(Montréal) La confiance des Canadiens envers les nouvelles demeure chancelante et la proportion de ceux qui ont payé pour des nouvelles en ligne a connu une chute marquée au début de 2023.

Ce sont là deux des constats que l’on retrouve dans les données canadiennes de 2023 du Digital News Report (DNR) de l’Institut Reuters, constats qui imposent une réflexion aux médias d’information.

Chaque année, le DNR mesure différents indices liés à la consommation d’information dans 46 pays à travers le monde. Les données canadiennes sont compilées par le Centre d’études sur les médias de l’Université Laval.

Confiance : légère embellie chez les francophones

En ce qui a trait à la confiance, on note une légère embellie du côté des francophones, dont la proportion de ceux qui font confiance « à la plupart des nouvelles la plupart du temps » est passée de 47 % à 49 % de 2022 à 2023, mais la tendance à long terme reste à la baisse, cette proportion ayant déjà atteint 64 % en 2018.

Fait à noter, les anglophones ont toujours eu moins confiance dans les nouvelles que les francophones depuis que le DNR a commencé à poser cette question en 2016, mais la tendance à la baisse, de leur côté, s’est poursuivie en 2023 pour se situer à 37 %, soit 12 points de pourcentage de moins que chez les francophones.

Selon la directrice du Centre d’études sur les médias (CEM), Colette Brin, cet écart s’explique en partie par le fait que le marché francophone est « beaucoup plus petit et principalement circonscrit au Québec et, donc, qu’il y a une proximité avec les médias qu’on ne retrouve pas au Canada, qui est un énorme pays. Particulièrement dans l’Ouest, il y a un sentiment de déconnexion avec les médias d’information », souligne-t-elle.

« Aussi, les Canadiens anglais consomment beaucoup d’information américaine, de sorte que la perception qu’ils peuvent avoir peut être teintée par le contexte beaucoup plus polarisé et problématique en termes de confiance dans les médias américains. »

Démêler le vrai du faux

Cet écart de confiance se manifeste d’ailleurs dans une autre question reliée, soit celle de démêler le vrai du faux sur le web. Les anglophones sont davantage préoccupés par la possibilité de démêler le vrai du faux (65 %) que les francophones (47 %). Il est intéressant de noter que cette préoccupation a atteint son sommet en 2020, dernière année au pouvoir de Donald Trump, tant chez les anglophones (67 %) que chez les francophones (60 %), mais qu’elle est en baisse constante et beaucoup plus marquée chez les francophones, qui semblent moins inquiets des fausses nouvelles avec près de 20 points d’écart aujourd’hui. Curieusement, en 2018, première année où cette variable a été mesurée, le niveau de préoccupation était égal chez les deux groupes, autour de 60 %.

« Le contexte de la désinformation n’est pas le même dans l’écosystème francophone que dans le système anglophone », fait remarquer Mme Brin, qui souligne au passage « l’influence du populisme dans le style des républicains aux États-Unis, qui est particulièrement fort dans le reste du Canada et moins au Québec ».

Chute des abonnements

Une minorité de Canadiens sont prêts à payer pour des nouvelles en ligne, mais leur comportement de la dernière année a de quoi inquiéter les producteurs de nouvelles. En 2016, lorsqu’on a commencé à mesurer la chose, environ 9 % des Canadiens avaient payé pour des nouvelles dans l’année précédente, une moyenne demeurée constante jusqu’en 2019. Puis, en 2020, cette proportion a fait un bond pour atteindre 13 % et un autre en 2022 pour atteindre 15 % (16 % chez les francophones). Or, voilà qu’en 2023, cette moyenne a brutalement chuté à 11 % dans les deux groupes linguistiques.

Colette Brin estime que cette chute n’est pas étrangère au contexte d’inflation, et ce, même si l’on ne constate pas de différence entre les personnes qui se disent très affectées par l’inflation et celles qui ne le sont pas. « Même si les gens ne se sentent pas atteints profondément par la hausse du coût de la vie, ça leur donne un prétexte pour réduire cette dépense. C’est une dépense discrétionnaire qui s’élimine facilement. »

Inquiétant retrait des jeunes

Certes, la proportion de 11 % représente une moyenne supérieure aux années 2016 à 2019 inclusivement, mais les éditeurs d’information en ligne devront s’interroger sur la chute de quatre à cinq points de pourcentage, d’autant plus qu’une analyse plus fine des chiffres montre que la chute la plus forte (-7 %) a été encaissée dans le groupe des 18-24 ans. Or ceux-ci, avec une proportion de 20 % de répondants ayant payé pour un abonnement en 2022, étaient en tête de tous les groupes d’âge.

« Les jeunes sont un groupe particulièrement difficile à rejoindre pour les médias d’information. Le fait que les jeunes étaient plus disposés à payer justement parce qu’ils consomment principalement leur information en ligne, c’était au moins un signe d’espoir de potentiel de croissance. De voir une baisse drastique comme celle-là, ce n’est pas rassurant pour l’industrie », reconnaît la chercheuse.

La désinformation est toujours gratuite

Dans le milieu journalistique, le fait de demander un paiement pour l’abonnement en ligne demeure une source d’inquiétude en soi car, bien que plusieurs sites d’information demeurent gratuits, les sites où circulent la désinformation, les fausses nouvelles et les canulars se multiplient et sont systématiquement gratuits. L’absence de contrôle des contenus de désinformation sur de nombreux réseaux sociaux représente du même coup une courroie de transmission pour ces contenus nuisibles.

Fort heureusement, souligne Mme Brin, « plusieurs médias de qualité restent gratuits. La conséquence, bien sûr, c’est que s’il y a une offre gratuite intéressante, c’est moins attrayant de payer. »

TVA Nouvelles au sommet

Cette attractivité des sources d’information gratuites en ligne se manifeste on ne peut plus clairement dans une sous-section du DNR qui touche les pratiques d’information des Canadiens. Du côté francophone, TVA Nouvelles est la marque en ligne la plus consultée, par 27 % des répondants. La Presse (23 %), Radio-Canada (22 %) et le Journal de Montréal ou de Québec (20 %) suivent, le tout formant le quatuor dominant de l’information en ligne, soit quatre sources gratuites.

L’actualité (10 %) et Le Devoir (9 %), deux sites payants, viennent loin derrière.

« Quand on demande à un échantillon de la population quels médias ils consomment, forcément, ceux qui sont accessibles gratuitement vont arriver en tête de liste. Ça ne veut pas dire, par contre, que ce n’est pas un succès pour Le Devoir, parce que Le Devoir réussit à se rentabiliser et à fidéliser son lectorat, ce qui veut dire que c’est un succès de niche tout simplement. Et Le Devoir n’a jamais été un média de masse non plus », nuance Colette Brin.

Autre sujet de préoccupation pour les entreprises de presse : de moins en moins de Canadiens disent s’intéresser aux nouvelles. Ainsi, 80 % ont affirmé s’y intéresser en 2023 comparativement à 86 % en 2021. On constate un désintérêt grandissant autant du côté des francophones que des anglophones.

Moins de nouvelles sur les médias sociaux

Alors que les géants du web commencent à limiter la diffusion de nouvelles sur leurs plateformes en marge de leur partie de bras de fer avec le gouvernement canadien qui veut leur imposer de soutenir financièrement les médias d’information, les Canadiens ont déjà commencé à le faire d’eux-mêmes. Ainsi, 36 % des Canadiens disent ne pas avoir consulté, partagé ou commenté des nouvelles sur les médias sociaux dans la semaine précédant l’enquête, une hausse de 10 points de pourcentage depuis l’année précédente. La part de Canadiens ayant interagi avec les nouvelles sur Facebook dans la semaine précédant l’enquête est passée de 40 % en 2022 à 29 % (-11 points de pourcentage), soit le score le plus bas depuis que le DNR récolte ces données.

À l’opposé, le rapport contient une bonne nouvelle pour le diffuseur public : pour une majorité (54 %) de francophones, les services de nouvelles financés par l’État sont importants pour la société. Bien que les anglophones (45 %) soient moins portés que les francophones à penser ainsi, ils ne sont que 20 % à juger, au contraire, que de tels services ne sont pas importants pour la société.

On aime les bonnes nouvelles

Enfin, les dernières années n’ont pas été roses côté nouvelles, avec la pandémie, les catastrophes naturelles ou la guerre en Ukraine, entre autres. On ne se surprendra donc pas de voir que les nouvelles abordant des histoires positives intéressent plus de 80 % des répondants canadiens, anglophones et francophones, et, du côté francophone, les deux tiers (67 %) s’y disent même très ou extrêmement intéressés.

Le DNR s’appuie sur un questionnaire en ligne administré par YouGov. Les données canadiennes sont calculées à partir d’un échantillon aléatoire de 2150 participants inscrits auprès de cette firme de sondage, dont 555 francophones. Un échantillon francophone autonome a par la suite été complété de façon à obtenir 1066 participants. Les données canadiennes ont été récoltées du 11 janvier au 20 février 2023. Les résultats sont pondérés pour représenter la population canadienne adulte.