Le droit du plus fort gouverne malheureusement toujours les prises de position politiques dans les pays les plus puissants, au détriment de la paix et de notre humanité à tous, dénonce l’auteur.

Un humain vaut un autre humain. On prétend vivre à l’âge du triomphe des droits de la personne, mais disons-le franchement : la reconnaissance de la part commune d’humanité dans chaque personne est loin d’être acquise. En réalité, notre monde n’a pas encore rompu avec l’idée qu’il existe une hiérarchisation entre les peuples, les uns supérieurs et d’autres inférieurs. Il y a en effet des vies qui comptent beaucoup plus que d’autres. D’un côté, des morts qui ont des visages, de l’autre, des morceaux de cadavres enterrés sous les débris de bâtiments.

En ces jours terribles, nous entendons à nouveau les battements de tambour de la déshumanisation, des Russes en Ukraine, du Hamas en Israël et des Israéliens à Gaza. Dans chacun de ces trois cas, et dans tant d’autres, la violence a basculé, et bascule, dans la barbarie. On en demeure saisi et on se demande dans quelle mesure la cruauté affecte la légitimité de la défense. Une force destructrice indescriptible contre l’autre est rationalisée comme étant nécessaire en raison de la terrible violence que cet autre a infligée. Une fois de plus, des êtres humains sont décrits comme des « animaux ». Le chagrin explose face à une violence inimaginable qui déchire le tissu même de l’humanité.

Nous sommes devenus des veilleurs attristés et impuissants devant des charniers, dans un déroulé de peau de chagrin et une pantomime obscène. Sidérés, nous assistons à une véritable secousse tectonique, aussi brutale qu’absurde, que nous n’avions même pas imaginée tant l’esprit humain est capable d’autopersuasion aveuglante. L’insoutenable actualité qui nous entraîne dans les abîmes de l’horreur nous renvoie à la vérité profonde de l’oxymore « l’Espérance est violente ». Le poète Apollinaire a mis le doigt sur les contradictions profondes au cœur même de ce qui nous fait humains.

Si chaque pays continue à cultiver ses seuls droits, l’incommunicabilité menacera de plus en plus l’humanité. Seule une universalité respectueuse des différences entre les peuples permet d’établir un monde dans lequel échanges et dialogues prennent la place qui leur revient.

Seule une « politique de civilisation » ancrée dans une « éthique du respect de l’autre » m’apparaît être une condition essentielle si l’on veut pouvoir vivre dans un monde où tous les humains ont une égale valeur.

Le droit du plus fort s’est transformé en un principe moral qui gouverne, aujourd’hui encore, les prises de position politiques dans les pays les plus puissants qui assassinent en prétendant vouloir construire la paix. Machiavel est de retour ou, plus justement, il a toujours été, et continue plus que jamais à être, l’inspirateur du credo politique des pays possédant les armes les plus puissantes. L’éthique m’apparaît être bien malade. Le sens de la justice est en pleine déroute. Il y a de quoi être désespéré de notre humanité. J’ai vraiment honte.

PHOTO AHMAD GHARABLI, AGENCE FRANCE-PRESSE

Des photos des otages enlevés par des militants du Hamas lors de l’attaque du 7 octobre sont projetées sur les murs de la vieille ville de Jérusalem.

Comment peut-on infléchir le destin, aussi absurde que funeste, que s’est assigné l’Occident en se plaçant au-dessus des autres ? Peut-on prétendre rester humain quand on détruit sans retenue d’autres humains ? Peut-on oser parler de compassion pour l’autre quand on ne démontre aucun sens de culpabilité dans ses actes d’autodéfense ? Une cause se doit de garder sa supériorité morale ; qu’il s’agisse de l’oppression des dominants ou de la résistance des dominés, la cause des uns et des autres s’effondre si elle choisit de se défendre en recourant à la barbarie. Elle adhère alors à un projet d’extermination qui s’attaque à l’humain lui-même.

Comment imaginer la possibilité d’un humanisme éclairé, sachant que des hommes ont organisé les fours crématoires d’Auschwitz, que des pays dits de droit ont transformé Hiroshima et Nagasaki en des amas de cendres et qu’on assiste, de nos jours, aux face-à-face de folies guerrières ? Ce qui se passe aujourd’hui ressemble assez bien à la « banalité du mal » que dénonçait Hannah Arendt en relation à l’homme Adolf Eichmann, mais que nous aurions raison d’appliquer aux comportements de groupes entiers. Les machines à tuer ont changé depuis le temps de Hitler et elles tuent encore plus que dans le passé. Ceux et celles qui manipulent aujourd’hui ces puissantes machines de guerre ressemblent, d’une certaine façon, à ceux d’hier, dans un étonnant passage de victimes à bourreaux.

La marque que Caïn porte sur le front, elle lui vient du fait qu’il a tué son frère. Reste posée une question essentielle, celle-là même posée par Caïn : « Suis-je le gardien de mon frère ? »

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