Qu’ont en commun Janette Bertrand, Alain Bouchard, Céline Dion et Pierre Harvey ? Tous sont récipiendaires de l’Ordre du Canada, « la pierre angulaire du régime canadien de distinctions honorifiques » (selon le site du gouvernement du Canada). Sur celui de la gouverneure générale, responsable de l’attribution de l’Ordre du Canada, on y lit qu’il « célèbre ceux et celles qui ont apporté une contribution extraordinaire à la nation ».

À la lumière de critères que l’on présume fort rigoureux, on peut s’étonner de retrouver parmi les lauréats de nombreux ex-politiciens et certains de leurs proches collaborateurs. En grande partie des libéraux, ne serait-ce que sur la foi des nominations québécoises des 30 dernières années. L’époque Chrétien aura été marquante pour ceux ayant jadis promu le chandail rouge. Après une accalmie provoquée par l’arrivée de Stephen Harper, les services « extraordinaires à la nation » rendus par des libéraux ont à nouveau été reconnus avec l’élection de Justin Trudeau en 2015. Et n’allez pas croire que M. Harper et son entourage se sont assurés de décorer des conservateurs québécois – entre 2006 et 2015, un seul d’entre eux a reçu l’Ordre du Canada.

La procédure décrite par la gouverneure générale pour avancer le nom d’un candidat rappelle celle de nos écoles primaires pour l’élection d’un président de classe.

Il suffit de nommer une personne, de décrire brièvement ses faits d’armes et d’en trouver trois autres pour appuyer sa candidature. Ceux ayant déjà visé la plus haute marche au primaire connaissent l’importance de trouver des proposants « populaires ». La formule n’est pas différente pour l’Ordre du Canada – c’est la seule conclusion logique qui s’offre à quiconque prend le temps de consulter la liste des ex-politiciens décorés.

Donc, au travers de listes publiées par la gouverneure générale deux fois l’an composées d’artistes, d’athlètes, d’industriels ou de philanthropes réputés se trouvent immanquablement quelques politiciens à la retraite plébiscités par un groupe d’amis loyaux vers les plus grands honneurs qu’offre leur pays. Comparés aux sélectionnés qui ont décroché des médailles olympiques, écrit des romans à succès ou créé de grandes sociétés à partir d’un prêt de 50 $ d’une tante, les ex-politiciens ont des parcours particulièrement modestes.

Bien sûr, certains ont été élus (dans des cas exceptionnels au fédéral et au provincial) et d’autres, que la vie n’aura pas épargnés, se sont retrouvés au Sénat. Parmi ces ex-politiciens se trouvent des érudits, avec un penchant pour les arts ou les sciences et même la philanthropie. Mais rien bien franchement qui les distingue de la majorité des Canadiens qui font bien leur travail, lisent des livres et s’intéressent à leur communauté. Leur décerner l’Ordre du Canada est l’équivalent d’ouvrir les portes du Temple de la renommée du hockey à un joueur de centre ayant marqué 65 buts en carrière.

Dans un milieu où l’image et la notoriété jouent un rôle démesuré, faut-il se surprendre que d’ex-politiciens rêvent d’obtenir l’Ordre du Canada ? Au moment où les projecteurs brillent beaucoup moins, on peut imaginer les plaisirs que procure l’épinglette distinctive lorsque l’ex-politicien entre dans une pièce. Elle réclame des exploits que même sa mère n’oserait soupçonner. Les quidams qui ne le connaissent pas se doutent qu’il a probablement une sinon deux inventions derrière la cravate alors que les autres ne peuvent que hocher la tête devant ce débordement de prétention.

N’allez pas croire que les politiciens ne s’intéressent qu’à l’Ordre du Canada. Ils ont un flair pour le métal précieux.

La liste des récipiendaires des médailles du jubilé de diamant de la reine Élisabeth II en témoigne. Ces médailles furent remises à approximativement 60 000 Canadiens en 2012 pour célébrer les six décennies de règne de la reine. Les récipiendaires devaient avoir « apporté une contribution majeure au Canada ». Les députés fédéraux avaient reçu beaucoup de médailles à distribuer et les ont attribuées sans réel contrôle. Et à beaucoup de politiciens actifs et inactifs – dont moi. Je ne connaissais ni l’existence de la médaille ni les motifs justifiant son octroi. Quelques appels à Ottawa m’ont permis de comprendre que j’y avais encore quelques amis. Mais je ne la méritais pas plus que l’employé de Postes Canada qui me l’avait livrée.

Un système aussi aléatoire semble aussi avoir été épousé pour la remise de la médaille du jubilé d’or de la reine en 2002. Quelques ex-politiciens auront reçu les deux médailles du jubilé. Comme l’aurait dit Jacques Doucet, « ils ont balayé les honneurs du jubilé » ! Alors que le téléphone ne sonne presque plus, ces ex-politiciens – certains déjà titulaires de l’Ordre du Canada – se consolent en se contemplant devant une glace avec cette trifecta de décorations accrochée au blouson.

Je souscris entièrement à l’importance de souligner les réalisations de Canadiens qui se démarquent. D’autres pays le font et n’ont pas toujours le souci de ratisser aussi large que nous (les États-Unis insistent beaucoup sur les faits marquants militaires d’un récipiendaire de la médaille du Congrès). Mais personne ne devrait recevoir l’Ordre du Canada pour un simple passage en politique – sauf possiblement ceux et celles qui auront occupé le poste de premier ministre. Si on veut récompenser les politiciens, donnons-leur une épinglette scintillante au moment de leur retraite et désignons-la « l’Ordre du Parlement ». Ainsi ils auront leur médaille et ne dilueront plus celles des plus méritants.

* Homme d’affaires et banquier, Michael M. Fortier a été ministre du Commerce international du Canada au sein du gouvernement de Stephen Harper et ministre responsable de la grande région de Montréal.

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