemment les programmes d’assurance dentaire et d’assurance médicaments du fédéral ainsi que les intentions fédérales dans le domaine du logement. Les services de santé et les services sociaux relèvent pourtant de la compétence constitutionnelle des provinces. La solution autonomiste pour le Québec passerait par une improbable libération accrue de l’espace fiscal occupé par le gouvernement fédéral et par l’encadrement du pouvoir fédéral de dépenser. Ce débat perdure depuis la Seconde Guerre mondiale. Il y a ici une collision frontale entre deux volontés nationales distinctes.

Non, nous ne sommes pas maîtres chez nous en ce pays.

1. Commission sur le déséquilibre fiscal, contexte historique, Bibliothèque nationale du Québec, 2002, pp. 27-32

2. Mes premiers ministres, Claude Morin, Éditions Boréal, 1991, pp. 140-143

3. Jacques Parizeau, tome 1, Le croisé, Pierre Duchesne, Éditions Québec Amérique, 2001 p. 349

4. Claude Morin, op. cit, p.160

5. Pierre Duchesne, op. cit., p.350

6. Claude Morin, op. cit., p.183

7) « The Federal Spending Power in Canada : Nation-Building or Nation-Destroying ? », Hamish Telford, Publius : The Journal of Federalism, Volume  33, Issue 1, Winter 2003, Pages 23-44

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