Le bilan du gouvernement Legault en matière de logement lui vaut de nombreuses critiques. Avec raison.

Il n’investit pas assez en logement social et abordable.

Il donne l’impression d’être déconnecté. Ça n’aide pas quand le premier ministre ne connaît pas le prix moyen d’un loyer à Montréal ou prétend que les baisses d’impôt sont la solution à la crise du logement1. Ce n’est pas avec une baisse d’impôt moyenne de 370 $ par an qu’on va venir à bout de la crise du logement.

Comme on l’a vu plus tôt cette semaine, sa réforme du principal programme de logement abordable (le PHAQ) n’a pas non plus donné les résultats escomptés2.

Mais le gouvernement Legault a aussi eu une idée intrigante et prometteuse : faire un deuxième programme de logement abordable avec Desjardins, le Fonds de solidarité FTQ et Fondaction, des investisseurs privés sociaux qui connaissent bien le milieu de la construction.

En juin 2022, Québec leur a essentiellement sous-traité le mandat de construire 3000 logements abordables d’ici trois ans (juin 2025), avec des subventions équivalentes au programme gouvernemental habituel. En gros, Desjardins et le Fonds de solidarité FTQ gèrent la subvention de Québec pour le logement abordable, choisissent les projets, investissent du capital dans les projets, les supervisent et rendent ensuite des comptes à Québec. Les règles de gestion sont plus souples (voir capsule).

On appelle ça le programme des « fonds fiscalisés », car pour investir, Desjardins, le Fonds de solidarité FTQ et Fondaction utilisent leurs fonds fiscalisés, ceux qui donnent droit à des crédits d’impôt pour les épargnants.

Le gouvernement Legault faisait le pari que ce deuxième programme allait aider à augmenter la cadence de construction de logements abordables, qui sont réservés aux Québécois gagnant moins de 45 000 $ par an.

La ministre de l’Habitation du Québec, France-Élaine Duranceau, ne s’en cache pas : avec ce programme, elle voulait aussi « insuffler un peu de compétition dans l’écosystème traditionnel communautaire », dit-elle en entrevue avec La Presse.

Pour l’instant, c’est un pari réussi. Ce programme des fonds fiscalisés n’a pas fait de miracles, mais les résultats sont intéressants.

On est venu mettre des gens [les fonds fiscalisés] qui font ça depuis longtemps, qui savent combien ça coûte de construire des logements, qui mettent de leur propre argent. Le budget est géré de façon serrée pour y arriver. C’est venu donner un petit électrochoc au niveau de la rigueur budgétaire.

France-Élaine Duranceau, ministre de l’Habitation du Québec

« Personne avant moi n’avait remis en question les coûts de construction dans tout l’écosystème, dit la ministre Duranceau. J’ose poser des questions, je vis avec les conséquences. Je pense que c’est important. Mon but, c’est qu’on fasse le plus de logements possible avec nos enveloppes. […]. On ne peut pas être contre l’efficience. »

Bâtir son quartier, un OSBL qui coordonne des projets de logement abordable, aime à la fois le Programme d’habitation abordable du Québec (PHAQ) et le programme des fonds fiscalisés.

« On utilise tous les outils disponibles pour le développement du logement communautaire, dit Édith Cyr, directrice générale de Bâtir son quartier. L’approche avec les fonds fiscalisés est intéressante, on travaille avec des partenaires ouverts qui veulent construire du logement communautaire. Multiplier les outils pour qu’on arrive à construire davantage, c’est correct. »

En plus des nouvelles constructions, les fonds fiscalisés peuvent aussi financer des projets de rénovation et d’achat de logements existants. Rénover coûte moins cher, et c’est plus rapide.

