Chaque jeudi, nous revenons sur un sujet marquant dans le monde, grâce au recul et à l’expertise d’un chercheur du Centre d’études et de recherches internationales, de l’Université de Montréal, ou de la Chaire Raoul-Dandurand, de l’Université du Québec à Montréal.

Malgré tous les signaux d’alarme, malgré la dégradation accélérée de la situation climatique, la communauté internationale, obnubilée par l’escalade des tensions de l’Indo-Pacifique au Proche-Orient, des confins de l’Europe au Sahel, ne discute d’aucune réforme majeure du droit des réfugiés. Et pourtant.

Une situation alarmante

Les prévisions du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) publiées en 2022 confirment le caractère de plus en plus alarmant de l’enjeu des migrations forcées de déplacés climatiques.

En effet, le sixième rapport du GIEC prévoit que d’ici 2050, plus de 216 millions de personnes seront contraintes à un déplacement forcé à cause des changements climatiques⁠1.

Si dans un premier temps ces déplacements seront internes, une grande proportion d’États peineront à gérer les transformations démographiques au sein de leur territoire, ouvrant ainsi la porte à des mouvements internationaux.

Déjà, les États accueillant les réfugiés – 75 % d’entre eux étant des pays à revenus faibles ou modérés – ont du mal à gérer les quelque 110 millions de personnes déplacées de force dans le monde : le manque d’anticipation de ces mouvements, pourtant annoncés, pourrait donc se traduire par une catastrophe humanitaire. Les États d’accueil deviendront rapidement saturés, d’autant que 69 % des personnes contraintes à une migration internationale se déplacent vers un pays voisin.

Les pays les plus riches, en grande partie responsables des émissions de gaz à effet de serre – facteur majeur des changements climatiques –, seront les plus aptes à s’adapter et à atténuer les effets de ces bouleversements climatiques. Il est donc envisageable que les personnes déplacées par le climat cherchent à atteindre leurs frontières. Et lorsque les migrations ne sont pas planifiées et que les infrastructures ne sont pas prêtes à accueillir les personnes arrivées, les tensions entre les populations déplacées et celles d’accueil peuvent atteindre leur paroxysme.

PHOTO TORSTEN BLACKWOOD, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Les citoyens de Tuvalu, menacés par le climat, auront le droit de vivre en Australie en vertu d’un pacte historique.

Des mesures pionnières

Le 10 novembre 2023, le gouvernement australien a annoncé une entente extraordinaire avec Tuvalu visant à reconnaître les migrations forcées résultant des changements climatiques. Si ce traité bilatéral permet notamment à l’Australie de réaffirmer sa présence dans le Pacifique afin d’y contrebalancer l’influence de la Chine, il vise principalement à accorder progressivement le statut de réfugié aux quelque 11 000 Tuvaluans dont le territoire natal disparaît rapidement à cause de la montée du niveau de la mer. Si cette initiative paraît encourageante, elle n’annonce cependant en rien un élargissement du droit international des réfugiés.

La mesure adoptée par l’Australie n’est pas inédite : déjà en 2017, la Nouvelle-Zélande avait proposé un visa similaire et avait même commencé un programme pilote à cet effet. Or, celui-ci a rapidement été abandonné, puisque les habitants des pays insulaires du Pacifique refusaient de s’exiler. D’autres facteurs peuvent expliquer que l’initiative néo-zélandaise ait échoué, notamment la relative lenteur de la montée du niveau des océans à l’échelle d’une vie humaine.

Néanmoins, le plus grand échec de ce programme pilote a été son absence de retombées sur la scène internationale. En effet, suivant l’annonce, aucun État n’a pris exemple sur la Nouvelle-Zélande, bien qu’elle ait été acclamée par le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme.

Un droit international inadapté

Actuellement, en vertu de la Convention des Nations unies relative au statut des réfugiés de 1951, ceux-ci sont définis comme « toute personne craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouvant hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ».

Stricto sensu, les migrations forcées par les changements climatiques ne sont donc pas incluses dans la définition de personne réfugiée pour ce qui est du droit international.

En 2018, la signature du Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières, qui identifiait les changements climatiques, les catastrophes naturelles et la dégradation de l’environnement comme des facteurs de migrations forcées, laissait croire à une nouvelle ère en matière de droit international des réfugiés. Ces espoirs ont malheureusement été déçus.

Pourtant, en révisant leurs cadres juridiques nationaux en matière de droit des réfugiés, les États seront en meilleure position pour encadrer ces migrations forcées et accueillir les personnes déplacées par le climat. À défaut d’une prise de conscience globale et d’une révision du droit international, la conclusion de nouveaux traités bilatéraux – comme l’a fait l’Australie – pourrait bien être un pas dans la bonne direction. Car la question n’est plus vraiment de savoir s’il faut agir, mais comment le faire avant que les effets non maîtrisés des migrations climatiques déclenchent des séismes… politiques cette fois-ci.

1. Consultez le sixième rapport d’évaluation du GIEC : Changement climatique 2022 Qu'en pensez-vous ? Participez au dialogue