Les résultats d’un sondage sur le racisme structurel ont fait couler beaucoup d’encre récemment en Europe. Leur publication rappelle que le phénomène est répandu en Occident… y compris au Canada, comme le montre un rapport de la vérificatrice générale.

À la une du Guardian, le 25 octobre dernier, un titre fort : le racisme « omniprésent et implacable » est en hausse en Europe⁠1. L’article s’appuie sur un sondage effectué auprès de 7000 personnes d’ascendance africaine dans 13 pays européens, qui révèle que la moitié ont été victimes de discrimination. Il n’y a aucune amélioration depuis 2016 ; au contraire, ces personnes sont aux prises avec encore plus de racisme.

Récemment, la firme Catalyst – dont l’objectif est de créer des lieux de travail favorables aux femmes – a rendu public le rapport How Racism Shows Up at Work and the Antiracist Actions Your Organization Can Take, à la suite de la consultation de 5000 employés issus de groupes racisés, ethniques ou marginalisés en Australie, au Canada, en Nouvelle-Zélande, en Afrique du Sud, au Royaume-Uni et aux États-Unis⁠2.

Les deux tiers des répondants disent avoir été victimes de racisme au cours de leur carrière et la moitié d’entre eux, récemment. Le rapport souligne que le racisme et le privilège blanc sont intimement liés.

Il définit la suprématie blanche comme « la croyance selon laquelle les Blancs sont intrinsèquement supérieurs aux personnes d’autres races ; par conséquent, les caractéristiques associées à la blanchité sont célébrées et acceptées comme étant la norme ».

Les normes sont stratifiées dans les systèmes gouvernementaux, juridiques et financiers. Leur prépondérance les rend invisibles, ce qui a des conséquences dramatiques pour les personnes racisées.

Alors qu’elle dévalorise les cultures, l’expertise et les idées, bref l’humanité des personnes racisées, cette suprématie continue d’être le prisme à travers lequel les politiques organisationnelles sont évaluées.

La surreprésentation des personnes blanches dans les lieux de pouvoir a pour conséquence d’en faire des espaces blancs. Selon le sociologue Elijah Anderson : « Dans les espaces blancs, les Blancs dominent et, comparés à leurs homologues noirs, jouissent d’un pouvoir implicite ainsi que d’un degré d’autorité morale qui manque fondamentalement aux Noirs. Les Blancs ont tendance à prendre pour avérés leurs privilèges. Ils rejettent les plaintes des Noirs, ou encore font preuve d’incrédulité et d’“horreur" [lorsque leurs privilèges sont dénoncés]. Il leur est très difficile de comprendre et d’apprécier l’expérience des Noirs. »

La situation des femmes

Par ailleurs, une étude de la firme McKinsey révèle que les femmes noires et les Latinas, en dépit de leurs compétences, sont les moins susceptibles d’être promues cadres. Ce sont les préjugés systémiques qui les empêchent d’être considérées comme des leaders aptes à gérer⁠3.

De son côté, le rapport de Catalyst reconnaît la dimension intersectionnelle de la discrimination à laquelle les femmes doivent faire face.

La situation intersectionnelle des femmes racisées, cibles de la « misogynoir », les rend vulnérables. Leurs contributions sont susceptibles d’être effacées ou encore attribuées à tort à une personne blanche.

Si ces femmes refusent d’être des représentantes symboliques, dans une organisation où le leadership ou le personnel sont constitués de personnes blanches, elles font alors face à des microagressions ou à des obstacles structurels ou encore à une « sur-surveillance » de leur travail et de leurs relations interpersonnelles.

Si elles dénoncent les dynamiques raciales contestant le statu quo, elles deviennent le « problème ». Des mécanismes formels et informels sont déployés : ces femmes noires font face à des représailles.

Un constat s’impose : le racisme systémique a des conséquences sur le milieu du travail, en favorisant la représentation symbolique (« tokénisme ») au détriment de la représentation effective.

Au Canada

Des mesures sont mises en place pour contrer les obstacles organisationnels, mais le manque de responsabilisation a des conséquences : les résultats tardent à venir.

Plus tôt ce mois-ci, la vérificatrice générale du Canada rendait public un rapport qui constatait que « même si l’Agence des services frontaliers du Canada, la GRC, Justice Canada, le Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada, Sécurité publique Canada, Service correctionnel Canada et le Service des poursuites pénales du Canada avaient établi des plans d’action en matière d’équité, de diversité et d’inclusion, ils n’avaient pas évalué le progrès quant aux résultats pour leur personnel racisé […] Par conséquent, ils ignoraient si leurs mesures avaient fait ou si elles feraient une différence dans la vie professionnelle du personnel racisé. Ces constatations ne laissent rien présager de positif quant à la lutte contre le racisme systémique » ⁠4.

Ces divers rapports confirment ce que les tenants de la Critical Race Theory (CRT) ont toujours soutenu : le racisme est une réalité tangible, systémique, et non une anomalie sociétale.

1. Lisez l’article du Guardian (en anglais) 2. Consultez le rapport de Catalyst (en anglais) 3. Consultez l’étude de la firme McKinsey 4. Consultez le rapport de la vérificatrice générale Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue