Chaque jeudi, nous revenons sur un sujet marquant dans le monde, grâce au recul et à l’expertise d’un chercheur du Centre d’études et de recherches internationales, de l’Université de Montréal, ou de la Chaire Raoul-Dandurand, de l’Université du Québec à Montréal.

Envahie par un État plus puissant et sans scrupules, l’Ukraine doit sa survie au secours reçu des États-Unis d’abord, des pays européens ensuite. Depuis deux ans, presque jour pour jour, à défaut de s’engager sur le champ de bataille, les alliés occidentaux auront fourni une aide militaire et financière essentielle à l’effort de guerre ukrainien.

Que Joe Biden soit réélu ou pas, il semble toutefois inévitable que le soutien américain aille en diminuant. Gangréné par les idées trumpistes, Washington cède déjà l’initiative à Bruxelles, siège de l’OTAN et de l’Union européenne. Les États européens seront-ils au rendez-vous ?

La semaine dernière, le président Volodymyr Zelensky a rencontré le chancelier allemand Olaf Scholz et le président français Emmanuel Macron qui, comme le premier ministre britannique Rishi Sunak avant eux, ont réaffirmé avec vigueur le soutien de l’Europe. Tout se passe comme si les Européens se préparaient à un retrait des États-Unis du dossier ukrainien.

Pour résister à l’envahisseur russe, l’Ukraine a besoin d’armes, d’argent et d’une garantie de sécurité : des avions, des canons et des missiles pour lui permettre de se battre à armes égales ; des euros pour maintenir l’État à flot et engager la reconstruction ; une alliance crédible pour dissuader Moscou de conquérir Kyiv.

Des armes

Jusqu’à maintenant, Washington a fourni la somme considérable de 61 milliards de dollars à l’Ukraine. Mais cette aide militaire risque de se tarir en raison du blocage républicain à la Chambre des représentants.

Bien qu’ils aient été plus lents au démarrage, les Européens ont aussi engagé 72 milliards de dollars. Des accords militaires bilatéraux ont été signés avec Londres, Paris et Berlin. On observe une augmentation de la cadence, l’Europe devant livrer 1 million d’obus en 2024.

À son corps défendant, l’Europe est devenue le principal partenaire stratégique de l’Ukraine. Et elle devra redoubler d’efforts pour compenser le retrait américain.

PHOTO GENYA SAVILOV, AGENCE FRANCE-PRESSE

Un soldat ukrainien de la 47e brigade mécanisée non loin d’Avdiivka, dans la région de Donetsk

Des euros

Sur le plan financier, tout aussi critique, Bruxelles a depuis longtemps dépassé Washington. Entre février 2022 et janvier 2024, l’Union européenne a engagé 112 milliards, contre 35 milliards pour les États-Unis. Le 1er février, les dirigeants de l’UE ont promis une enveloppe de 73 milliards supplémentaires d’ici 2027. Les Européens cherchent à éviter un effondrement de l’État ukrainien et à préparer la reconstruction d’une économie saignée à blanc.

Le 14 décembre dernier, les dirigeants européens ont aussi accepté de lancer le processus d’adhésion de l’Ukraine à l’UE. Celui-ci prendra des années et n’est pas à l’abri d’un veto hongrois ou d’une évolution de l’opinion publique ailleurs. Il serait pourtant le couronnement du processus de démocratisation entamé en 2014, avec Euromaïdan.

Une garantie de sécurité

À l’heure actuelle, peu d’observateurs croient en la capacité des forces ukrainiennes de recouvrer tout le territoire perdu depuis 2014. Une guerre d’attrition s’est installée dans laquelle la Russie dispose de beaucoup plus de chair à canon.

Mais il est encore possible d’éviter que Moscou ne retente le coup du 24 février 2022, à savoir l’invasion de toute l’Ukraine, l’installation d’un régime colonial et la russification de la société. Pour cela, l’Ukraine a besoin d’une véritable garantie de sécurité, celle de l’OTAN ou de quelque chose y ressemblant.

Malgré les fanfaronnades de Donald Trump, l’OTAN repose sur la plus solide des garanties que l’on puisse imaginer dans un traité international, l’article 5. La clause de défense collective ferait entrer l’Ukraine dans une alliance couverte par des plans de défense communs et le parapluie nucléaire des États-Unis, de la France et du Royaume-Uni.

L’adhésion à l’Alliance atlantique n’est pas à l’ordre du jour immédiat, mais elle fera nécessairement partie des conditions posées par Kyiv pour accepter un accord avec Moscou. À défaut, il faudrait imaginer un traité de défense singulier, un peu à l’image de ce qui existe entre les États-Unis, la Corée et le Japon.

Sinon : la défaite

Qu’il s’agisse de sécurité ou de reconstruction, Kyiv ne peut plus vraiment compter sur Washington. L’avenir de l’Ukraine, plus forte qu’on le croyait, mais trop faible pour se défendre seule contre la Russie, dépend de décisions qui seront prises à Bruxelles.

Pour l’instant, tout indique que les Européens ont fait le choix d’honorer leur engagement à soutenir ce pays coûte que coûte. S’ils renonçaient à leurs promesses, l’Ukraine devrait capituler faute de munitions, d’argent et d’une garantie de sécurité.

À Moscou, on commencerait alors à se demander quel est le prochain pays à « dénazifier », un terme honteux qu’utilise le Kremlin pour son entreprise de dépècement, de domination et de brutalisation.

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