Alors que le gouvernement Trudeau s’oppose à un projet de loi du Sénat visant à empêcher les mineurs d’accéder à des sites pornographiques, un nouveau sondage montre que 77 % des Canadiens seraient favorables à une telle législation.

Le coup de sonde a été commandé par la sénatrice Julie Miville-Dechêne, qui a fait adopter en deuxième lecture un projet de loi du Sénat (S-210) qui imposerait des amendes allant jusqu’à 250 000 $ aux sites pornographiques qui ne contrôlent pas l’âge des utilisateurs.

L’ensemble des partis de l’opposition et une quinzaine de députés libéraux ont voté en décembre en faveur de ce projet de loi, qui passera en troisième lecture au printemps.

Les membres du Conseil des ministres de Justin Trudeau ont cependant tous voté contre. « Nous partageons l’objectif d’assurer une expérience sécuritaire sur l’internet pour les jeunes. Par contre, ce projet de loi est fondamentalement vicié », a justifié le cabinet de la ministre du Patrimoine canadien, Pascale St-Onge, après le vote.

Le gouvernement Trudeau craint notamment que les mécanismes de vérification de l’âge des sites pornos portent atteinte à la vie privée et comportent des risques liés à la sécurité. « Aucun État dans le monde qui s’est penché sur cet enjeu n’est parvenu à implémenter avec succès un mécanisme de vérification de l’âge », estime la ministre du Patrimoine.

« J’ai été surprise de ce rejet catégorique qui ne correspond pas à ce que j’ai entendu quand j’ai voulu introduire de telles mesures il y a environ un an, réagit la sénatrice Julie Miville-Dechêne. En ce moment, il y a zéro vérification d’âge. Le projet de loi ne précise pas par quelle mécanique la vérification d’âge doit se faire. Celle-ci sera déterminée par le gouvernement par voie réglementaire, par des choix qui doivent être discutés avec l’industrie, avec des experts », explique-t-elle.

Données privées des utilisateurs

Le sondage, réalisé par la maison Léger auprès de 1614 Canadiens (marge d’erreur de plus ou moins 2,4 %, 19 fois sur 20), souligne que 73 % des adultes canadiens considèrent que l’accès à la pornographie par les mineurs est un problème important.

L’entreprise canadienne qui possède le site Pornhub, Ethical Capital Partners, dit être d’accord avec l’idée d’une loi qui obligerait la vérification d’âge, mais n’appuie pas le projet de loi de la sénatrice Miville-Dechêne. « Nous proposons plutôt que la vérification se fasse au niveau de l’appareil. Le téléphone serait la clé, et les sites seraient des portes que la clé ouvre », résume Sarah Bain, porte-parole de l’entreprise. Cette façon de faire protégerait les données privées des utilisateurs, selon elle.

Ailleurs dans le monde

Lorsque l’État de la Louisiane a adopté, il y a un an, une loi obligeant les utilisateurs de sites pornos à obtenir un « portefeuille » numérique auprès du gouvernement pour prouver leur âge afin d’accéder à des sites pornos, Pornhub a perdu 80 % de ses visiteurs dans cet État, illustre Mme Bain. « On ne peut pas écrire des lois qui vont contre l’instinct des humains. Les gens ne veulent pas que leurs habitudes de consommation de jeu, de tabac ou de pornographie soient enregistrées », dit-elle.

En Espagne, le gouvernement socialiste de Pedro Sánchez vient de confier à son agence de protection des données le mandat de développer une application pour téléphone intelligent qui vérifiera l’âge des utilisateurs et autorisera l’accès aux sites pornos tout en respectant la vie privée des utilisateurs. La France et la Grande-Bretagne étudient aussi des mesures semblables. Une dizaine d’États américains ont également adopté des mesures pour empêcher les mineurs d’accéder au contenu pornographique.

Au Québec, 68,4 % des adolescents et adolescentes âgés de 14 à 18 ans ont déjà regardé volontairement de la pornographie, selon un sondage réalisé en 2022 dans neuf écoles secondaires.