Je suis inquiète et je nourris la malheureuse impression d’être livrée à mon sort, prise entre deux géants qui se disputent la scène. Je suis une maman, je suis une enseignante depuis 22 ans, je suis membre de la Fédération autonome de l’enseignement (FAE) ; je me trouve en grève générale illimitée depuis le 23 novembre dernier et je suis sans salaire.

Si le jeu en vaut largement la chandelle, que nos élèves méritent mieux et nous également, il ne faut cependant pas oublier que, parmi les enseignants qui brandissent présentement leur drapeau dans les rues, certains crèveront bientôt de faim. J’appartiens à ce groupe à risque et, dans la situation qui nous incombe, ni mes nombreux diplômes, ni mon éthique de travail, ni mon expertise, ni ma passion, ni mon dossier sans faille ne changeront quoi que ce soit à cette réalité imminente.

« Faites-vous un fonds d’urgence ! », qu’ils disaient. Mélanie Hubert, présidente de la FAE, ne manque d’ailleurs pas de rappeler, à environ neuf minutes de la fin de sa conférence de presse du 29 novembre dernier, ce conseil qui avait été fait aux membres. Parfait, je serai bonne joueuse en vous exposant ma réalité. Au point où j’en suis, je n’ai plus rien à cacher.

Nul besoin de me recommander votre comptable ! Vous constaterez par vous-même que ce n’est pas parce que j’enseigne le français au secondaire que je ne sais pas calculer.

Je gagne, depuis la dernière convention collective (il y a à peine deux ans), 92 027 $ brut annuellement, ce qui veut dire qu’il me reste environ, toutes déductions faites (y compris ma cotisation syndicale de 60,17 $), 2200 $ par paie. Mon loyer s’élève à 2574 $ mensuellement. C’est ce que coûte un loyer en 2023 pour une famille de sept personnes. Vous avez bien lu : sept personnes ! Je suis la fière mère seule de huit beaux enfants, dont six se trouvent sous ma pleine responsabilité.

Le montant de mon épicerie, qui inclut les produits de pharmacie, totalise 2000 $ par mois. Je donne 395 $ à Hydro-Québec, 400 $ à l’industrie pétrolière, une petite fortune pour les frais de garde de mes jumeaux de 3 ans qui fréquentent une garderie non subventionnée. Autre dossier…

Que reste-t-il à madame l’Enseignante pour pourvoir à ses besoins ? Rien ! Madame l’Enseignante vit d’une paie à l’autre. Rationnellement, comment auriez-vous voulu que j’épargne le moindre centime en vue d’une grève ? Imaginez un peu, il s’agit là de ma réalité quand « tout va bien », c’est-à-dire quand je ne connais aucune coupe salariale. Je vous demande aussi de considérer qu’il ne m’est même pas possible de me trouver un autre emploi « en attendant » puisque je suis seule à composer avec les différents horaires de mes enfants. Autrement, j’aurais déjà postulé chez Costco. Il paraît que les assurances y sont incroyables ! Punch in, punch out !

Trêve d’ironie. Je suis bien consciente du caractère inhabituel de ma situation. Toutefois, je ne suis pas la seule qui souffre de lourdes répercussions budgétaires. Certains enseignants sont célibataires et à la veille de la retraite, d’autres pourvoient seuls aux besoins de leur famille, certains n’ont tout simplement pas d’économies. Malgré le fait que les membres de la FAE soient moins nombreux que ceux du Front commun, je ne peux me résigner à croire que mon syndicat ne puisse faire quoi que ce soit pour ses membres, du moins pour les plus vulnérables. D’ailleurs, les réponses concernant la question de la non-disponibilité d’un fonds de grève demeurent nébuleuses.

S’il n’est pas acceptable que les enseignants s’appauvrissent et s’épuisent en travaillant, il n’est pas non plus acceptable qu’ils connaissent la disette en défendant les droits de l’école publique.

Il y aura un « après-négos », que nous voulions l’envisager ou non ! En attendant de voir apparaître l’augmentation qu’aura réussi à négocier notre syndicat sur notre talon de paie, mes collègues et moi reviendrons-nous lourdement endettés ? Serai-je même en mesure de mettre de l’essence dans ma voiture pour retourner au travail, d’assurer un toit et de la nourriture à mes enfants ? Malheureusement, rien n’est moins certain !

Pendant que je songe sérieusement à instaurer une guignolée pour les oubliés des négos, je demande à mon syndicat de négocier jusqu’au bout pour ses membres. Précieuse FAE, serait-ce aussi possible de conclure des accords avec certains fournisseurs de services essentiels, tels qu’Hydro-Québec et les entreprises de télécommunications ?

Et vous, chères petites et grandes entreprises, en cette période de partage, serait-ce possible d’afficher votre conscience collective et le caractère fondamental de votre rôle au sein de la société ? Pourriez-vous nous soutenir pour que nous ne creusions pas davantage le fossé pécuniaire en nous déplaçant pour aller piqueter ? Nous vous le rendrons bien. Nous sommes habitués à donner le maximum avec le minimum.

Au nom de tous mes collègues qui traversent une période éprouvante qui tend à perdurer, et en mon nom personnel, je vous remercie de faire en sorte que nous restions dans les rangs. Qui que nous soyons, nous sommes tous passés entre les mains des enseignants.

* Avec la collaboration de Brigitte Abboud, ex-enseignante remplaçante précaire

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