En juin 2022, Québec avait mis 395 millions en subventions pour financer la construction de 3000 logements sociaux avec Desjardins, le Fonds FTQ et Fondaction. Comme 40 % des projets sont des rénovations ou des achats, les trois fonds fiscalisés ont pu financer 4135 logements sociaux avec les fonds publics accordés.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

France-Élaine Duranceau, ministre responsable de l’Habitation

Vingt-deux mois plus tard, 46 % des 4135 unités sont soit en chantier (19 % des unités), soit livrées (27 %). Sur 66 projets, 7 sont livrés, 16 sont en chantier, et 43 sont en développement.

En septembre dernier, la ministre Duranceau disait que « la plupart » des projets des fonds fiscalisés seraient en chantier à l’automne 2023 et au début de l’hiver 2024. Ça ne s’est donc pas concrétisé.

À première vue, 46 % des unités en chantier ou livrées, c’est beaucoup mieux que le Programme d’habitation abordable du Québec (PHAQ), qui a livré seulement 21 % de ses unités annoncées en même temps. Mais cette performance est essentiellement attribuable aux rénovations et aux achats. Si on compare des pommes avec des pommes et qu’on prend seulement les nouvelles constructions, la performance des fonds fiscalisés est à peine meilleure que celle du PHAQ.

Le coût par unité des projets des fonds fiscalisés est aussi plus faible que celui du PHAQ, mais c’est, là encore, essentiellement parce qu’il y a davantage de rénovations.

Mais ne boudons pas notre plaisir. Sur le terrain, on entend que Desjardins, le Fonds de solidarité FTQ et Fondaction simplifient la vie à tout le monde. Ce sont aussi des partenaires hautement motivés à construire du logement social et abordable. Dans le contexte actuel, c’est précieux.

« Tous les programmes sont nécessaires. Faire du logement abordable et social, ça fait partie de notre mission. On fait sortir des portes en quantité importante », dit Marianne Duguay, vice-présidente principale du Fonds immobilier de solidarité FTQ.

« Nous sommes branchés sur les besoins de nos communautés. Notre proximité avec le milieu fait en sorte qu’on peut faire des projets plus rapidement », dit Jean-Yves Bourgeois, premier vice-président, services aux entreprises, de Desjardins.

En entrevue, la ministre Duranceau confirme que les deux programmes de logement abordable (le PHAQ et les fonds fiscalisés) continueront d’exister en parallèle.

Voilà une excellente décision.

1. Lisez l’article « Les baisses d’impôt vont aider les acheteurs, plaide Legault » 2. Lisez la chronique « Malgré de nouveaux retards, la CAQ reste optimiste » Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue

Comment fonctionne le programme des « fonds fiscalisés » ?

Au lieu de déposer une demande au gouvernement du Québec (par le biais du PHAQ), les offices municipaux d’habitation ou les organismes sans but lucratif déposent leur projet de logements abordables chez Desjardins ou au Fonds de solidarité FTQ, qui choisissent les projets et les supervisent, tout en rendant des comptes à Québec. Le niveau de subventions, le montant du loyer et le seuil maximal de revenu pour être locataire sont calqués sur le PHAQ. En pratique, Québec paie entre 40 % et 50 % du coût de construction du logement abordable. Desjardins ou le Fonds de solidarité FTQ investit aussi dans chaque projet (5-10 % du montage financier). Le reste est payé par l’hypothèque sur les loyers (30-35 %), ainsi que les villes, le fédéral et les fondations privées (20-25 %). Le programme est quelque peu différent chez Fondaction.

Qu’est-ce qu’un logement abordable ?

  • Les logements abordables, subventionnés en partie par Québec, sont la propriété d’offices municipaux d’habitation, de coops d’habitation ou d’OSBL ;
  • ils doivent louer 100 % des logements à des Québécois qui ont un revenu annuel modeste (ex. : à Montréal, moins de 44 000 $ pour une personne et moins de 62 000 $ pour deux personnes) ;
  • le montant du loyer et le seuil maximal de revenu pour être locataire sont déterminés par le gouvernement du Québec et varient selon les régions ;
  • chaque projet de logement abordable réserve en pratique un certain nombre de logements pour du logement social, pour des gens aux revenus encore plus modestes, dont le loyer est payé en partie par Québec.