Pour 2024, je nous souhaite à tous, collectivement, des médias capables de plus d’autocritique.

Juste avant Noël, devant un parterre d’une centaine de journalistes, le ministre de la Culture et des Communications, Mathieu Lacombe, a eu le courage d’inviter l’industrie des médias à se remettre en question. Il a même proposé un certain nombre de pistes de réflexion : pratiques journalistiques, déontologie, Conseil de presse, etc. Cette critique des médias, même si elle était très nuancée et qu’elle était formulée par un ancien journaliste, a été mal reçue… comme d’habitude. Les médias acceptent très mal qu’on les critique. C’est pourtant nécessaire.

Tout au long de l’année 2023, les mauvaises nouvelles se sont multipliées dans le monde des médias. TVA a éliminé près de 600 postes. Métro Média a fermé ses portes. Et Radio-Canada a annoncé son intention de supprimer 250 postes dans son secteur français cette année. En région, les six quotidiens des Coops de l’information ont éliminé le tiers de leur effectif. Par exemple, Le Droit de Gatineau a perdu 25 % de sa salle de rédaction : du point de vue de l’information et du développement régional, c’est carrément une catastrophe.

Mais ce n’est pas tout et ce n’est peut-être même pas l’essentiel.

En mai, un rapport de recherche réalisé par les professeurs Marc-François Bernier⁠1 et Marie-Eve Carignan faisait état d’un recul, entre 2013 et 2023, de près de 20 % de la confiance des gens dans les médias. Pire encore, selon cette étude, à peine 54 % des gens qui connaissent un sujet traité par les médias jugent que les journalistes rapportent les faits avec exactitude et 45 % des répondants croient qu’il arrive « souvent ou parfois » que les journalistes contribuent à créer et à diffuser des nouvelles qui sont volontairement fausses et trompeuses⁠2.

En juin, une étude de Digital News Report, en collaboration avec l’Université Laval, situait à 49 % la proportion de ceux qui font confiance « à la plupart des nouvelles la plupart du temps ». Cette proportion était de 64 % en 2018⁠3.

En octobre, la firme Léger dévoilait que 42 % de la population québécoise a « peu ou pas du tout confiance » dans l’information qui provient des médias traditionnels. Chez les 18-34 ans, l’absence de confiance monte à 44 % et chez les 35-44 ans, à 48 %⁠4. Hors de Montréal et de Québec, c’est 50 % de la population qui doute des médias.

Ça va très mal.

Toutefois, malgré ces constats brutaux, on réduit trop souvent la crise à celle du modèle d’affaires. Pour la baisse de confiance, on nous sert toujours à peu près les mêmes arguments.

On nous rappelle d’abord que la plupart des institutions vivent la même chose (la politique, la justice). C’est vrai, mais un problème n’efface pas l’autre.

On nous rappelle aussi le rôle essentiel des médias comme contre-pouvoir, on nous donne des exemples d’enquêtes qui ont fait changer les choses, on nous parle de la lutte contre la désinformation, etc. Soit, mais on peut très bien avoir une fonction essentielle et mal l’exercer.

On nous dit aussi que la confiance augmenterait si les gens comprenaient mieux le travail des médias. Cette réponse est l’équivalent de celle du politicien qui vient de perdre ses élections et qui affirme n’avoir pas su faire comprendre son message. Non. Les gens ont très bien compris. Ils portent un jugement et les médias doivent en tenir compte.

On nous rappelle aussi qu’il n’y a jamais eu autant de lecteurs. C’est vrai, mais à peine 1 personne sur 10 est prête à s’abonner à des sites de nouvelles. Si les gens ne sont pas prêts à payer pour un produit, le vendeur devrait se poser des questions.

On nous dit finalement que critiquer les médias, c’est faire le jeu de Trump et de tous les populistes menteurs dont les médias rigoureux sont, à juste titre, les pires ennemis. À une certaine époque, Sartre, un communiste, reprochait à Camus, un autre communiste, de critiquer l’Union soviétique. Il l’accusait de « jouer le jeu » de la droite. L’histoire a démontré que Camus avait raison. Il faut dénoncer tout ce qui ne va pas, même chez nos alliés.

Anecdote révélatrice. Bien sûr, les médias luttent pour leur survie, mais s’ils cherchaient tant à s’améliorer, ils trouveraient le moyen de donner plus de force, d’indépendance et de financement au Conseil de presse qui est, théoriquement, le chien de garde de leur qualité. Mais non. En mars dernier, le Conseil en était réduit à faire appel aux dons du public pour assurer sa survie⁠5.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Le ministre de la Culture et des Communications, Mathieu Lacombe, devrait annoncer cette année de nouvelles mesures d’aide aux médias.

M. Lacombe devrait annoncer cette année d’autres mesures d’aide aux médias. Cet engagement gouvernemental, constitué notamment d’argent public, serait mieux reçu par la population si cette dernière sentait une volonté des médias d’améliorer leurs pratiques.

Pour qu’une société libre et démocratique reste libre et démocratique, elle doit avoir des médias forts. Pourquoi ? Parce que leurs critiques imposent aux acteurs de la société de se remettre en question constamment. Les médias devraient faire de même.

1. Marc-François Bernier est notamment l’auteur de La cible – Contre-enquête sur la maltraitance médiatique (sur la tragédie du DAlain Sirard).

2. Lisez l’article « La confiance de la population face aux médias d’information s’érode », de La Presse Canadienne (sur le site de Radio-Canada) 3. Lisez l’article « La confiance est chancelante envers les médias d’information », de La Presse Canadienne 4. Consultez le sondage Léger 5. Lisez l’article « Le Conseil de presse veut faire appel aux dons pour assurer sa survie », du Devoir Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue