Pedro Sánchez, premier ministre d’Espagne, a récemment parlé d’épidémie. Jean-Noël Barrot, ministre français de la Transition numérique et des Télécommunications, a qualifié la chose de scandale de santé publique. En mai 2023, Dame Rachel de Souza, commissaire à l’enfance pour l’Angleterre, a déclaré que son travail sur la question était particulièrement difficile, mais sa conclusion était limpide : « Je suis catégorique, aucun enfant ne devrait avoir accès à de la pornographie. »

Nous sommes d’accord. Le reste du pays l’est aussi : dans un récent sondage Léger, 73 % des répondants canadiens ont déclaré que l’accès facile des mineurs à la pornographie en ligne est un problème important.

Dans le monde réel – dans le monde des magazines pornos et des cinémas pour adultes –, nous limitons l’accès des mineurs au matériel sexuellement explicite, pour de très bonnes raisons.

L’exposition des jeunes à la pornographie déforme leur perception des relations sexuelles et de l’intimité et peut entraîner plusieurs problèmes, dont la dépression, la dépendance et la violence envers les femmes.

Bien que les parents demeurent responsables de limiter l’accès de leurs enfants aux produits et contenus nocifs, la plupart d’entre nous appuient les lois qui exigent une vérification de l’âge pour consommer du tabac, de l’alcool ou de la pornographie.

Maintenant que le contenu pour adultes a migré sur l’internet – où les vidéos hardcore sont accessibles à toute personne disposant d’un écran –, certains pays adoptent des lois pour s’assurer que la pornographie en ligne est soumise aux mêmes règles que la pornographie hors ligne.

L’Allemagne a agi en premier, suivie de la France. Le gouvernement conservateur du Royaume-Uni a inclus la vérification de l’âge dans son projet de loi sur la sécurité en ligne ; le gouvernement socialiste d’Espagne a annoncé qu’il ferait de même. En janvier, la Floride est devenue le plus récent État américain à adopter un projet de loi sur la vérification de l’âge, avec le soutien unanime des républicains et des démocrates. L’enjeu n’est pas partisan.

Projet de loi S-210

Au Canada, un projet de loi présenté par la sénatrice indépendante Julie Miville-Dechêne [cosignataire de cette lettre] propose d’aller dans le même sens.

Le projet de loi S-210 ferait trois choses.

Premièrement, tout site web qui contient du matériel pornographique devrait vérifier l’âge des utilisateurs avant qu’ils puissent accéder à ce contenu (si un site propose à la fois du contenu pour adultes et du contenu général, seul le contenu pour adultes serait soumis à une vérification de l’âge).

Deuxièmement, le projet de loi prévoit que la Cour fédérale pourrait ordonner le blocage au Canada de sites web qui refusent d’adopter la vérification de l’âge (cette sanction est semblable au retrait du permis d’alcool d’un bar coupable de servir des mineurs).

Et troisièmement, le projet de loi prévoit que les méthodes spécifiques de vérification de l’âge seraient déterminées par règlement, au terme de consultations publiques.

Le projet de loi précise toutefois que toute méthode approuvée doit être fiable, recueillir des renseignements uniquement à des fins de vérification de l’âge, détruire tout renseignement personnel une fois la vérification terminée, et généralement se conformer aux pratiques exemplaires dans les domaines de la vérification de l’âge et de la protection de la vie privée. La vérification de l’âge serait effectuée par des entreprises tierces – jamais par le gouvernement ou les sites pornos, qui n’auraient accès à aucun renseignement personnel.

Le projet de loi S-210 a été adopté par le Sénat sans opposition. À la Chambre des communes, les conservateurs, le Nouveau Parti démocratique, le Bloc québécois et le Parti vert, de même que 15 députés libéraux, ont voté en faveur de la loi en deuxième lecture. Dans le sondage Léger, 77 % des répondants canadiens se disent favorables à la vérification obligatoire de l’âge pour accéder à la pornographie en ligne. Seulement 13 % sont contre.

Malheureusement, le gouvernement libéral a décidé de s’opposer au projet de loi S-210, sous prétexte qu’il comporterait des « failles fondamentales ».

Le gouvernement n’a toutefois présenté aucune justification sérieuse pour sa position, qui va à contre-courant de l’opinion publique canadienne et des évolutions récentes au Royaume-Uni, en France, en Allemagne, en Espagne et dans plusieurs États américains. Il n’a proposé aucune solution ou alternative.

La protection de la vie privée et la liberté d’expression sont des questions importantes, bien sûr, mais ces préoccupations ont été exagérées. Toute la pornographie actuellement offerte sur l’internet continuera d’être accessible aux adultes.

Le projet de loi S-210 n’élargit pas la définition de matériel sexuellement explicite, se référant à la définition établie dans le Code criminel, et contient les exceptions habituelles pour la science, l’éducation ou les arts. Les craintes que toute forme de nudité soit censurée sont sans fondement. Les préoccupations entourant la vie privée semblent également ignorer les progrès récents de la technologie de vérification de l’âge, qui combinent une grande précision et un partage minimal d’informations.

En 2021, commentant sa consommation de pornographie comme jeune adolescente, la chanteuse Billie Eilish a déclaré : « ça a vraiment détruit mon cerveau et je suis dévastée d’avoir été exposée à autant de porno ». Nous croyons que les parents canadiens ont besoin d’aide pour protéger leurs enfants de ces préjudices. Il est temps d’agir.

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