Le monde des affaires n’est pas nécessairement connu pour sa défense de l’air pur, des arbres en fleurs et des charmes de la rainette faux-grillon.

Voilà pourquoi j’ai été étonné en apprenant que le Conseil du patronat du Québec (CPQ) avait signé un mémoire qui représente un vibrant plaidoyer pour la protection de la biodiversité.

Le document est l’œuvre du collectif G15+, qui regroupe tant des entreprises et des syndicats que des organisations environnementales. Le CPQ y souscrit à des recommandations qui peuvent surprendre.

On presse notamment le gouvernement de :

  • Respecter son engagement de protéger 30 % du territoire, y compris dans les zones urbanisées de la province.
  • Consacrer une partie du Plan québécois d’infrastructures à la création et la restauration de milieux naturels.
  • Tenir compte des critères sociaux et environnementaux dans l’attribution des contrats publics.
  • Réduire l’utilisation des pesticides en agriculture.
  • Créer un fonds en aménagement durable pour les villes.

Quelle sorte d’herbe le milieu des affaires québécois a-t-il fumée pour voir soudain la vie en vert ?

J’ai voulu en discuter avec Karl Blackburn, président et chef de la direction du Conseil du patronat du Québec. S’est jointe à la discussion Béatrice Alain, directrice générale du Chantier de l’économie sociale, une organisation aussi membre du G15+ qui vise à développer l’entrepreneuriat collectif.

Mme Alain a apporté un point de vue essentiel à la discussion. Mais puisque la position du CPQ me semblait plus surprenante, c’est surtout M. Blackburn que j’ai talonné. Je voulais aussi évaluer à quel point les engagements du monde des affaires sont sincères ou simplement formulés pour bien paraître.

« C’est parce que nous sommes en 2023, me répond Karl Blackburn pour expliquer les préoccupations sur la biodiversité. Ça fait partie de la réalité des organisations. Et les valeurs des entreprises correspondent aux valeurs des Québécois. »

M. Blackburn me rappelle que, sur la scène internationale, les fameux critères ESG (pour environnementaux, sociaux et de gouvernance) sont de plus en plus considérés pour obtenir du financement ou s’insérer dans les chaînes d’approvisionnement.

Dans ce contexte, tant M. Blackburn que Mme Alain estiment que les entreprises québécoises peuvent développer un avantage concurrentiel. L’accès à de l’énergie propre et le fait d’être assujetties à des règles environnementales strictes pourraient leur permettre de se démarquer de la concurrence.

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Karl Blackburn, président et chef de la direction du Conseil du patronat du Québec

C’est vraiment une question économique. Pour nos entreprises, il y a de réelles opportunités de prendre ce virage et de rayonner au Québec et à l’extérieur.

Karl Blackburn, président et chef de la direction du Conseil du patronat du Québec

C’est notamment pour ça que les groupes économiques au sein du G15+ pressent les gouvernements d’inclure des critères environnementaux lorsqu’ils font des achats ou lancent des appels d’offres.

M. Blackburn décrit le développement durable comme un « équilibre entre l’environnement, le social et l’économie ».

OK. Mais sur le terrain, cet équilibre amène parfois des arbitrages difficiles. Le milieu des affaires interviendra-t-il publiquement si des entreprises contreviennent aux principes énoncés dans son mémoire ?

J’ai (considérablement !) achalé mes deux interlocuteurs avec ça. La future usine de batteries de Northvolt, par exemple, entraînera la destruction de nombreux milieux humides en Montérégie. Or, on n’a entendu ni le G15+ ni le CPQ intervenir à ce sujet.

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Les pratiques des entreprises forestières contribuent à l’effondrement des populations de caribous forestiers. Le CPQ osera-t-il envoyer un message à ses membres en phase avec les engagements pris dans son mémoire ?

Autre exemple : on sait que les pratiques des entreprises forestières contribuent à l’effondrement des populations de caribous forestiers. Le CPQ osera-t-il envoyer un message à ses membres en phase avec les engagements pris dans son mémoire ?

C’est sans compter qu’on voit encore des promoteurs immobiliers détruire des milieux naturels et contribuer à l’étalement urbain.

Tant M. Blackburn que Mme Alain m’ont dit ne pas avoir l’intention de sauter directement dans ces débats particuliers.

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Béatrice Alain, directrice générale du Chantier de l’économie sociale

On ne peut pas tout traiter au cas par cas, on ne peut pas vérifier chaque deal qui se fait. Il faut avoir un cadre qui va permettre de mieux se régir, indiquer des orientations et amener l’ensemble des entreprises, l’ensemble du territoire, à être mieux aménagé.

Béatrice Alain, directrice générale du Chantier de l’économie sociale

« Ultimement, on n’est pas le chien de garde du gouvernement », renchérit Karl Blackburn.

Ce que je comprends des propos de mes deux interlocuteurs, c’est qu’ils tentent d’influencer les normes et les lois plutôt que de surveiller leur application.

Dans le cas de Northvolt, par exemple, M. Blackburn me rappelle qu’une entreprise est censée compenser la perte de milieux humides qu’elle provoque par une contribution financière qui doit servir à en restaurer ou en recréer d’autres ailleurs. La Presse a toutefois montré que, dans les faits, l’argent dort souvent dans les coffres plutôt que d’être déployé sur le terrain⁠1.

Pour le caribou, M. Blackburn souligne que le mémoire du G15+ propose de moderniser le régime forestier pour rendre la forêt « durable et résiliente ».

« Imaginez si on se donnait une vraie vision de reboiser toutes les landes improductives au Québec, dit-il. Ça pourrait se faire sur des dizaines d’années. Si on se donnait un plan Marshall pour ça, on reviendrait régénérer de la forêt et augmenter les territoires disponibles soit pour la biodiversité, soit pour l’industrie, soit pour les économies locales. Ça, c’est une vision porteuse. Mais évidemment, ça demande des investissements importants. »

« Bien sûr qu’il va encore y avoir des débats sur des projets particuliers, dit Béatrice Alain. Mais si ces débats sont faits dans un contexte où les règles et les critères sont bien établis, on va voir émaner les bonnes décisions. »

Verdict ?

Vous l’aurez compris par mes questions, j’aurais aimé que le G15+ s’engage à défendre la biodiversité chaque fois qu’un accroc est fait aux principes énoncés dans son document. Il me semble si on veut que les bottines suivent les babines, il faut ancrer la théorie dans la pratique et l’incarner sur le terrain.

Je veux toutefois éviter d’être trop cynique.

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

Même si les membres du collectif G15+ ne vont pas « vérifier chaque deal », et que des promoteurs vont encore détruire des milieux naturels et contribuer à l’étalement urbain, il faut saluer l’engagement du collectif envers la biodiversité, écrit Philippe Mercure.

Le collectif G15+ est une organisation qui apporte une immense contribution au débat public depuis sa création, en 2020. Dans le monde clivé d’aujourd’hui, entendre des organisations aux intérêts aussi différents que la FTQ, Équiterre et le Conseil du patronat parler d’une seule voix est extrêmement réjouissant.

La mission du G15+ de mesurer l’avancement du Québec avec d’autres indicateurs que le simple PIB me semble aussi pleine de bon sens.

Il faut saluer l’engagement du collectif envers la biodiversité. Les recommandations formulées dans le mémoire sont intéressantes, précises, détaillées. Pour un gouvernement, elles sont difficiles à ignorer sachant qu’elles proviennent d’un tel consensus entre différents groupes.

Il faut donc souhaiter que ces recommandations influencent réellement les actions de nos décideurs. Sinon, on pourra se demander s’il est pertinent pour le G15+ d’intervenir de façon plus chirurgicale dans les débats publics.

Lisez le mémoire du G15+ 1. Lisez l’article « Création de nouveaux milieux humides : Québec veut augmenter la cadence » d’Éric-Pierre Champagne Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue