Louise Cousineau, ex-chroniqueuse télé de La Presse, dont la plume était souvent trempée dans le vitriol, mais qui savait aussi distribuer les louanges à ceux et celles qui faisaient, selon ses critères, de la bonne télévision, nous a quittés lundi à l’âge de 86 ans.

Au cours d’une carrière qui s’est échelonnée sur six décennies, Mme Cousineau a aussi travaillé pour Le Petit Journal, La Patrie et TV Hebdo, en plus de faire des chroniques sur les ondes de CKAC et du 98,5 FM, notamment avec Paul Arcand.

PHOTO PIERRE MCCANN, ARCHIVES LA PRESSE

Louise Cousineau dans la salle de rédaction de La Presse, en 1969.

Louise Cousineau s’est éteinte en fin de journée lundi à la suite de problèmes de santé. Elle avait 86 ans.

D’aucuns se souviendront avant tout d’une journaliste qui n’avait pas la langue dans sa poche et dont l’acidité de certains titres de chroniques n’avait d’égal que leur contenu. Les exemples abondent.

« La télé expérimentale de CTYVON : les rats, c’est nous », avait-elle ainsi écrit le 13 septembre 1989 à propos d’une émission humoristique pilotée par Yvon Deschamps. « La montagne du Hollandais : un téléroman pas mal chinois », vociférait-elle le 3 septembre 1992 à propos de cette série qui a fait une seule saison à Télé-Métropole (TVA). « Bye Bye : qu’on nous ramène Dominique ! », réclamait-elle après la décevante prestation du 31 décembre 1975 où elle regardait sa montre « après 20 minutes ».

Ses propres collègues de travail ont goûté à sa médecine. Ce fut le cas du chroniqueur et scénariste Réjean Tremblay après la deuxième saison de Lance et compte. « Lance et… conte-moi une meilleure histoire », titrait-elle au terme de l’opus 2 des aventures du hockeyeur Pierre Lambert et de ses coéquipiers.

« J’essayais d’être juste dans mes critiques. J’aimais beaucoup mieux aimer ça que haïr ça », disait-elle à Marc Labrèche le 6 juin 2020 à l’émission Un phare dans la nuit que l’animateur et comédien avait créée à la radio de Radio-Canada au début de la pandémie. Elle ajoutait avoir eu de la difficulté à trouver le sommeil, certaines nuits, après avoir écrit une chronique très dure.

Marc Labrèche reconnaissait d’ailleurs lors de cette entrevue avoir été épargné par cette chroniqueuse qui savait aussi être enthousiaste, généreuse, reconnaissante et empathique.

Ainsi, le 2 décembre 1997, après le dernier épisode de la série Omertà, elle évoquait « une fin extraordinaire » et qualifiait l’auteur Luc Dionne d’« homme diaboliquement habile ».

À la suite de la mort par suicide du journaliste Gaétan Girouard, de TVA, le 14 janvier 1999, elle disait : « J’ai écrit un jour qu’il était mon idole. Les bons journalistes de télé qui sont à la fois intelligents et ne bafouillent jamais en direct sont rares. »

Quelques-unes de ses chroniques ont même été teintées d’un enthousiasme qui s’est retourné contre elle. On pense à celle du 22 novembre 1990 alors qu’elle introduisait le lecteur, sans donner de punch, à une scène de la série Les filles de Caleb lorsque Émilie et Ovila sont émoustillés en regardant deux chevaux s’accoupler. Son titre ? « La scène la plus érotique de la télé québécoise ? » Un passage de texte suggérait que « deux millions de Québécois vont tressaillir de plaisir ».

IMAGE LA PRESSE/BANQ

La chronique du 22 novembre 1990 est restée dans les mémoires.

À la une

Louise Cousineau a fait une entrée fracassante dans le monde des médias à la suite d’un grave accident, le 9 juin 1956, au mont Washington. Selon ce que rapporte Le Petit Journal, dans son numéro du 1er juillet 1956, la future journaliste a fait une chute de 1800 pieds dans un ravin. Elle est « tombée à travers les arbres, les rochers et sur la neige » avant de « s’en tirer indemne », lit-on.

IMAGE LE PETIT JOURNAL/BANQ

Article avec photo consacré à la mésaventure de Louise Cousineau au mont Washington

L’histoire fait la une du journal ainsi qu’un long reportage signé Guy Lemay en page 35.

Difficile de dire, plus de 67 ans plus tard, si tous ces détails sont exacts. Ce qui est certain, c’est que Louise a connu un meilleur sort que son père, le docteur Azarie Cousineau, médecin à l’hôpital de la Miséricorde, tué dans un accident d’avion au lac Taureau en octobre 1949. Cinq personnes, dont trois médecins montréalais, sont mortes dans cet écrasement.

Peu après le reportage que lui a consacré Le Petit Journal, Louise Cousineau commence sa carrière journalistique dans la même publication. Nous avons retrouvé un article signé de sa plume le 3 mars 1957. Elle y rapporte que l’acteur Paul Dupuis (Ti-Coq, Les belles histoires des pays d’en haut) a arbitré un match entre deux lutteuses professionnelles, Golden Venus et Gypsy Daniels.

Un des patrons de cet hebdomadaire populaire était Jean-Charles Harvey.

Nous avons aussi retrouvé des articles de Mme Cousineau dans La Patrie. Ainsi, le 11 janvier 1967, elle nous apprend que « Le Québec est une ‟terre de missions’’ pour les Mormons ».

L’année suivante, toujours selon nos recherches sur le site de BAnQ, elle signe ses premiers textes dans le quotidien de la rue Saint-Jacques. Elle n’est pas encore chroniqueuse télé, mais affectée à la section générale. Durant quelques années, elle fait un peu de tout.

Un texte du 21 mai 1968, peut-être son premier, s’intéresse ainsi aux coiffeurs de Montréal qui demandent une prolongation du décret régissant leurs conditions de travail.

Le 13 janvier 1970, un court article indique que Mlle Louise Cousineau a été élue secrétaire du Syndicat des journalistes de Montréal, section La Presse, dont le président est Claude Masson, futur éditeur adjoint du journal.

Deux mois plus tard, Louise Cousineau se retrouve à Osaka, au Japon, où elle est parmi les journalistes invités à visiter l’Exposition universelle avant son ouverture officielle. Déjà, son regard est mordant. Du pavillon du Québec, elle dit qu’il est « plaisant à regarder mais décevant à visiter ». Elle constate qu’il y a peu de choses au programme et qu’une cinquantaine de toiles d’artistes québécois sont accrochées dans la cave du bâtiment.

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Un reportage de Louise Cousineau à Osaka

Radio-télévision

Mme Cousineau commence à signer une chronique intitulée « Radio-télévision » à compter de mars 1975. Une aventure qui se poursuivra jusqu’à l’aube de la décennie 2010, où elle prendra sa retraite.

Pourquoi la télé ? Parce que ça ne se faisait pas, du moins pas de façon assidue, dans les médias de langue française. « Dans les journaux francophones au Québec, personne ne parlait de télévision parce que tout le monde disait que c’était bon pour les épais, a-t-elle dit à Marc Labrèche dans l’émission ci-dessus nommée. Alors que dans les journaux anglais – j’étais mariée avec un Brit à l’époque et nous étions abonnés à The Gazette –, je lisais des chroniques de télévision très drôles, très amusantes. Ils ne prenaient pas ça trop au sérieux. Je me disais que je n’étais pas assez intelligente pour être chroniqueuse de théâtre ou littéraire, alors la télévision, c’était parfait pour moi [rires]. »

Ses 35 années seront tissées de centaines, voire de milliers d’articles d’une grande richesse et émaillés d’un verbe qui a souvent fait les supplices des personnes concernées et les délices des lecteurs et lectrices.

Elle a été à la télévision ce que notre collègue Claude Gingras a été à la musique classique. Les deux, qui ont travaillé un temps l’un en face de l’autre dans la salle de rédaction, ont été de bons amis avant de se brouiller. Ils avaient ceci en commun de fumer en cachette, tard le soir, alors que la salle était pratiquement déserte, cachant leurs cendriers dans un tiroir, faisant fi des règles.

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Louise Cousineau en compagnie de l’ex-président et éditeur de La Presse Roger D. Landry, personnifiant Luciano Pavarotti, et de Claude Gingras, en 1993

Choquant ? Attendez ! Dans sa chronique d’adieu, publiée le 13 mars 2010 dans nos pages, elle glissait : « Le pot qu’on fumait dans les années soixante en pleine salle de rédaction sous le nez peu averti de nos patrons. Un lundi matin, la météo en une annonçait ‟Ensoleillé cette nuit’’ ».

Se définissant dans le même texte comme ayant « toujours eu du mal avec l’autorité », elle a néanmoins été patronne de la section des Affaires générales. C’est elle qui a entre autres embauché le chroniqueur Yves Boisvert, impressionnée par son travail au cours du stage d’été des jeunes journalistes.

Lisez le texte d’Yves Boisvert

« J’avais eu la chance de tomber du bon côté de sa ligne de partage des êtres humains. C’est-à-dire pas celui des ‟insignifiants’’ (appuyez sur le S), qui peuplent majoritairement notre planète, a écrit Yves dans un texte hommage aussi daté du 13 mars 2010. Ça m’a valu quelques indulgences – eh oui, elle en est capable. »

PHOTO ARCHIVES FOURNIE PAR TOUT LE MONDE EN PARLE

Louise Cousineau à Tout le monde en parle, le 31 janvier 2010

À la fin des années 2000, Mme Cousineau a eu des problèmes de santé. Elle n’a pas écrit durant un an dans La Presse avant de décider de prendre sa retraite. Un départ qui ne s’est pas fait dans les meilleures conditions, et elle l’a fait savoir dans sa dernière chronique, intitulée « On n’a plus d’espace ! »

Lisez « On n’a plus d’espace ! »

Quelques jours après cette parution, Le Journal de Montréal annonçait qu’elle allait signer 50 chroniques dans le TV Hebdo, qui célébrait ses 50 ans d’existence. « Je suis terrorisée. Tout à coup que je l’avais pu pantoute », confiait-elle au journaliste Dany Bouchard.

Du même souffle, elle se réjouissait de cette assignation. « Ça va être un papier par semaine, personnalisé, sur des émissions de l’époque. Ça, c’est dans mes cordes. »

Depuis, elle avait passablement ralenti ses activités. Son nom est revenu de temps à autre dans l’actualité. Comme en juin 2014 alors qu’elle signait, avec d’autres personnalités, une lettre demandant au premier ministre Stephen Harper de ne pas réduire les budgets de Radio-Canada.

Mère d’une fille et grand-mère, Louise Cousineau a, de l’avis général, inventé le modèle du chroniqueur télé tel qu’on le connaît depuis quelques décennies.

Elle adorait le petit écran, qu’elle regardait accompagnée de ses chiens Benji puis Mademoiselle Emma, qu’elle avait adoptée grâce à l’initiative de Julie Snyder et de son recherchiste Marc-André Chabot de L’enfer c’est nous autres.

Au-delà de la matière première, la télé, de ses chroniques, elle a gardé ses meilleurs souvenirs pour ses compagnons et compagnes du troisième étage du 750, boulevard Saint-Laurent. Donnons-lui le mot de la fin :

« On a beau avoir trippé sur des scoops, passé des nuits à se demander si on s’est fait berner, rencontré des gens extraordinaires ou abominables, ce dont je me souviens après toutes ces années passées à La Presse, c’est le plaisir que j’y ai eu. »