Vous ne trouverez pas de clients riches comme Crésus dans les bureaux du Collectif juridique.

On y accompagne plutôt des victimes de violence conjugale. Des immigrants étourdis par notre système d’immigration kafkaïen. Des locataires mal pris. Des retraités ou des citoyens de la classe moyenne qui ont toutes sortes de problèmes judiciaires, mais pas d’argent pour se payer un avocat à 200 $ l’heure.

Des gens qui ne savent pas où donner de la tête. Comme les 20 victimes d’un copropriétaire d’immeuble à Montréal – et de son frère – qui s’est enrichi à leurs dépens, qui les a harcelés pendant des années, et qui vient d’être condamné par la Cour supérieure à leur verser 7 millions de dollars grâce à la ténacité de MVincent Ranger, qui faisait du bénévolat au Collectif juridique quand il a pris la cause⁠1.

Avec la hausse du coût de la vie depuis un an, on voit la détresse que ça amène chez les gens. Ils se disent que la justice n’est pas accessible. Souvent, ils se résignent à abandonner leurs droits. C’est beau, avoir des droits, mais quand tu n’es pas capable de les faire respecter, ça revient à un déni de droit.

MNathalie Raymond, directrice générale du Collectif juridique

Pour voir quel rôle essentiel jouent ces cliniques juridiques gratuites, j’ai passé deux après-midi à assister aux consultations offertes par les étudiants du Collectif juridique (anciennement la Clinique juridique du Mile End), l’une des plus importantes cliniques juridiques gratuites au Québec. Je me suis bien sûr engagé à respecter la confidentialité des échanges entre avocats et clients.

Dans Parc-Extension, l’un des quartiers les plus pauvres du Québec, comme dans Rosemont, le Collectif juridique reçoit ses clients dans le sous-sol d’un centre communautaire. Il est aussi présent dans la Petite-Bourgogne et le Plateau Mont-Royal.

Au propre comme au figuré, nous sommes bien au « sous-sol » de l’accès à la justice. Les clients sont souvent vulnérables et désemparés devant leurs problèmes judiciaires.

Chaque année, les étudiants en droit et les avocats membres du Collectif, un organisme fondé en 2002, offrent des consultations gratuites à environ 400 personnes. La consultation initiale dure une heure et demie. Les clients exposent leurs problèmes, les étudiants posent des questions, prennent des notes. Sous la supervision de l’un des avocats du Collectif, ils effectuent des recherches et donnent ensuite de l’information juridique à leurs clients.

Le client, qui se représente souvent seul, est ainsi mieux outillé pour la suite des choses. Sur le plan juridique. Mais aussi sur le plan psychologique, car la clinique offre les services d’une intervenante psychosociale.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Les avocates Léa Charbonneau-Lacroix et Nathalie Raymond, respectivement directrice adjointe et directrice générale du Collectif juridique

« Le juridique doit s’accorder avec l’humain, dit Nathalie Raymond. C’est difficile pour une personne de prendre une décision quand elle voit juste un paquet de problèmes. On peut soutenir les gens là-dedans. Une véritable accessibilité à la justice, c’est ça. »

Les duels David contre Goliath sont fréquents au Collectif juridique.

Les lecteurs de La Presse en ont eu un exemple plus tôt cette semaine : les frères Maher et Jean Balabanian ont été condamnés à payer 7 millions de dollars à une vingtaine de copropriétaires d’un immeuble de 119 logements à Montréal parce qu’ils se sont enrichis à leurs dépens, les ont harcelés, espionnés, humiliés et épuisés judiciairement. C’est un avocat montréalais, Vincent Ranger, du cabinet Curiam Avocats, qui a représenté pro bono les 20 victimes devant les tribunaux, racontent nos collègues Tristan Péloquin et Yves Boisvert⁠2.

Comment cette victoire judiciaire a-t-elle commencé ? MRanger faisait du bénévolat au Collectif juridique (à l’époque la Clinique juridique du Mile End) en 2018 quand l’une des victimes est venue pour une consultation sur ses problèmes de logement. Il a ensuite représenté les victimes gratuitement à son compte pendant des années devant les tribunaux.

Logement, famille, travail, immigration, affaires criminelles ou civiles : tous les problèmes sont les bienvenus dans les « bureaux » du Collectif, comme on a pu le constater sur place. C’est gratuit, et on sert tout le monde, peu importe son niveau de revenu. (Au Québec, il y a aussi l’aide juridique, mais celle-ci est réservée aux gens à faible revenu, par exemple une personne célibataire sans enfant gagnant moins de 38 771 $.)

« Nos clients sont souvent seuls et ont un rapport de force inéquitable, dit MNathalie Raymond, directrice générale du Collectif et spécialiste en droit de la famille. Ils travaillent, mais ont de la misère à payer leur appartement. Quand les besoins de base ont de la difficulté à être comblés, défendre ses droits devient un luxe. »

« Les procédures en immigration sont complexes. Un étudiant étranger qui travaille 20 heures par semaine peut avoir recours à nos services, n’ayant pas les moyens de recourir au service d’un avocat », dit Me Léa Charbonneau-Lacroix, directrice adjointe du Collectif et spécialiste du droit à l’immigration.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Les frères Balabanian ont été condamnés à payer 7 millions de dollars à une vingtaine des copropriétaires de cet immeuble de 119 logements à Ahuntsic-Cartierville, parce qu’ils se sont enrichis à leurs dépens, les ont harcelés, espionnés, humiliés et épuisés judiciairement.

En ce début de 2024, le Collectif juridique aura bientôt une bonne nouvelle pour ses clients : en plus de communiquer de l’information juridique, il pourra (enfin !) leur prodiguer de véritables conseils juridiques. C’est possible depuis l’adoption l’an dernier d’un projet de loi déposé par le ministre de la Justice du Québec Simon Jolin-Barrette.

Jusqu’à tout récemment, les cliniques juridiques étaient dans une position un peu étrange. Elles pouvaient donner de l’information juridique (« voici les règles qui s’appliquent à votre cas »), mais pas de conseils juridiques (« voici ce que vous devriez faire »). C’est un peu comme si un médecin nous donne de l’information sur les otites sans pouvoir nous prescrire un traitement précis pour notre mal d’oreille (ouille !). Ça aide grandement. Mais on pourrait être plus efficace.

D’ici le printemps, les avocates (elles sont trois femmes sur quatre, donc féminisons) du Collectif pourront recommander à leurs clients une stratégie, les aider à rédiger les documents de cour, leur dire clairement s’ils ont une cause.

Ça va faire une grande différence.

Il y a toutefois un bémol : le budget et les ressources du Collectif n’ont pas bougé. L’organisme communautaire survit grâce aux dons de la Chambre des notaires du Québec et de fondations privées.

Le Collectif aimerait que les cliniques juridiques communautaires puissent obtenir un financement plus stable de la part du gouvernement du Québec. Chaque année, le ministère de la Justice attribue des subventions aux cliniques juridiques. Mais c’est du financement par projet, rarement à long terme.

Par exemple, le Collectif ne reçoit pas un sou en subvention de Québec cette année. En raison du fort taux de roulement de son personnel, il n’avait pas fait de demande de subvention cette fois.

Québec finance à la fois les cliniques universitaires (dans les facultés de droit) et les cliniques communautaires. En pratique, les cliniques universitaires ont les reins plus solides. Par exemple, Québec a accordé l’automne dernier une subvention supplémentaire de 500 000 $ à cinq cliniques universitaires pour leur permettre de prendre de l’expansion.

Tout le monde se réjouit – avec raison – de cette injection de nouveaux fonds.

Mais Nathalie Raymond fait remarquer que le Collectif juridique fonctionne en pratique comme une clinique universitaire, en supervisant des étudiants dans le cadre de leurs cours. « On fait le même travail, le même encadrement des étudiants, mais on n’a pas le même financement ni la même reconnaissance », dit MRaymond.

Difficile de la contredire sur ce point. La clinique juridique de l’Université de Montréal, qui a reçu 150 000 $ en subventions de Québec en septembre, aide environ 400 personnes par année. Le Collectif juridique aiderait aussi 400 personnes cette année, sans un sou du gouvernement.

Bref, comme bien des organismes sans but lucratif, le Collectif juridique fait son gros possible avec les moyens du bord et un taux de roulement important parmi ses employés (les quatre avocates employées sont toutes en poste depuis moins de deux ans). Mais chaque semaine, les clients sortent de leur rendez-vous avec le sentiment qu’on les a écoutés et qu’on va les aider à trouver une solution à leurs problèmes. Parfois, les avocates du Collectif vont même user de leurs contacts pour leur trouver un avocat pro bono.

Par manque d’argent, le Collectif juridique n’envisage pas à court terme de représenter ses clients devant les tribunaux, même si la nouvelle loi lui permet de le faire. « On n’en a pas les ressources financières », dit Nathalie Raymond.

« On fait beaucoup avec peu de moyens, dit-elle. Si on avait plus de moyens, on pourrait en faire beaucoup plus. »

C’est l’accès à la justice des citoyens moins nantis (mais pas assez pauvres pour l’aide juridique) qui est en jeu.

1. Lisez le reportage « Deux frères “autocrates” devront payer 7 millions » de Tristan Péloquin 2. Lisez la chronique « Un câlin de Thémis pour l’avocat Vincent Ranger » d’Yves Boisvert Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue