(Austin) La Cour suprême du Texas a débattu mardi de la nécessité pour les tribunaux de cet État américain du Sud conservateur de clarifier les « exceptions médicales » à l’interdiction d’y avorter, comme le réclament une organisation de femmes et des médecins.

Depuis que la Cour suprême fédérale a rendu en juin 2022 aux États la liberté de légiférer sur l’avortement, revenant sur une jurisprudence de près d’un demi-siècle, une vingtaine d’entre eux ont interdit l’avortement ou l’ont très fortement restreint.

Le Texas prohibe toute interruption volontaire de grossesse (IVG), y compris en cas d’inceste ou de viol. Seules exceptions : en cas de danger de mort ou de risque de grave handicap pour la mère. Les médecins encourent jusqu’à 99 ans de prison, 100 000 dollars d’amende et la révocation de leur licence médicale s’ils pratiquent une IVG hors de ce cadre.

Dans une décision rendue en août, une juge de première instance a reconnu que les plaignantes, une vingtaine désormais, avaient été « retardées ou privées d’accès à l’avortement en raison de l’incertitude généralisée concernant la marge de manœuvre des médecins ».

Elle a ordonné que les praticiens ne puissent être poursuivis après avoir exercé leur « jugement de bonne foi » et qu’ils soient autorisés à déterminer ce qui relève de l’urgence médicale susceptible de mettre en danger « la vie et/ou la santé (y compris la fertilité) d’une femme ».   

« Médecins terrifiés »

« Le tribunal de première instance a outrepassé ses prérogatives constitutionnelles en réécrivant et en étendant les conditions d’urgence médicale » prévues par la loi, a accusé mardi devant la Cour suprême du Texas Beth Klusmann, une représentante du bureau du procureur de cet État, qui avait fait appel.

La décision, aussitôt suspendue en raison de cet appel, « supprime de fait ce critère, de sorte qu’il n’y aura jamais de circonstance dans laquelle une femme ne pourra pas obtenir un avortement », a-t-elle affirmé aux juges, tous républicains.

« Ce qui suscite ce besoin de clarification, c’est que comme vous le reconnaissez vous-même, certaines de ces femmes auraient dû être autorisées à avorter mais leur médecin leur a dit “non, ce n’est pas clair pour moi” », lui a objecté l’un des juges, Jeff Boyd.  

Dans ce cas, les plaignantes peuvent se retourner contre leur médecin et le poursuivre, a argué la représentante du procureur général, sans sembler convaincre la majorité de la Cour.

« Le problème est que les médecins sont terrifiés à l’idée d’invoquer ces exceptions », et de s’exposer ainsi à des poursuites de la part des autorités texanes, a fait valoir Molly Duane, l’avocate du Center for Reproductive Right (Centre pour les droits reproductifs), à l’origine de cet action en justice.

PHOTO SUZANNE CORDEIRO, AGENCE FRANCE-PRESSE

Molly Duane

« Bien qu’il existe techniquement une exception médicale à l’interdiction, personne ne sait ce que cela signifie. Et l’État refuse de nous le dire », a-t-elle déploré.

« Pas assez malade »

Comme plusieurs de ses collègues, le juge Brett Busby a exprimé des réticences face à la décision de première instance. « Notre travail est de juger, pas de développer des lois pour les rendre plus faciles à comprendre et à appliquer », a-t-il estimé.

Une des plaignantes, Jessica Bernardo, 39 ans, a raconté avoir dû se faire avorter de l’autre côté du pays, dans l’État de Washington (nord-ouest), après avoir découvert non seulement que son bébé n’était pas viable mais que la poursuite de sa grossesse mettait sa propre vie en danger.

« Mon médecin était très attentionnée », a-t-elle souligné. « Elle a tenté de plaider ma cause auprès de l’administration de l’hôpital, mais ils ont refusé parce que je n’étais pas assez malade. Voilà pourquoi on a dû prendre des dispositions de dernière minute », a-t-elle ajouté, reconnaissant que « tout le monde n’a pas cette chance ».

Aucune date n’est connue pour la décision de la Cour suprême du Texas qui pourrait statuer sur le fond ou uniquement sur la suspension de la décision de première instance.  

Le dossier doit être jugé lors d’un procès en mars 2024.