Le 12 janvier 2010, un puissant séisme a tué des centaines de milliers de personnes en Haïti. Et changé le cours de l’histoire de ce pays des Antilles. Quatorze ans plus tard, l’ancien ambassadeur du Canada en Haïti Gilles Rivard fait le point sur la difficile situation dans laquelle s’enlise le pays.

Pourtant, l’année 2010 avait bien commencé. Des élections sénatoriales avaient eu lieu en 2009 et s’étaient somme toute bien déroulées. À l’automne précédent, l’avis aux voyageurs sur le niveau de risque diffusé par Affaires mondiales Canada était passé de « voyage à éviter » à « voyager avec prudence » ; une amélioration importante pour les gens d’affaires souhaitant investir en Haïti.

Toujours à l’automne, le Canada, en collaboration avec la Banque interaméricaine de développement, avait organisé un séminaire sur l’investissement en Haïti. Cet évènement avait connu un succès indéniable. Dans un sondage, 75 % des investisseurs potentiels estimaient qu’Haïti offrait un climat propice à l’investissement. Du jamais vu !

Le 12 janvier 2010 à 16 h 53, tout a basculé. Haïti fut frappé par un des séismes les plus meurtriers de l’histoire de l’humanité. Au plus fort de la crise, lors d’une rencontre avec le premier ministre d’Haïti, celui-ci me déclara d’une voix remplie d’émotion : « Il faut que nous tirions bénéfice de cette crise pour rebâtir le pays sur des assises solides. » L’histoire lui a donné tort.

Malgré les critiques, l’appui massif de la communauté internationale, en collaboration avec la MINUSTAH (mission des Nations unies) et en incluant les dons des Canadiens, a permis au pays de se relever de manière significative avec la reconstruction de Port-au-Prince et de villes comme Léogane et Jacmel.

Malheureusement, la réfection des infrastructures n’a pas été suivie par les mêmes efforts de renforcement des structures de gouvernance haïtiennes.

Si les autorités politiques avaient utilisé la même énergie et la même urgence à la refonte des institutions politiques et institutionnelles, il n’y a aucun doute que le pays se porterait beaucoup mieux en 2024 qu’en 2010.

Trois éléments fondamentaux sont à l’origine du « cancer » dont souffre le pays. On ne parle pas d’un manque de moyens financiers, on parle de volonté politique.

Parlons d’abord de la Constitution haïtienne adoptée en 1987. Pour éviter qu’un président ne décide de la changer à son gré, les rédacteurs ont rendu extrêmement difficile tout changement à cette constitution. En résumé, il faut deux parlements successifs élus pour la modifier, le premier proposant les changements et le second les confirmant. Le président René Préval, dans son impuissance à modifier la Constitution, m’avait dit un jour : « Ceux qui ont écrit la Constitution l’ont mise dans un coffre-fort et ont jeté la clé. »

Cette constitution dotait le pays d’un président, d’un premier ministre, d’un sénat et d’une chambre des députés, une structure beaucoup trop lourde pour un petit pays aussi pauvre et fragile qu’Haïti, quand on sait que des élections coûtent des millions de dollars. Un conseil électoral permanent (CEP) devait s’assurer de l’intégrité du processus. Il n’a jamais vu le jour.

Chaque élection depuis 1987 est précédée par la mise sur pied d’un conseil électoral « provisoire », les autorités politiques haïtiennes n’ayant jamais réussi à mettre en place cette institution électorale-clé. Aucun parti politique n’avait confiance dans le fait que le CEP demeurerait neutre.

Le système de justice demeure la pierre angulaire d’une gouvernance digne de ce nom. En Haïti, il est identifié selon trois axes majeurs : justice, police et pénitencier. Le Canada, en collaboration avec les Nations unies, a investi des sommes considérables pour remettre sur pied l’école de la magistrature et la formation des juges, l’académie de police, la formation de policiers et la rénovation de commissariats partout au pays. Le Canada a construit également le principal pénitencier selon les normes internationales. Les infrastructures nécessitant beaucoup de fonds ont été remises sur pied.

La gouvernance, elle, fut délaissée ou simplement ignorée. Combien de fois a-t-on rappelé au président et au premier ministre l’importance de moderniser les lois haïtiennes ? L’importance de renforcer la lutte contre la corruption, la fraude, éliminer la détention préventive qui laissait pourrir en prison de pauvres gens ayant commis des délits mineurs comme voler un poulet ou une chèvre ? Ces modifications ne coûtaient rien aux autorités haïtiennes, sinon cette simple volonté politique qui n’a jamais été au rendez-vous.

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L’actuel premier ministre haïtien, Ariel Henry, a perdu sa légitimité, selon Gilles Rivard.

Nous voilà 14 ans plus tard, alors que le pays se retrouve devant une tempête parfaite. Il n’y a plus de président, un premier ministre sans légitimité, aucun sénateur ni député et aucune élection depuis 2016. Tout est à refaire.

Pour répondre à cette très grave situation, le premier ministre a mis sur pied le Haut Conseil de transition en janvier 2023, en nommant à sa tête Mirlande Manigat, une figure connue. Il s’agit d’une structure boiteuse, au mandat mal défini, qui n’a toujours pas accouché d’un plan après 12 mois de tergiversations.

Frantz Duval, journaliste haïtien très respecté, a récemment écrit dans Le Nouvelliste que Mme Manigat et le premier ministre Ariel Henry avaient la confiance de la communauté internationale, mais il y a pour les deux un déficit de résultat en faveur de la population. Les deux, de fait, gouvernent, mais la barque nationale prend l’eau de partout. Difficile de ne pas lui donner raison.

Pour 2024, souhaitons au bénéfice de la population haïtienne que le mot « urgence » reprenne tout son sens. Cette urgence est avant tout entre les mains de la société haïtienne.

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