Un rapport sur le système de santé articulé autour de 6 priorités et comptant 34 recommandations ? Ne tournez pas la page tout de suite. Celui-ci est complètement différent. Sa genèse est unique, tout comme plusieurs de ses recommandations. Juré.

Pour vous en convaincre, je vous présente l’une des signataires du document.

Marie Michelle Dimanche a 72 ans.

Elle n’est ni chercheuse en gestion des systèmes de santé, ni médecin, ni représentante d’une association médicale.

Sa cause, c’est plutôt la promotion du créole et de la culture d’Haïti (le pays de son enfance). Elle s’implique aussi dans la défense des droits des femmes et des personnes à mobilité réduite.

« Je suis tombée dans la marmite du bénévolat à mon arrivée ici, en 1971 », raconte cette sympathique grand-mère de quatre petits-enfants.

Le printemps dernier, avec d’autres citoyens, Mme Dimanche s’est pourtant penchée sur les problèmes de notre système de santé.

Pourquoi 2 millions de Québécois vivent-ils toujours sans médecin de famille ou infirmière praticienne attitrée ? Pourquoi le Québec figure-t-il parmi les pires provinces du Canada, lui-même parmi les pires pays développés, pour ce qui est des soins de première ligne ?

PHOTO BRIAN DA SILVA, FOURNIE PAR NOSSOINS

Les bénévoles qui ont participé à l’élaboration des 34 recommandations du rapport

Ils étaient 31 à tenter de répondre à ces questions. Des gens choisis au hasard pour refléter la diversité du Québec, avec une surreprésentation des groupes vulnérables et marginalisés.

Pendant 30 heures, ces citoyens de toutes les sphères de la société ont écouté des experts leur parler du fonctionnement de notre système de santé. Ils ont posé des questions, réfléchi, délibéré, dégagé des consensus sur ce qui devrait être fait pour améliorer les soins de première ligne.

Le résultat est un document qui reflète la voix de Québécois qu’on n’entend jamais.

« Si on ne se mêle pas de ce qui nous concerne, ça revient à donner un chèque en blanc au gouvernement », me dit Marie Michelle Dimanche.

Se mêler de ce qui nous concerne. J’adore cette expression. Elle pourrait figurer dans Le Petit Robert sous le mot « implication ».

C’est l’initiative NosSoins qui est derrière cette idée d’aller chercher la voix des citoyens et de l’articuler. L’an dernier, ce groupe de chercheurs canadiens a lancé un sondage auprès de 9000 Canadiens, dont 2500 Québécois, pour mieux comprendre leur expérience des soins de première ligne.

« Certaines choses sont ressorties sur le plan des valeurs de base, de ce qui est important pour les gens. Mais un sondage, c’est un sondage. Ça ne donnait pas de place au dialogue, à une réflexion », me dit le docteur Neb Kovacina, médecin de famille à l’hôpital St. Mary’s, à Montréal, et coresponsable du projet NosSoins pour le Québec.

D’où l’idée de faire travailler les citoyens pour qu’ils proposent leurs propres solutions aux problèmes qu’ils vivent.

« Quand j’ai vu cette occasion de mettre la main à quelque chose qui me touche et qui concerne la population dans laquelle je vis, ça m’a allumée », dit Marie Michelle Dimanche.

La complexité du système de santé ne l’a-t-elle pas effrayée ?

« Tout ce qui est gros fait toujours peur, répond Mme Dimanche. Mais si on s’arrête à ça, on en sortira toujours mal servis et mal desservis. »

Après les formations auprès de spécialistes, les participants ont tenu des discussions en équipes avant de s’entendre sur des recommandations.

PHOTO BRIAN DA SILVA, FOURNIE PAR NOSSOINS

Marie Michelle Dimanche

Les discussions étaient fortes. Chacun avait des idées assez bonnes, assez puissantes, mais celles-ci finissaient par se mouler les unes dans les autres. Une idée tutoyait l’autre.

Marie Michelle Dimanche, bénévole

Si certaines recommandations ne surprendront personne (accélérer la reconnaissance des diplômes pour les travailleurs de la santé, créer des milieux inclusifs pour les employés), d’autres sont plus originales.

Je retiens notamment l’idée de fournir un guide vulgarisé pour aider les usagers à naviguer dans les méandres du système de santé. Ou celle d’interdire la publicité pour les soins de santé privés. Le groupe propose aussi de procurer un « soutien administratif aux praticiennes et praticiens » afin de leur permettre de se consacrer à leur pratique médicale.

À l’heure où le ministre de la Santé, Christian Dubé, est déjà engagé dans une vaste réforme du système de santé, ce nouveau rapport sera-t-il pris en compte ou finira-t-il sur la proverbiale tablette ?

Le DNeb Kovacina affirme que le gouvernement, les fédérations médicales et les universités ont été impliqués à toutes les étapes du processus. Il a donc bon espoir qu’ils étudient les recommandations.

« On souhaite que ce rapport-là ne soit pas mis de côté », martèle aussi Mme Dimanche.

J’espère aussi vivement que ce sera le cas. On compte sur le système de santé pour soigner les citoyens malades, mais ce n’est pas tous les jours qu’on voit les citoyens se mettre au chevet du système malade.

C’est sans compter qu’impliquer le « vrai monde » dans les décisions nous change du vieux réflexe de toujours se tourner vers les mêmes firmes de consultation (allo, McKinsey !) aussitôt qu’un gouvernement est en panne de solutions.

Consultez le rapport de NosSoins sur le Québec Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue