Longtemps, comme plusieurs acteurs et animateurs qui ont goûté à sa médecine, Louise Cousineau m’a terrorisé.

Par sa plume efficace et corrosive. Par sa voix graveleuse, sculptée par la cigarette. Et par son influence : personne ne souhaitait se la mettre à dos, oh boy non. Ni au journal ni dans le milieu de la télé, où elle a régné pendant quatre décennies.

Mme Louise, une légende de La Presse, a inventé le métier de chroniqueur télé comme il se pratique aujourd’hui en incorporant l’opinion au reportage. Personne ne racontait des anecdotes avec autant de vivacité et de détails que Mme Cousineau.

Et elle jubilait quand sa cour se réunissait autour de son bureau bordélique, tout près de la station des téléphonistes, encombré de papiers et de vieux boîtiers DVD. Puis, Mme Louise démarrait le moteur, qui toussait parfois violemment : « mon petit gars, saviez-vous que… ». Le punch finissait toujours par un tonitruant « écccoute », qui marquait son exaspération toujours théâtrale, jamais ennuyeuse.

Personne ne raffolait autant des bonnes histoires que Mme Louise, qui les relayait dans ce journal et au micro de Paul Arcand, alias Monsieur Paul, où son segment était religieusement écouté par toutes les têtes couronnées de l’industrie audiovisuelle. Cette femme adorait son travail et ses yeux pétillaient quand elle attrapait un scoop juteux.

Je la cite, de mémoire, quand elle s’apprêtait à larguer une bombe médiatique : « j’aime toujours ça mettre un peu de marde dans le fan ». Ça, c’était du Louise Cousineau tout craché. Un peu vulgaire, provocant et cru.

Cette flamme a teinté ses milliers de chroniques, rédigées dans un style simple, limpide et souvent sans appel, que les lecteurs dévoraient. Mais Mme Louise détestait autant qu’elle encensait.

Julie Snyder n’en démord pas : c’est Louise Cousineau qui l’a « mise sur la mappe » en consacrant une chronique à l’entrevue qu’elle a faite avec Serge Gainsbourg, en novembre 1990, dans le cadre de l’émission Sortir à Télévision Quatre Saisons. René Angélil la trouvait drôle dans toutes ses excentricités.

Louise Cousineau était une travaillante. Même avec un horaire de travail compressé en quatre jours par semaine, elle pondait cinq chroniques sur une base hebdomadaire. Les jeudis soir, elle restait très, très tard au journal pour fignoler son papier du lendemain ainsi que celui du samedi.

J’en connais des pas mal moins vaillants que Mme Louise, qui a conservé ce rythme essoufflant jusqu’à son départ, après 45 ans à La Presse. Respect. Elle écrivait court. Elle séparait ses textes en blocs distincts. C’était d’une précision redoutable. Et pas question de modifier un seul mot dans son texte sans l’avertir. Sinon, c’était la guerre nucléaire, j’exagère à peine.

Au fil des ans, je l’ai souvent entendue s’obstiner avec des chefs de pupitre pour obtenir plus d’espace pour ses textes. Aujourd’hui, elle ne se buterait pas à ce problème, car la télé est beaucoup moins snobée, et c’est un peu, beaucoup grâce à elle. Mme Louise aimait profondément la télévision québécoise et tenait en horreur ceux et celles qui crachaient sur cet art jugé insignifiant (son insulte préférée), à une autre époque.

J’ai beaucoup appris en étant le « stagiaire » officiel de Mme Louise à partir de 2002. « On écrit pour le monde, oubliez jamais ça, mon petit gars », me répétait-elle entre deux voyages au fumoir du journal, où elle tenait salon.

Leçon apprise, Mme Louise. Aussi, il faut toujours se méfier des « petits boss qui ne servaient à rien », selon elle. Louise Cousineau, une femme hyper cultivée, détestait l’autorité : elle faisait ce qu’elle voulait, quand ça lui plaisait.

Dans les évènements de presse, les relationnistes tétanisées arrêtaient de respirer quand Louise Cousineau se pointait en trottinant. Il fallait que le buffet soit au goût de Mme Cousineau, il fallait que Mme Cousineau ait son cendrier en tout temps (on la laissait fumer à l’intérieur, évidemment) et il fallait lui trouver du stationnement, sinon elle décampait en bougonnant.

Les artistes d’aujourd’hui qui se plaignent, bouhou, de la dureté des critiques n’auraient pas survécu une semaine à l’ère Cousineau. Cette redoutable chroniqueuse mettait le doigt sur le bobo, puis plongeait la main au complet dans la plaie et pouvait s’acharner longtemps. Cette rudesse lui a valu de nombreux ennemis, qui frissonnent encore en entendant son nom.

À l’opposé, les vedettes que Louise Cousineau a défendues et soutenues s’en souviennent des années plus tard. Il ne se fabrique plus de personnages comme elle, qui suscitent autant la haine que l’admiration.

J’ai relu plusieurs de ses chroniques avant d’écrire celle-ci et maudit que Mme Louise était drôle, percutante et pertinente. Elle avait un sens de la formule inégalé. Avec ses lecteurs, elle parlait de tout : de ses chiens, de ses petits-enfants et même de ses problèmes de santé mentale, qui ont donné une de ses chroniques les plus bouleversantes, qu’elle avait intitulée « Voyage au bout de la nuit ». Ça prenait beaucoup de courage pour aborder aussi franchement un sujet tabou comme les idées noires.

Au cœur de ses préoccupations, Mme Louise parlait constamment du monde, qu’il fallait « rester proche du monde » et l’écouter. Elle avait cent pour cent raison. Autre leçon retenue, Mme Louise.

À la fin, quand ses genoux la lâchaient, Mme Louise bottait régulièrement ses pantoufles de pattes d’ours loin sous son bureau. Elle était incapable de les récupérer. Oui, Mme Louise se promenait en pantoufles dans la salle de rédaction, ça vous surprend vraiment ?

« Youhou, pourriez-vous m’aider avec mes pantoufles ? Je ne suis plus capable de les reprendre », implorait-elle de sa voix de scotch.

Aucun problème, Mme Louise.

Je n’étais pas dans le cercle intime de Louise Cousineau, qui m’a toujours vouvoyé, comme je la vouvoyais. Même que nos relations de travail ont parfois été orageuses. Mme Louise protégeait son territoire et elle y avait enfoui des mines un peu partout.

N’empêche qu’elle m’a toujours offert ses fameux raisins secs qui avaient macéré dans de l’alcool très fort. Elle en conservait un pot dans le tiroir de son bureau.

Divulgâcheur : ce n’était pas mangeable, au secours. Elle insistait : c’est bon pour la santé, je vous le jure. Elle repartait ensuite vers le fumoir, avec sa bonne amie Josée, prête à raconter une autre de ses savoureuses anecdotes. Écccoute !