Chaque jeudi, nous revenons sur un sujet marquant dans le monde, grâce au recul et à l’expertise d’un chercheur du Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal ou de la Chaire Raoul-Dandurand de l’Université du Québec à Montréal.

L’élection présidentielle américaine de 2024 opposera deux candidats dont les réalisations et programmes économiques sont bien identifiés : coopération internationale et renforcement du lien social contre protectionnisme assumé et baisses d’impôts pour les entreprises. À la veille du match revanche Trump-Biden, y a-t-il des enjeux économiques à suivre pour le Canada ?

Au Canada, le suspense est soutenable.

Depuis deux mandats, le maître-mot de la gestion présidentielle de l’économie est le protectionnisme. L’America First de Trump a survécu sous Biden, formules de politesse en sus. La renégociation de l’ALENA par Donald Trump, aboutissant à la création de l’ACEUM en 2020, n’a pas radicalement changé la structure de l’accord original de 1994 liant le Canada, les États-Unis et le Mexique.

Joe Biden s’est bien gardé de revenir sur l’héritage protectionniste de son prédécesseur. Il a même intensifié certaines pressions, par exemple en menaçant d’augmenter les droits de douane sur le bois d’œuvre canadien. De surcroît, les subventions massives déployées sous sa présidence, dans le cadre de la Loi sur la réduction de l’inflation de 2022, ont précipité le Canada dans une sorte de « guerre des subventions ».

Ces dynamiques suggèrent une continuité plutôt qu’une rupture dans le protectionnisme économique.

Le résultat de l’élection ne surprendra donc personne dans l’Équipe Canada, mise en place par le premier ministre Justin Trudeau pour défendre les intérêts canadiens en prévision de l’élection chez les voisins du Sud.

Les 45e et 46présidents ont aussi montré la même volonté de rapatrier les investissements et profits en sol américain. Si l’objectif est similaire, les stratégies diffèrent néanmoins significativement. Sous l’impulsion de Donald Trump, la baisse de la taxation du capital visait à attirer les capitaux aux États-Unis, mais l’effet sur les flux d’investissement est resté hypothétique.

L’administration de Joe Biden a quant à elle soutenu un accord international pour établir un taux d’imposition mondial minimum dans le but d’éviter une concurrence fiscale trop forte et un nivellement par le bas de la fiscalité des entreprises. Cette initiative, louable pour son ambition de coopération internationale, autorise toutefois des exceptions et laisse place à des niches fiscales, ce qui pourrait limiter son impact.

Dans aucun des deux cas, le Canada n’a semblé affecté par les évolutions de la politique fiscale américaine.

L’expérience des administrations de Trump et de Biden nous fait donc relativiser les implications commerciales et financières du scrutin de novembre pour le Canada – sans même parler des contre-pouvoirs du système politique américain et de la complexité des équilibres internationaux qui limitent le pouvoir réel du président.

En revanche, le retour de Trump affecterait lourdement les relations bilatérales et l’économie canadienne par l’entremise des politiques environnementales et des enjeux migratoires.

Divergences réelles

Du retrait des États-Unis de l’Accord de Paris sur le climat sous Trump à leur réintégration demandée par Biden dès le premier jour de son mandat, les divergences entre les deux présidents sont réelles sur le plan environnemental. Elles s’étendent aux énergies fossiles, favorisées par Trump, tandis que Biden mise sur les véhicules électriques. Pour le Canada, l’enjeu est crucial.

D’un côté, le soutien de Trump à l’industrie fossile rencontre les intérêts exportateurs canadiens, notamment à travers des projets comme Keystone XL, avorté par son successeur – aux dépens toutefois des ambitions canadiennes en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

D’un autre côté, une administration Biden ouvre des perspectives pour l’industrie canadienne des énergies propres, qui espère redevenir compétitive face à des entreprises américaines moins contraintes par des réglementations environnementales et fiscales.

C’est toutefois dans le domaine des migrations que l’élection présidentielle pourrait avoir l’impact économique le plus perceptible pour le Canada.

Après la victoire de Donald Trump en 2016, le site d’Immigration Canada s’était retrouvé engorgé par des demandes venues du sud de la frontière – Américains, résidents, immigrants prospectifs ou demandeurs d’asile. Si peu de ces démarches se sont concrétisées, elles révélaient néanmoins l’aspiration à un modèle de société que l’Amérique de Trump ne semblait plus offrir.

Dans ce contexte, le Canada est potentiellement une destination attrayante, autant pour ceux qui risqueraient d’être dépeints comme « indésirables » par une présidence Trump que pour les personnes qualifiées en quête d’une qualité et d’un milieu de vie alignés avec leurs convictions et valeurs sociales.

Paradoxalement, une victoire de Trump en 2024 offrirait au Canada l’occasion d’élargir son bassin de talents, notamment dans des secteurs clés de l’économie. Encore faut-il que cet effet ait été planifié : l’adaptation stratégique des politiques canadiennes d’immigration et d’intégration pour capter ces flux potentiels est la clé.

L’élection présidentielle américaine génère bien des incertitudes, limitées dans les domaines commerciaux ou financiers, mais beaucoup plus significatives pour notre politique environnementale et migratoire. Face à celles-ci, le temps n’est pas à l’anxiété, mais à la mobilisation. Devant nous, deux scénarios, au fond hautement prévisibles, nous commandent de ne pas rater le tournant.

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