Chaque vendredi, nous revenons sur la semaine médiatique d’une personnalité, d’une institution ou d’un dossier qui s’est retrouvé au cœur de l’actualité

Le premier ministre François Legault a toujours répété que l’éducation était une valeur primordiale à ses yeux. Il a souvent dit que c’était ce qui avait motivé sa décision de se lancer en politique.

Or, les écoles sont fermées depuis trois semaines. Les parents sont encore solidaires, mais à boutte. Les enfants tournent en rond. Les enseignantes en grève sont fatiguées et celles qui sont membres de la Fédération autonome de l’enseignement (FAE) commencent à s’inquiéter sérieusement pour leur sécurité financière.

Ajoutez à cela un groupe de pédiatres qui livrent un vibrant plaidoyer en faveur du retour en classe des enfants vulnérables, et vous avez un portrait de la semaine qui s’achève⁠1. Une semaine où la tension a grimpé de quelques crans.

Après trois semaines de grève et de négociation, on peut se demander si le gouvernement caquiste met de l’avant l’éducation comme valeur ultime à prioriser.

Difficile à dire quand on n’a pas accès au contenu des rencontres qui se déroulent derrière des portes closes.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Le premier ministre du Québec, François Legault

Chose certaine, nous sommes face à un dilemme : comment réconcilier le droit des enfants à recevoir une éducation de qualité et le droit des travailleurs à revendiquer de meilleures conditions pour eux-mêmes, mais aussi pour les enfants ?

Accepter l’impact de la grève

J’en ai parlé avec André Lacroix, professeur d’éthique à l’Université de Sherbrooke. « La grève, c’est avant tout un rapport de forces, tient-il à préciser. Quand on décide de faire la grève, on considère les conséquences. On tente de mitiger les dommages collatéraux, mais la question de fond demeure : suis-je capable de vivre avec un ensemble de conséquences malheureuses ? On est un peu comme dans une logique de guerre : dans un monde idéal, on ne veut pas la faire, mais il arrive qu’on n’ait pas le choix. »

Dans le milieu de l’éducation, les « conséquences malheureuses » de la grève ont été exposées sur la place publique cette semaine : les enfants vulnérables ou handicapés sont laissés pour compte, ils risquent de régresser, de se désorganiser. Quant à leurs parents, ils commencent à ressentir de la détresse.

Je comprends les pédiatres de s’inquiéter, mais je comprends aussi les enseignants dans leurs revendications. Et je trouve qu’on joue sur la culpabilité des femmes, qui représentent la majorité des syndiqués.

André Lacroix, professeur d’éthique à l’Université de Sherbrooke

Mettons-nous à la place de ces enseignantes un instant. Sur le plan éthique, elles vivent une tension insoutenable. D’une part, leur professionnalisme et leur loyauté les incitent à retourner à l’école pour ne pas laisser tomber les enfants. Mais de l’autre, ces mêmes enseignantes sont dans la rue pour l’amélioration de leurs conditions de travail qui va leur permettre de mieux enseigner aux enfants.

« Les enseignantes sont placées face à un dilemme éthique et je m’inquiète pour leur santé mentale, me dit Lyse Langlois, directrice de l’Institut d’éthique appliquée de l’Université Laval. Le conflit éthique peut entraîner une souffrance morale s’il n’est pas résolu. Je l’ai observé dans des travaux de recherche auprès d’infirmières qui travaillaient en contexte d’aide médicale à mourir. »

Autre angle éthique à cette grève historique : l’immense injustice causée par notre système public-privé. Comment accepter que des enfants soient en congé forcé pendant que ceux qui fréquentent l’école privée continuent leur formation comme si de rien n’était ? Alors que leur école est subventionnée en partie par les deniers publics ? « Je ne suis pas spécialiste de l’éducation, mais il me semble qu’il y a là un risque de fragmentation, une accentuation des inégalités », observe Lyse Langlois.

Des dommages graves

Devrait-on reconnaître l’école comme un service essentiel ? C’est ce que beaucoup ont réclamé cette semaine, même si l’idée ne fait pas l’unanimité. À la suggestion de Lyse Langlois, je suis allée consulter la définition des « services essentiels » sur le portail du gouvernement du Québec. On les définit ainsi : « services dont l’absence pourrait causer des dommages graves ou irréparables à certaines personnes ou à l’ensemble de la population ».

C’est une définition qui s’applique très bien à l’école, il me semble. Et qui soulève des questions fondamentales.

« Je pense que tout le monde s’entend pour dire que l’éducation est un service essentiel, affirme André Lacroix, de l’Université de Sherbrooke. Mais si on dit que l’école étant fermée, les enfants vulnérables sont à risque, ne reconnaît-on pas là que l’école a pris en charge des services qui devraient être assumés par les services sociaux ? Au fond, l’école ne devrait-elle pas être là pour assurer les services éducatifs ? Et si on lui en demande plus, reconnaît-on ces responsabilités à leur juste valeur ? »

À mon avis, André Lacroix touche à une des questions qui sont au cœur de la négociation actuelle.

On a oublié le rôle des professionnels de l’éducation dans le maintien de la cohésion sociale. Ils forment les citoyens de demain. Or, le statut qu’on leur accorde dans la société n’est pas à la hauteur de leur tâche.

Lyse Langlois, directrice de l’Institut d’éthique appliquée de l’Université Laval

Selon Lyse Langlois, la contestation des enseignantes nous permet de clarifier l’importance de l’éducation dans notre société.

Est-elle si importante qu’on souhaiterait le croire ? Il ne faudrait pas perdre de vue l’objectif ultime de cette grève. Au-delà des demandes salariales et de l’organisation du travail, cette négociation nous interpelle sur le genre de société qu’on souhaite au Québec. Une société où l’éducation devrait être une priorité. Il faut le rappeler encore et encore.

1. Lisez le texte « Dites-nous que l’école rouvre cette semaine », signé par plus de 70 médecins Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue