Vous avez déjà assisté à une éclipse solaire totale ? Pas moi. Mais j’ai déjà parlé à Nathalie Nguyen-Quoc Ouellette, astrophysicienne à l’Université de Montréal. Le genre à se taper un road trip jusqu’au Tennessee pour en voir une⁠1.

Je la laisse vous raconter son expérience.

« Tout devient noir. Les cigales commencent à chanter. Les lampadaires s’allument. Tu commences à voir certaines planètes et les étoiles les plus brillantes. Et la température ! Elle chute d’une dizaine de degrés. Ce n’est pas seulement visuel comme expérience. C’est sensoriel, ça te transforme. Je ne suis pas une personne religieuse, mais j’ai compris pourquoi les gens voyaient ça comme un signe de Dieu. »

C’est cet extraordinaire spectacle naturel qu’on aura la chance de vivre le 8 avril prochain dans le sud du Québec. L’occasion d’une vie. La dernière éclipse solaire totale visible de Montréal remonte à 1932. La prochaine ? Rendez-vous dans 180 ans.

Camille Turcotte est directrice générale de l’Association pour l’enseignement de la science et de la technologie au Québec (AESTQ). Cette éclipse, elle l’a vue venir de loin. Pour elle, il s’agit d’une occasion unique d’intéresser les élèves à la science autrement que par les livres.

Dès janvier 2022, elle a donné un coup de fil au ministre de l’Éducation de l’époque, Jean-François Roberge. Son idée : fournir des lunettes permettant d’observer le phénomène sans danger à tous les élèves du Québec. À raison de 50 cents par élève, on parle d’un budget d’environ 500 000 $. Les lunettes ne sont pas nécessaires quand l’éclipse est totale, mais elles permettent d’observer la Lune se placer devant le Soleil.

« De notre côté, on s’engageait à former le réseau pour s’assurer que chaque enseignant ait les bons outils pour vivre cet évènement avec ses élèves de façon pédagogiquement intéressante, pertinente et sécuritaire », dit-elle.

Le ministre Roberge n’a pas saisi la balle au bond. À l’époque, la COVID perturbait encore bien des choses et il avait peut-être d’autres priorités.

Mais Mme Turcotte a continué ses démarches avec le ministre actuel, Bernard Drainville. « Ça n’a jamais levé. Ç’a été non, non et non », me raconte-t-elle.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, ARCHIVES LA PRESSE

À un peu plus de deux mois de l’éclipse totale, certains centres de services scolaires ont commandé des lunettes pour leurs élèves, d’autres ont plutôt déclaré une journée pédagogique, histoire de n’avoir rien à gérer ce jour-là.

À un peu plus de deux mois de l’éclipse, on se retrouve donc avec un portrait contrasté. Certains centres de services scolaires ont pris les choses en main et ont commandé des lunettes. D’autres n’ont rien fait. D’autres encore ont déclaré une journée pédagogique ce jour-là, question d’être bien sûrs de n’avoir rien à gérer.

« Les centres de services scolaires et les écoles sont les premiers responsables de déterminer l’organisation des activités à des fins pédagogiques », justifie par écrit le ministère de l’Éducation.

Si je vous raconte cette histoire, c’est d’abord parce qu’il reste un peu de temps avant l’éclipse et que j’ai encore espoir que quelqu’un se réveille au ministère de l’Éducation pour coordonner les choses.

Mais c’est aussi parce qu’elle me semble symptomatique de ce qui se passe en culture scientifique au Québec.

D’un côté, il existe un bouillonnement, une incroyable diversité d’initiatives provenant de passionnés. De l’autre, personne ne semble parvenir à canaliser ce dynamisme pour qu’il profite à tous.

Résultat : les jeunes qui ont des profs ou des parents allumés, ou ceux qui font eux-mêmes des efforts pour s’intéresser à la culture scientifique, sont vraiment bien servis. Les autres sont laissés en plan.

Isabelle Vaillancourt et Noémie Larouche dirigent les publications BLD, qui sont derrière les magazines Les Débrouillards, Curium et Les explorateurs. Elles m’ont contacté à la suite d’une chronique que j’ai écrite sur les vulgarisateurs scientifiques⁠2 pour me parler du dynamisme qui anime leur milieu.

« Depuis que je suis arrivée aux Débrouillards il y a 20 ans, l’offre est clairement plus grande qu’elle ne l’était. Émissions de télé, réseaux sociaux, ateliers et camps scientifiques, gens qui travaillent à outiller autant les jeunes que les adultes : le milieu s’est beaucoup développé », dit Isabelle Vaillancourt.

Elle me nomme notamment la chaîne YouTube Scilabus, les émissions 100 génies et Le safari de Joanie ainsi que les ateliers scientifiques Les neurones atomiques.

Ce foisonnement est étonnant et réjouissant. Aiguiser l’esprit critique des jeunes (et des moins jeunes) est d’autant plus important que la désinformation pullule en ligne.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Noémie Larouche

La pandémie, le contexte climatique, la montée et les possibles dérives de l’intelligence artificielle… Le contexte fait en sorte qu’on a besoin de beaucoup plus de notions scientifiques pour naviguer dans l’actualité.

Noémie Larouche, des publications BLD

Mais cette offre n’atteint pas tout le monde. Voilà pourquoi Isabelle Vaillancourt et Noémie Larouche aimeraient se coller davantage sur le milieu scolaire qui, lui, rejoint tous les enfants.

« Pour l’instant, on rame chacun de notre côté et on essaie de s’attraper la main », illustre Noémie Larouche.

Les profs de science tiennent exactement le même discours.

« On préconise beaucoup l’utilisation de ces ressources », me dit Camille Turcotte, de l’AESTQ. Au primaire, les enseignantes sont des généralistes qui ne sont pas toutes bien outillées en science et peuvent manquer de confiance pour l’enseigner. D’où l’intérêt de faire appel aux vulgarisatrices de carrière.

Évidemment, il faut alors s’assurer que les notions transmises cadrent dans le programme pédagogique et qu’on ne donne pas des fonds publics à des gens qui font « exploser des éprouvettes » sans réel contenu scientifique, comme le dit Camille Turcotte.

Or, outre quelques programmes (RÉCIT culture-éducation, La culture à l’école), il n’existe rien de structuré et à grande échelle pour favoriser ces contacts et évaluer les offres, déplorent mes interlocutrices.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

En sciences, le Québec est passé du 5e rang mondial aux tests PISA en 2015 au 8e en 2018, puis au 12e en 2022. Il se trouve désormais sous la moyenne canadienne.

On dira que le Québec ne doit pas faire les choses si mal puisque ses élèves continuent d’être parmi les meilleurs au monde aux tests PISA en mathématiques et en sciences. C’est vrai.

Mais en sciences, le Québec est passé du 5e rang mondial en 2015 au 8e en 2018, puis au 12e en 2022. Il se trouve désormais sous la moyenne canadienne.

Non, ce n’est pas dramatique. Mais il y a moyen de faire mieux pour que tous les enfants profitent de l’effervescence qui anime le milieu de la culture scientifique.

C’est la même chose pour l’éclipse. Le ministère de l’Éducation m’assure qu’il fournira « prochainement », de concert avec la Direction nationale de santé publique, toute l’information pertinente aux organismes scolaires concernant l’évènement. Il reste que ce ne sont pas tous les enfants qui vivront le spectacle de la même façon.

On peut parler d’une éclipse partielle au ministère de l’Éducation du Québec.

1. Lisez l’article « La science comme un road trip au Tennessee » 2. Lisez la chronique « Qui remplacera Hubert Reeves ? » Voyez une éclipse solaire totale Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue